Les évêques du Japon ont publiquement répondu à une enquête du Vatican sur les points de vue des catholiques dans le monde concernant les questions de la famille, en indiquant sans ambages que les enseignements de l’Église ne sont pas connus dans leur pays et le point de vue européano-centré du Vatican entrave les efforts d’évangélisation dans les lieux où les catholiques représentent une petite minorité de la population.
Dans un rapport parfois pointu de 15 pages publié en vue d’une réunion en Octobre des évêques du monde entier, connu comme un synode, les évêques japonais constatent que l’église «est souvent loin» en « présentant un seuil d’appartenance élevé et un manque d’hospitalité et de pratique de bienveillance» .
Soulignant à plusieurs reprises que les catholiques japonais ne représentent environ que 0,35 pour cent de la population du pays et que quelque 76 pour cent de ces catholiques se marient à des non-catholiques, les Japonais demandent à l’église mondiale d’ « aller au-delà » d’une série de normes et de règles qui séparent les catholiques entre eux.
« Il est nécessaire d’aller au-delà de se contenter de dire aux hommes et aux femmes qui ne suivent pas les normes de l’Église qu’ils sont séparés de la communauté et de leur fournir activement des occasions de rencontrer la communauté chrétienne », disent-ils.
Le texte, publié en japonais et en anglais [1] et rendu public par l’Union des Nouvelles catholiques d’Asie, est un résumé des réponses des évêques et des supérieurs religieux du pays à un questionnaire du Vatican publié en préparation pour le synode d’Octobre .
Convoquée l’an dernier par le pape François, la réunion du 5 au 19 octobre doit se concentrer sur le thème « Les défis pastoraux de la famille dans le contexte de l’évangélisation. »
Environ 150 cardinaux catholiques du monde entier vont converger vers le Vatican cette semaine pour une réunion jeudi et vendredi en partie consacrée à la préparation du synode avant le consistoire de samedi ; c’est un événement officiel auquel vont participer 19 nouveaux membres.
Le bureau du Vatican chargé de la préparation du synode doit ensuite se réunir lundi avec son conseil de 15 membres pour préparer officiellement l’événement.
Les réponses japonaises au questionnaire sont carrées et pertinentes. Par exemple, en réponse à une question sur la façon dont les catholiques japonais acceptent les enseignements de l’Eglise interdisant la contraception artificielle, les japonais déclarent : « Les catholiques contemporains sont soit indifférents soit pas au courant de l’enseignement de l’Église. »
« La plupart des catholiques au Japon n’ont pas entendu parler de l’encyclique Humanae vitae », disent-ils aussi, se référant à l’encyclique du pape Paul V qui en interdit la pratique. « S’ils en ont eu connaissance, ils ne lui en ont probablement pas attribué d’importance dans leur vie. Les valeurs sociales et culturelles, ainsi que les considérations financières sont plus importantes. »
« Il y a un grand fossé entre le Vatican et la réalité » continuent-ils. « L’utilisation du préservatif est recommandée dans les cours d’éducation sexuelle des écoles. »
En réponse à la question demandant si les catholiques japonais promeuvent les méthodes dites naturelles de contrôle des naissances, les Japonais répondent : « Il y a des tentatives pour introduire des pratiques telles que la méthode Billings , mais peu de gens les connaissent. Dans sa grande majorité, l’Eglise au Japon n’est pas obsédée par les questions sexuelles. »
En réponse à une question sur les couples qui vivent ensemble avant le mariage, les Japonais disent que « La pratique pastorale de l’Eglise doit partir des prémisses que la cohabitation et le mariage civil en dehors de l’Eglise sont devenus la norme. »
« En développant une orientation pastorale, il est peut-être important de rappeler que la seule fois dans les évangiles où Jésus rencontre bien quelqu’un dans une situation de cohabitation en dehors du mariage (la femme samaritaine au puits) il ne se concentre pas sur cette situation. Au lieu de cela, il traite la femme avec respect et la transforme en missionnaire. »
Les japonais appellent aussi à une refonte de la procédure de l’Eglise pour ceux qui demandent des annulations : « une procédure d’annulation simplifiée est non seulement nécessaire, elle est essentielle » .
