Evasion fiscale : la France entre marche avant et marche arrière
Les sénateurs, à la suite des députés, ont rejeté la semaine dernière (16 octobre) l’obligation pour les entreprises – déjà en vigueur pour les banques – de transparence de leurs activités pays par pays. Une mesure pourtant indispensable à la lutte contre l’évasion fiscale, réaffirment ensemble le CCFD-Terre Solidaire, le Secours Catholique-Caritas France, One France, Oxfam France et Sherpa.
La société civile demande depuis plus de dix ans que les entreprises publient un « reporting pays par pays », c’est-à-dire des informations concernant leurs activités (profit, chiffre d’affaires, nombre d’employés) et les impôts qu’elles payent dans chaque territoire où elles sont implantées, de manière à révéler les transferts artificiels de profits et les pratiques d’évasion fiscale les plus agressives. D’abord accueillie avec suspicion, longtemps considérée comme « la lubie de la société civile », cette proposition est aujourd’hui enfin reconnue comme une solution sérieuse et crédible, grâce à la ténacité des organisations de la société civile (Tax Justice Network [1] à l’international, la Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires [1] au niveau français) et à la faveur de scandales financiers, touchant particuliers et multinationales.
D’abord voté en France en 2013 dans le cadre de la loi bancaire, ce reporting est désormais obligatoire pour toutes les banques européennes. Il est d’autre part déjà rendu en partie public par les banques françaises, et a même été récemment proposé comme un modèle obligatoire pour toutes les entreprises, tous secteurs confondus, par l’OCDE (bien que sous une forme non publique). Récemment, même PriceWaterhouseCoopers, qui s’était positionné par le passé contre cette proposition, considère maintenant qu’un reporting public permettrait non seulement de lutter contre l’évasion fiscale, mais surtout d’avoir des effets positifs sur la compétitivité [3] des entreprises et sur l’investissement.
Cependant, en dépit de ce retournement de situation, les sénateurs, à l’instar de la majorité des députés quelques semaines plus tôt, ont cédé devant le gouvernement en refusant d’exiger des industries extractives françaises ces mêmes informations, le rapporteur du projet de loi les jugeant « trop intrusives ». Le texte sur lequel ils se sont penchés jeudi 16 octobre [4], qui transpose les directives européennes Transparence et Comptable, n’introduit pour le moment pour les entreprises de ce secteur qu’une simple obligation de publier les paiements qu’elles font aux gouvernements des pays dans lesquelles elles ont une activité d’exploitation. Un premier pas, certes, mais qui ne saurait, a contrario de ce qu’explique le communiqué de presse [5] du Conseil de l’Union européenne du 28 septembre dernier, être qualifié d’instrument de « lutte contre l’évasion fiscale ». Impossible en effet, avec le texte voté au Sénat, d’avoir des explications sur les raisons de la présence de Total aux Bermudes, par exemple.
L’argument de « l’impact négatif sur la compétitivité des entreprises françaises » encore invoqué jeudi au Sénat est aujourd’hui « à rebours de l’histoire ». Les publications par les banques françaises, en juillet dernier, des premières informations pays par pays ne paraissent en effet nullement avoir entaché leur compétitivité.
A quelques semaines d’un G20 qui sera crucial dans la lutte contre l’évasion fiscale des entreprises multinationales, il est indispensable que la France réaffirme sans ambiguïté ses positions et ses ambitions en matière de transparence au risque de voir d’autres pays revendiquer les victoires d’un combat qu’elle a toujours porté.
Caroline Dorémus-Mège (CCFD-Terre Solidaire)
Emilie Johann (Secours Catholique-Caritas France)
Friederike Röder (One France)
Nicolas Vercken (Oxfam France)
Sophie Lemaître (Sherpa)
Notes :
[1] http://www.taxjustice.net/ [2] http://www.stopparadisfiscaux.fr/ [3] http://www.euractiv.com/sections/euro-finance/publishing-banks-taxes-and-turnover-will-help-economy-says-pwc-308902 [4] http://www.senat.fr/seances/s201410/s20141016/s20141016015.html#section2007 [5] http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/en/intm/144945.pdfSource : tribune publiée le 20 octobre 2014 dans Les invités de Médiapart à :
► A lire également :
« 30 organisations appellent les députés à garantir la transparence dans les industries extractives et forestières » publié le 15 sept. 2014 à :
http://ccfd-terresolidaire.org/infos/partage-des-richesses/paradisfiscaux/30-organisations-4749
► Aller plus loin :
LIRE la nouvelle publication (octobre 2014) du CADTM (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde) :
DETTE et EXTRACTIVISME, par Nicolas Sersiron
L’extractivisme, ce pillage des ressources naturelles de la planète par la force, a donné à l’Europe puis aux États-Unis les moyens de dominer le monde. Depuis la disparition des colonies, la dette illégitime, nouvelle violence imposée aux pays dits « en développement », a permis d’assurer la continuité du pillage. Cette dette a amplifié le système extractiviste, initialement appliqué aux produits fossiles et agricoles, en l’étendant aux ressources financières du Sud puis aujourd’hui du Nord. Elle impose le remboursement par les populations de dettes dont elles ne sont pas responsables mais victimes. Dette et extractivisme, intimement liés, sont acteurs d’injustice, de corruption, de violences sociales et environnementales, ils sont également à l’origine du dérèglement climatique. Des alternatives pour créer une société post-extractiviste, soucieuse du climat et des peuples existent. L’audit et l’annulation des dettes illégitimes, la réduction des inégalités, la fin du pillage extractiviste, sont quelques-uns des combats citoyens essentiels proposés dans ce livre.
« Dette et extractivisme – La résistible ascension d’un duo destructeur » par Nicolas Sersiron, Préface Paul Ariès, Edtions Utopia, Collection Ruptures, format 12 x 20 cm, 208 pages, 8 €, 2014.
Commande en ligne à : http://cadtm.org/Dette-et-extractivisme