Pour comprendre comment les banques créent la monnaie
L’article ci-après est extrait du numéro hors série n° 21 de la revue Parvis « Capitalisme et libéralisme » réalisé en 2009 par NSAE, et que l’on peut se procurer au prix de 6,5 euros auprès de NSAE, 68 rue de Babylone 75007 Paris
ARGENT ET DETTES
D’où viennent les banques ?
L’histoire des banques montre que le système bancaire s’est mis en place peu à peu poussé par le développement commercial mais qu’il a dérapé à cause de la cupidité des possesseurs de richesse, ceci dès le Moyen-Age.
A cette époque, Moyen-Age puis Renaissance, les richesses (souvent de l’or) possédées par la classe aisée étaient déposées, pour des questions de sécurité, dans les coffres des orfèvres. Mais ceux-ci constatant, à l’usage, que les déposants laissaient leurs pièces en or longtemps en dépôt sans les reprendre, se transformèrent peu à peu en usuriers. En effet les orfèvres voyaient l’or dormir dans les coffres et ont alors pensé qu’ils pouvaient le prêter, en leur nom, avec des intérêts. Pour plus de facilité l’argent fut prêté sous forme de papier plutôt que d’or. Ces prêts permirent aux orfèvres de s’enrichir rapidement. Cependant peu à peu les déposants s’aperçurent de cet enrichissement et menacèrent les orfèvres de retirer tout leur or. Un accord fut alors conclu, les intérêts des prêts furent partagés entre les orfèvres et les déposants, avec un avantage pour les orfèvres qui rendaient le service de la garde du dépôt. C’est ainsi que le système bancaire est né et que les artisans orfèvres se transformèrent en banquiers.
Par la suite une autre étape plus audacieuse fut franchie, encouragée par le développement du commerce et de l’industrie. Les demandeurs d’emprunt devenaient de plus en plus nombreux alors que les dépôts ne grossissaient pas en proportion de la demande ; alors l’idée vint aux orfèvres de prêter de l’argent sous forme de reçus sur de l’or qui n’existait pas ou qui n’existait tout au moins qu’en proportion plus faible. Tant que les déposants ne venaient pas chercher leurs dépôts tous en même temps, le système pouvait fonctionner. Due à l’expansion des affaires cette pratique a été légalisée et réglementée avec des rapports de 1 à 10, pas toujours respectés, entre l’argent déposé et l’argent prêté. C’est ce qu’on appelle la réserve fractionnelle, qui fut déposée dans une banque centrale.
Une parade a été prévue pour soutenir les banques en cas de besoin. Celles ci pourraient, en cas de nécessité, faire appel à la banque centrale qui leur prêterait l’or qu’elles n’avaient pas en quantité suffisante. Cela éviterait l’effondrement d’une banque qui aurait crée une trop grosse bulle de crédit.
Petit à petit, le système de réserve fractionnelle soutenu par une banque centrale est devenu le système dominant dans le monde et la fraction d’or garantissant l’argent créé par ce processus de dette est devenue nulle. Le système a changé ; la nature même de l’argent a changé.
Le système monétaire contemporain
Autrefois un montant en devise (par exemple en dollar) papier était un reçu avec lequel on pouvait réclamer un poids fixe d’or ou d’argent. Actuellement, une dollar papier ou un dollar numérique ne peut être échangé que pour un autre dollar papier ou numérique.
Autrefois le crédit créé par une banque privée devait exister sous forme de billets de banque privée ; les gens avaient le droit de refuser ces billets comme ils peuvent refuser des chèques personnels aujourd’hui. A présent, le crédit créé par une banque privée est directement convertible en devises fiduciaires, c’est à dire pièces et billets fabriqués par l’Etat ($, £, €…). Les devises fiduciaires créées par une loi gouvernementale sont en quantité très faibles par rapport à l’argent qui circule (environ 5 à 15%) mais l’Etat garantit l’argent créé par les banques. L’Etat accrédite ce système qui transforme de l’argent créé par les banques en argent officiel et permet aux banques de s’enrichir grâce aux intérêts payés par les emprunteurs.
Si les gouvernements et les banques peuvent créer de l’argent, combien d’argent y a-t-il dans le monde ?
Autrefois le montant total d’argent était fixé par le matériel déposé en garantie ; par exemple, pour avoir plus d’argent basé sur l’or, il fallait trouver davantage d’or. Il y avait une limite physique.
A présent on crée l’argent à partir de dettes. Chaque fois que quelqu’un fait un emprunt à une banque, de l’argent est créé. Le montant total d’argent qu’il est possible de créer n’a qu’une seule limite réelle, le montant total de la dette. Les gouvernements placent une limite légale sur la création d’argent fictif en imposant des règles sur les obligations de réserves fractionnelle. Mais ces obligations sont fondamentalement arbitraires ; elles varient d’un pays à un autre, d’une époque à une autre. Longtemps il a été commun d’exiger que les banques aient au moins 1 $ en réserve pour garantir 10 $ d’ « argent-dette ». Mais aujourd’hui les ratios de réserves minimales ne s’appliquent plus du tout au rapport entre argent nouvellement créé et or en dépôt. Les réserves d’une banque sont faites de deux choses : le montant en devises bien réelles qu’elle a déposé à la banque centrale (le « principal ») et le montant total de son argent-dette.