« Si une simplification respectant des dispositions légales est nécessaire, une réponse réaliste à la situation à laquelle les personnes sont réellement confrontées est essentielle. La simplification de la procédure judiciaire sera le salut de ceux qui souffrent. »
Dans d’autres domaines, les japonais répondent aux demandes de renseignements du questionnaire en mettant l’accent sur les défis exceptionnels auxquels on doit faire face dans leur pays ; ils soulignent en particulier une éthique de travail au sein de la population qui n’encourage pas à prendre du temps pour les besoins des familles ; ou encore les divers problèmes rencontrés par beaucoup de catholiques japonais mariés à des non-catholiques.
Concernant le premier point : « Dans les cas où les deux parents travaillent, de nombreux enfants rentrent dans une maison vide » disent-ils ; et ils continuent : « Les repas partagés sont rares. Par conséquent, il n’y a pas la possibilité de conversation. Chaque membre de la famille rencontre des difficultés, mais comme il n’y a pas de communion chacun est solitaire et a peu d’expérience d’aimer ou d’être aimé. »
Vers la fin de leur réponse, les Japonais demandent que l’Eglise « conforte le souci pastoral des personnes confrontés à des difficultés dans leur vie familiale par une vision de l’enseignement de l’Église sur le mariage et la famille. »
Ensuite, ils apportent une petite critique au questionnaire lui-même, indiquant qu’il a « été développé avec la mentalité des pays chrétiens où toute la famille est chrétienne. »
« Par exemple, les mariages religieux mixtes semblent être considérés comme un problème. Alors qu’au Japon l’écrasante majorité des mariages impliquent des religions mixtes. »
« Dans ce contexte, nous devons nous demander ce que signifient un foyer ou une famille chrétiens » continuent-ils. « L’augmentation du nombre de personnes qui ne se marient pas, l’augmentation des familles monoparentales, la situation des personnes âgées et le vieillissement de la société, les problèmes auxquels sont confrontés les enfants des personnes âgées sont autant de problèmes, inimaginables dans le passé, auxquels est confrontée la vie de la famille aujourd’hui. »
Soulignant le rôle que la famille traditionnelle a joué dans leur société, les japonais notent que « l’Eglise doit l’utiliser. »
« L’Église est souvent en-deça dans ce domaine, présentant un seuil élevé pour y entrer et un manque d’hospitalité et de pratique de bienveillance » disent-ils. Comme Hébreux 13:02 nous l’enseigne : « Ne négligez pas l’hospitalité, car c’est ainsi que certains ont reçu des anges, sans le savoir ».
«L’Eglise doit être un refuge pour ceux fatigués par le parcours de la vie, et les cérémonies sont des lieux où ils peuvent découvrir ce refuge » , concluent les Japonais.
Le bureau du Vatican pour le synode, dirigée par Mgr Lorenzo Baldisseri, a envoyé en Octobre le questionnaire aux conférences épiscopales à travers le monde, en leur demandant de le distribuer « immédiatement aussi largement que possible aux doyennés et aux paroisses pour que l’apport des sources locales puisse être reçu. »
Demandant des réponses à près de 40 questions, le questionnaire aborde des sujets qui ont parfois fortement divisé l’Eglise, comme l’enseignement catholique interdisant l’utilisation de la contraception artificielle, la possibilité pour un divorcé catholique de se remarier ou recevoir la communion, et le nombre de jeunes personnes choisissant de vivre ensemble avant de se marier.
Comme la conférence japonaise, la conférence des évêques allemands a publié un rapport sans détours en réponse au questionnaire, montrant une nette divergence [ 2 ] entre ce que l’Eglise enseigne sur le mariage, la sexualité et la vie de famille et ce que croient les catholiques allemands.
L’enquête japonaise, datée du 15 janvier et publiée par la conférence des évêques japonais, précise que les réponses à l’enquête du Vatican ont été rassemblées par les évêques et les supérieurs majeurs des religieux et des religieuses, puis envoyées à des experts clercs et laïcs aux fins de commentaires .
Des études récentes ont estimé le nombre de catholiques au Japon à environ 509 000, pour une population totale de quelque 128 millions de personnes.
Joshua J. McElwee – New Catholic Reporter
Traduction française par Lucienne Gouguenheim
Notes :
[1] texte (en anglais) : http://www.cbcj.catholic.jp/jpn/doc/pontifical/synodus/synodus14th/res_eng_sp3.pdf [2] http://ncronline.org/news/global/surveys-german-swiss-catholics-reject-many-church-teachings-familySource : article publié le 19 février 2014 dans National Catholic Reporter (NCR) :
http://ncronline.org/blogs/ncr-today/japanese-bishops-vatican-mindset-doesnt-fit-asian-church
Source illustration : http://www.cbcj.catholic.jp/eng/