Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, Olivier De Schutter, a présenté le 4 mars 2013 un rapport au Conseil des droits de l’homme à Genève. On trouvera ci-après le résumé et les conclusions et recommandations de ce rapport.
Résumé
Dans le présent rapport, soumis au Conseil des droits de l’homme en application de sa résolution 13/4, le Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation étudie les menaces qui pèsent sur le droit des femmes à l’alimentation et recense les problèmes qui exigent une attention immédiate. Il examine successivement les obstacles rencontrés par les femmes dans l’accès à l’emploi, à la protection sociale et aux ressources productives nécessaires au développement de la production et de la transformation alimentaires ainsi que de la chaîne de valorisation. Il conclut par une recommandation invitant les États à répondre efficacement aux besoins et priorités des femmes et des filles dans leurs stratégies visant à assurer la sécurité alimentaire et à réduire le fardeau du travail non rémunéré qui pèse sur les femmes au sein du foyer, tout en s’attaquant aux contraintes particulières que subissent les femmes et en veillant à transformer la répartition des rôles fondée sur le sexe.
Conclusions et recommandations
49. En vertu du droit international des droits de l’homme, les États doivent garantir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes. Le respect de ces obligations, qui sont fondamentales au regard du droit des femmes à l’alimentation, contribuerait également à la réalisation de ce droit pour d’autres membres de la société. La reconnaissance des droits de la femme se traduit par un meilleur développement physique et mental des enfants qui voient ainsi leurs capacités d’apprentissage et leurs possibilités de vivre une vie saine et productive s’améliorer, par des retombées positives pour le ménage en matière de santé et de nutrition grâce à un rééquilibrage en faveur de la femme du pouvoir décisionnel au sein de la famille, et par des gains de productivité pour les femmes productrices de denrées alimentaires à petite échelle.
50. L’obligation faite aux États de supprimer de leur législation toutes les dispositions discriminatoires et de lutter contre la discrimination qui prend sa source dans des normes sociales et culturelles est une obligation immédiate qui doit donc être exécutée sans délai. Cet effort doit s’accompagner de mesures temporaires spéciales visant à accélérer la réalisation de l’égalité des sexes et de recours effectifs pour les femmes victimes de discrimination. De plus, comme on l’a vu en détail dans le chapitre V du présent rapport, les États devraient :
a) faire les investissement nécessaires pour décharger les femmes du fardeau de l’économie domestique ;
b) reconnaître la nécessité de tenir compte des contraintes de temps et de mobilité auxquelles se heurtent les femmes du fait de leur rôle dans l’économie domestique, tout en redistribuant les rôles entre les sexes par l’adoption d’une attitude transformatrice en matière d’emploi et de protection sociale ;
c) généraliser la prise en compte de la problématique hommes-femmes dans toutes les lois, politiques et programmes selon qu’il conviendra, en instaurant des mesures incitatives récompensant les administrations publiques qui définissent des objectifs en la matière et les atteignent ;
d) adopter des stratégies multisectorielles pluriannuelles qui aillent dans le sens d’une totale égalité hommes-femmes, sous la supervision d’un organisme indépendant chargé de suivre les progrès réalisés, en s’appuyant sur des données ventilées par sexe portant sur tous les aspects de la réalisation du droit à l’alimentation.
• Lire le RAPPORT : télécharger l’intégralité du rapport en cliquant ci-après : ONU-DroitsFemmes
• ALLER plus loin :
Lire l’article ci-après du correspondant du journal Le Monde à New Delhi qui analyse ce rapport dans le contexte spécifique de l’Inde :
L’Inde tarde à reconnaître les droits des agricultrices, garantie d’une meilleure sécurité alimentaire.
Les Nations unies appellent à accélérer l’émancipation des femmes pour combattre la faim
Par Julien Bouissou
« Il faut mettre en place des politiques agricoles tenant compte de l’égalité des sexes », plaide Olivier De Schutter, le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation, dans un rapport présenté, lundi 4 mars, au Conseil des droits de l’homme à Genève. Le nombre de personnes souffrant de la faim diminuerait de 12 % à 17% si « les femmes avaient accès aux mêmes ressources productives que les hommes », rappelle M. De Schutter. Or, dans de nombreux pays, elles sont encore écartées de la propriété des terres, de l’accès aux semences ou aux outils agricoles, des formations et des crédits.