Les banques créent de l’argent, c’est de l’« argent-dette », et s’enrichissent en exigeant des intérêts. Remarquons que ceux qui empruntent sont souvent des salariés qui comptent sur leurs salaires pour rembourser la banque dans le futur. On constate donc que ceux qui créent des richesses, les salariés, s’endettent et enrichissent les banques qui ne font que créer de l’argent fictif.
La dette perpétuelle
Les banquiers créent le montant du principal ; ils ne créent pas l’argent qui sert à payer les intérêts. D’où vient-il ?
Le seul endroit où les emprunteurs peuvent trouver l’argent pour payer les intérêts est l’ensemble des fonds de l’économie générale ; mais tous ces fonds ont été créés de la même façon à partir de crédits bancaires. Donc partout il y a des emprunteurs qui se trouvent dans la même situation et qui cherchent désespérément l’argent pour rembourser le principal et les intérêts dans une réserve globale d’argent qui ne contient que le principal. Il est impossible pour tout le monde de payer le principal et les intérêts car l’argent des intérêts n’a pas été créé.
Le grand problème pour les emprunts à long terme c’est que, comme les hypothèques et les emprunts gouvernementaux pour lesquels les intérêts dépassent largement le principal, les risques de saisies et donc les dangers pour l’économie sont très grands ; à moins de créer continuellement de l’argent pour payer les intérêts.
Pour que la société continue de fonctionner, le taux de faillites et saisies doit rester bas. De plus en plus de nouvelles dettes doivent être créées pour trouver l’argent qui servira à payer les dettes précédentes. Alors bien sûr la dette totale augmente avec les intérêts, ce qui cause une escalade exponentielle de l’endettement. Seul le temps qui sépare la création des nouveaux emprunts et leur remboursement empêche le manque d’argent global de mettre le système en faillite. Mais pendant que le monde du crédit bancaire grossit, le besoin de créer toujours plus d’argent pour le nourrir devient toujours plus urgent.
D’autre part l’argent facilite la production et le commerce ; quand la quantité d’argent augmente l’argent perd de sa valeur, c’est l’inflation ; à moins que le volume de production et de commerce dans le monde réel augmente proportionnellement pour compenser cette augmentation. Quand on parle d’une croissance économique de 3% par an, est-ce un taux constant ? non, les 3% de cette année représentent plus de matériaux, plus de services que les 3% de l’année précédente (3% d’un niveau total) ; la courbe de croissance n’est pas plate, c’est une courbe exponentielle de plus en plus raide.
Une croissance perpétuelle de l’économie réelle exige une escalade perpétuelle de la consommation des ressources et de l’énergie.
Une autre constatation : partout dans le monde les gouvernements empruntent de l’argent aux banques privées ; la dette gouvernementale est une composante majeure de la dette globale. Une énorme partie de nos impôts va au paiement de cette dette. Mais les gouvernements ne pourraient-ils pas créer de l’argent dont il ont besoin ?
Un concept différent de l’argent s’impose.
Pourquoi les gouvernements choisissent-ils d’emprunter de l’argent aux banques privées avec intérêt quand ils pourraient créer tout l’argent qu’il leur faut, sans intérêt ?
Pourquoi créer de l’argent à partir du processus de dette ? Pourquoi ne pas créer de l’argent qui circule en permanence et qui ne doit pas sans cesse être réemprunté pour exister ?
Comment un système monétaire fondé sur l’accélération perpétuelle de la croissance peut-il servir à construire une économie durable ? une croissance en accélération perpétuelle est incompatible avec la durabilité.
Pourquoi notre système actuel, dépend-il entièrement d’une croissance perpétuelle. Que faut-il changer pour créer une économie durable ?
Alternatives
Comme alternative et en réponse à toutes ces questions, il serait bon de demander la création d’un vaste pôle bancaire public qui serait un outil très utile à la dynamique et à l’orientation de l’économie. l’Etat n’aurait plus à emprunter. Une monnaie est un bien public et c’est un comble de laisser la finance se servir de cet instrument et d’en priver la majorité des citoyens. Ce pôle éviterait la spéculation qui s’est développée ces dernières années. Ce sont les salariés qui créent la richesse et non les gens qui spéculent. La création monétaire de ces dernières années a largement alimenté la spéculation monétaire au lieu de financer les écoles, la santé , l’augmentation des salaires ou la réduction du temps de travail. Ne pourrait-on pas utiliser la crise financière actuelle qui se transforme en crise économique et sociale pour stopper le processus de privatisation déjà bien avancé du système financier ? L’Etat pourrait consolider les participations publiques et nationaliser les banques qui demandent des fonds publiques pour survivre à la crise et créer un grand pôle bancaire qui, si on applique les lois de la démocratie, serait entre les mains des citoyens.
Parallèlement, il serait urgent de renforcer les règles et les contrôles des acteurs financiers et des banques privées et publiques ; ceci implique un renversement radical de la politique menée dans le cadre de l’Union européenne qui a donné jusqu’ici la priorité à la libéralisation des systèmes financiers et un changement de politique de la banque centrale européenne prompte à dénoncer les hausses de salaire rendues seules responsables de l’inflation mais qui ne s’opposent pas, bien au contraire, aux comportements spéculatifs responsables des bulles financières. C’est une rupture politique radicale qui s’impose si l’on veut éviter d’autres crises.
Anne-Marie Le Squeren