La colère de Hans Küng, par Romano Libero (Source : Golias)
La proportion prise par les dérives du Pape semble telle qu’il devient bien impossible à présent, et ô combien redondant, d’énumérer les fort nombreuses réactions d’indignation, de colère et de tristesse. Une exception peut être faite en ce qui concerne Hans Küng, théologien bien connu, et qui connaît très bien à titre personnel Joseph Ratzinger, son ancien collègue, auquel il est d’ailleurs venu rendre visite il y a peu à Castelgandolfo.
Accordant un entretien à la revue “Periodista Digital”, le célèbre théologien critique n’hésite pas à dire : l’histoire jugera les deux papes Jean Paul II et Benoît XVI comme « deux principaux responsables de la propagation du Sida », en particulier dans des pays africains. « Il est terriblement hypocrite de condamner les préservatifs dans des régions comme celle d’Afrique avec un haut risque de Sida et, en même temps de réclamer la protection des pauvres ».
Hans Küng régit également à la campagne actuellement en cours des évêques espagnols contre la légalisation de l’interruption de grossesse jusqu’à quatorze semaine : « il me paraît vraiment inutile que l’épiscopat de ce pays se lance dans de nouvelles batailles ». De façon très générale, le professeur Küng estime que « le retour pour l’Église à la vieille bataille de l’avortement lui cause un grand préjudice ».
Déjà fort critique à l’endroit du pontificat de Jean Paul II, Hans Küng se fait l’interprète de la crainte et de la révolte de nombreux fidèles d’une « relativisation du Concile Vatican II ». Pour ne pas dire plus, tant la politique de restauration en cours, certes aujourd’hui compromise, ne se cache même plus.
Les nominations des évêques se font de telle manière qu’il ne demeure plus rien de la tradition véritablement démocratique de l’Église ancienne qui reste vivante par contre au sein des grands ordres religieux. Par conséquent, nous assistons à la désignation de prélats conformistes et d’orientation très conservatrice. Dans les premiers temps, il fallait que l’évêque soit accepté par le peuple à la tête duquel il était placé. Or, dans une visée de reconquête et de restauration intransigeante, le Pape impose parfois des choix qui indignent et choquent le peuple de Dieu concerné.
Le théologien note que le Sacré Collège se compose désormais de façon presque exclusive de prélats alignés sur la ligne de Rome, y compris hélas dans le tiers monde.
Pour l’avenir cependant, le professeur Küng ne fait pas montre d’un grand pessimisme, car les retournements de situation sont possibles et prévisibles même et surtout lorsque l’on touche le fond. Selon une première hypothèse, en Occident, les communautés et paroisses vont se trouver dans une telle situation (manque de prêtres, divisions, marginalisation) que finira bien par surgir un « Jean XXIV », peu importe le nom qu’il adopterait en définitive. Selon une autre hypothèse, l’opinion publique dans l’Église fera entendre sa voix de sorte que, quelle que soit la personnalité du successeur de Joseph Ratzinger, peut-être sous la forme d’un Vatican III (déjà évoqué dans le passé par le cardinal italien Carlo Maria Martini) un nouvel aggiornamento soit lancé, les évêques étant finalement forcés à suivre en raison de l’ampleur du mouvement indirectement suscité par l’outrance de la ligne Ratzinger.
A l’évidence, l’avenir de l’Église passe par une valorisation de la collégialité (et non du centralisme), de l’ouverture au monde moderne (et non de la fermeture hostile), de l’esprit de dialogue et non de l’inquisition, de l’œcuménisme et non de l’arrogance. Une dictature de l’« absolutisme » (prétention à détenir la vérité absolue) ne peut conduire qu’à de nouveaux désastres. Pour Hans Küng, aucune dictature de ce type ne correspond à la vérité chrétienne. Une vérité chrétienne qui est, en définitive, comme l’a montré un Gianni Vattimo en Italie, de l’ordre de la relation et de l’amour.
Un constat s’impose : sur le fond, les affreux durcissements de ce pontificat ne rendent que plus urgente une prise en compte des défis posés qui n’ont pas été relevés par crainte de poursuivre dans la voie à peine ouverte par le Concile Vatican II. Les questions en débat sont les mêmes depuis une quarantaine d’années. Pourtant, à défaut de présenter un autre visage complémentaire de celui du grand inquisiteur, en durcissant le ton, Joseph Ratzinger a comme rendu plus évidente l’impasse d’une politique ecclésiale de restauration et d’intransigeance (déjà cultivée par Karol Wojtyla). Comme le disait récemment sur France 3 l’historien des religions Odon Vallet, le pontificat actuel c’est « une poigne de fer sans gant de velours ». Cela fait très mal et des cris se font entendre.
Peut-être la clameur d’un peuple qui annonce l’aurore.
Auteur : Romano Libero
Source : Golias