L’Inde est concernée au premier chef. Près de 80 % des femmes actives travaillent dans l’agriculture alors qu’elles ne sont que 10 % à posséder des terres. Leur droit à avoir des surfaces agricoles existe, mais en théorie seulement. « Lorsqu’une femme hérite des terres, on lui fait vite signer un papier pour qu’elle les cède à l’homme de la famille. Et dans de nombreux cas, elle ne revendique pas ses droits par peur ou parce qu’elle les ignore », témoigne Vanita Suneja, chargée des programmes de justice économique d’Oxfam.[1]
Cette ONG tente de remettre à l’agenda un texte de loi déposé à la Chambre haute du Parlement par Monkombu Sambasivan Swaminathan, le père de la révolution verte en Inde. La « loi sur les droits des agricultrices » prévoit que le statut d’agriculteur puisse être facilement accordé par les autorités du village et que les titres de propriété ne mentionnant pas le nom de l’épouse ne soient pas validés.
« Etant donné la féminisation croissante du secteur agricole, liée en partie à la migration urbaine des hommes, les droits des agricultrices sont essentiels pour la croissance de l’agriculture, tout comme la protection de la sécurité alimentaire à l’ère du changement climatique », précise le texte de loi dans son préambule. Rédigé il y a près de deux ans, il attend toujours d’être voté.
L’accès à la propriété des terres est pourtant fondamental car il est à la fois source de revenus et d’émancipation. Si une femme contrôle le budget du foyer, les membres de la famille sont mieux nourris, et soignés. « Des recherches ont montré que les chances de survie d’un enfant augmentaient de 20 % lorsque la mère contrôlait le budget de la famille », souligne le rapport De Schutter. Sans titre de propriété, leur statut d’agriculteur n’est pas reconnu aux femmes et c’est tout un éventail d’aides ou de formations auxquelles elles n’ont pas droit. En Inde, la Kisan Credit Card, réservée aux agriculteurs, donne droit par exemple à des prêts à taux réduits.[2]
Lorsque les femmes parviennent à devenir propriétaires, d’autres discriminations les attendent. Elles possèdent des terres plus petites que la moyenne et privilégient l’agriculture de subsistance, comme la production de légumes, qui demande beaucoup de main-d’oeuvre. Leur choix est contraint par un accès difficile au marché, traditionnellement réservé aux hommes, et le manque de moyens pour investir dans des semences et des engrais et se lancer dans des cultures commerciales comme le riz ou le blé.
« Souvent les femmes forment des groupes pour effectuer les récoltes sur les terres des unes et des autres sans recruter de main-d’oeuvre ou utiliser de machines », explique Vanita Suneja. Dans le Bihar, des femmes qui louent des terres ont formé des coopératives pour avoir un accès plus facile au crédit et aux outils de production. Mais l’existence de ces coopératives de femmes est menacée car la location de terres agricoles est illégale dans certaines régions.
Pour les aider à s’investir dans leur activité professionnelle, le rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation incite les Etats à mettre en place des mesures qui déchargent les femmes de leurs tâches domestiques, ce « fardeau du travail non rémunéré ». Le Programme indien de garantie des emplois ruraux avait prévu des emplois de gardes d’enfants pour les femmes qui travaillent sur les chantiers, mais la mesure est passée inaperçue et ces emplois n’ont presque jamais vu leur jour.
Un centre pour lutter contre les discriminations dans l’agriculture a été mis en place – en vain. La mission nationale pour l’horticulture devait consacrer 30 % de ses ressources aux agricultrices. Autant de projets qui ont échoué et masquent mal l’impuissance du gouvernement indien.
Dans l’espoir de remobiliser les gouvernements, M. De Schutter rappelle que « la malnutrition frappe 60 % d’enfants de plus dans les pays où les femmes sont privées du droit de propriété ». Et que là où les femmes n’ont pas accès au crédit, la proportion d’enfants souffrant de malnutrition est 85 % plus élevée. L’autonomisation des femmes est ainsi « la mesure la plus rentable pour faire reculer la faim », estime le rapporteur spécial.
Julien Bouissou
New Delhi- Correspondance
Source : publié dans Le Monde daté du 5 mars 2013
Notes :
[1] http://www.oxfam.org/fr/about/issues/gender [2] http://www.oxfam.org/fr/development/india/agricultrices-inde-se-font-entendre