Le pire n’est pas sûr !
Par Philippe Frémeaux
Nous avons au moins quatre raisons d’espérer :
• La transition démographique s’opère plus rapidement qu’on ne l’avait jusqu’à présent prévu. La population de la planète pourrait se stabiliser à un niveau qui devrait permettre de satisfaire les besoins de tous. Cela suppose néanmoins de prendre sans attendre les bonnes décisions, car la Terre ne pourra pas nourrir neuf milliards d’habitants, produire des agrocarburants pour faire le plein de quatre milliards de voitures et répondre aux besoins de la chimie verte…
• Nous ne sommes pas condamnés à vivre dans la frustration. C’est au contraire l’hyperconsommation sur fond d’inégalités croissantes qui l’entretient. Réduire notre pression sur les ressources ne signifie pas nécessairement une réduction de notre bien-être individuel et collectif. Car les vraies richesses sont d’abord le produit de l’intelligence humaine, de la connaissance, qui peut s’accumuler sans fin. Dans ces conditions, l’amélioration du bien-être des uns n’implique pas nécessairement la dégradation des conditions de vie des autres, comme dans un système de vases communicants. Ce n’est pas parce que les maçons chinois apprennent à mieux construire des maisons que nos habitats vont devenir moins solides ! Nous ne sommes donc pas voués à la guerre de tous contre tous à laquelle nous condamne le système actuel.
• Nos possibilités techniques sont sans commune mesure avec ce qu’elles ont été dans toute l’histoire antérieure de l’humanité. Elles peuvent être mises au service de la destruction de l’humanité comme de la mise en place d’une économie qui réduirait radicalement sa pression sur les ressources. Dire cela ne signifie pas qu’il ne faut rien faire parce que la technique va tout résoudre, mais que les moyens dont nous disposons pour réorienter radicalement nos modes de production et de consommation sont sans précédent dans l’histoire.
• Si l’énergie solaire est disponible en quantité illimitée à l’échelle humaine, ce n’est pas le cas des autres ressources. Les pénuries annoncées, si le scénario “business as usual” se poursuit, justifient la course à la puissance des Etats, une puissance assise sur le développement économique et technologique. La fuite en avant dans la croissance tend à devenir le moyen de se prémunir des conséquences mêmes de la croissance. C’est cette course suicidaire qu’il faut impérativement arrêter. Une part grandissante de l’opinion en est désormais consciente. Sans que les décisions suivent, du fait de la résistance qu’oppose le monde ancien au monde nouveau qu’il faut faire naître.
La mobilisation citoyenne en marche
Il n’empêche, au-delà des partis qui se réclament de l’écologie, la nécessité d’engager la transition écologique est de plus en plus perçue dans toute la sphère politique. En témoignent les collectivités locales qui s’efforcent d’accroître la résilience de leur territoire. L’augmentation du nombre de chercheurs et d’universitaires qui travaillent sur ces sujets, y compris dans les bastions des anciens modèles de croissance, le confirme aussi. Dans tous les domaines – urbanisme, transports, agriculture, construction, procédés industriels -, la préoccupation écologique s’affirme. Au-delà, la mobilisation citoyenne se renforce à travers de multiples organisations non gouvernementales, et pas seulement dans les pays riches.
Reste à agir à plusieurs niveaux. Le premier enjeu est de cesser d’opposer les exigences du court terme à celles du long terme. On ne peut plus repousser à demain les mesures de réorientation structurelle de l’économie au prétexte qu’il faudrait d’abord sortir des difficultés macroéconomiques présentes. Au contraire, pour ne prendre qu’un exemple, tout ce qui nous permet d’aller rapidement vers une plus grande indépendance énergétique, soit en consommant moins, soit en produisant autrement, peut contribuer à l’activité, sécuriser les bases de l’activité économique et réduire les tensions géostratégiques. Il faut donc agir sans attendre.
Il faut ensuite rendre la transition écologique acceptable par tous. Ce qui suppose de dissocier le niveau de l’emploi de celui de l’activité marchande et d’assurer une distribution des revenus permettant à chacun de vivre dans la dignité. La transition vers une économie soutenable doit donc aller de pair avec la construction d’une société donnant plus de place au temps libre. Cela ne relève pas du rêve, mais de tendances déjà à l’oeuvre dans la société actuelle.
Transformer l’économie
Il faut imposer dans le débat public l’usage de nouveaux indicateurs de richesse et de bien-être social. Ces nouveaux indicateurs n’ont pas seulement pour but de dénoncer la religion du produit intérieur brut et le coût écologique du productivisme, mais de valoriser les résultats obtenus dans la conversion écologique de l’économie. Les progrès individuels et collectifs de notre niveau de vie ne doivent plus seulement être mesurés à la croissance de nos revenus monétaires.
La transition écologique a aussi besoin de citoyens actifs à tous les niveaux, du local au mondial, qui développent des expérimentations en marge de l’économie marchande et en complément de l’Etat social (production et gestion des biens communs, économie solidaire, cercles d’échange locaux…). La transition écologique doit aussi être une transformation sociale qui ne peut être laissée aux seuls experts et responsables politiques.
Les progrès de la productivité entraînés par la révolution industrielle ont permis à l’humanité de travailler moins en vivant mieux, au prix d’une consommation effrénée de ressources. Il nous faut aujourd’hui transformer l’économie afin que nous puissions tous vivre mieux en consommant moins, réconcilier le nécessaire et le souhaitable afin de le rendre désirable par tous.
Philippe Frémeaux
Source : article publié « en guise de conclusion » dans Alternatives Economiques Poche n° 61 – mars 2013 intitulé : « L’économie verte en trente questions ». En kiosques actuellement et en vente en ligne.
http://www.alternatives-economiques.fr
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