Le président du CRIF exige une loi contre l’antisionisme : l’historien Dominique Vidal lui répond
Propos recueillis par Nadir Dendoune
Dominique Vidal est journaliste et historien. Spécialiste de la question israélo-palestinienne, il est l’auteur de plusieurs ouvrages. Il sort en janvier, chez Libertalia, un livre intitulé : « Réponse à Emmanuel Macron. Antisionisme = antisémitisme ? ».
Choqué par une interview de Francis Kalifat[1], le président du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France), qui exige une loi française contre l’antisionisme, Dominique Vidal répond à nos questions.
Le président du CRIF veut criminaliser l’antisionisme. Cela vous inquiète-t-il ?
Dominique Vidal : J’avais souligné, en juillet dernier, l’erreur commise par le président de la République en invitant le Premier ministre israélien à la commémoration du 75e anniversaire de la rafle du « Vel’ d’Hiv’ » et plus encore en concluant son (excellent) discours par une phrase amalgamant antisionisme et antisémitisme. Avec ce geste sans précédent, Emmanuel Macron croyait sans doute calmer les ardeurs de Benyamin Netanyahou. Il a, au contraire, excité ses appétits : via le président du CRIF, Francis Kalifat, le leader de la droite israélienne qui exige maintenant une loi réprimant l’antisionisme.
Visiblement, ni Israël ni ses inconditionnels français ne comprennent quoi que ce soit à la démocratie : l’antisémitisme, comme tous les racismes, est un délit ; l’antisionisme est une opinion. Imagine-t-on les communistes proposer qu’une loi interdise l’anticommunisme ? Ou les gaullistes demander l’interdiction légale de l’antigaullisme ? Ou La France insoumise souhaiter que ses adversaires soient mis hors la loi ?
Il est vrai que, depuis quelques années, la droite et l’extrême droite israéliennes ont imposé à la Knesset (NDLR : le parlement israélien) un arsenal de lois liberticides, qui entraînent Israël dans un redoutable processus de fascisation. Même l’adjectif démocratique devrait disparaître de la définition de l’État juif [2].
Si, chez nous, une loi contre l’antisionisme devait s’imposer, ce serait une atteinte sans précédent aux libertés républicaines, et notamment à la liberté d’expression. Avec pour but évident d’interdire toute critique d’Israël et de sa politique…
Juridiquement, est-ce possible ?
Théoriquement, non. La loi, en France, punit des délits, pas des idées. En matière d’idéologie, chez nous, seuls le racisme, l’antisémitisme et le négationnisme sont prohibés.
Mais les présidents de la République successifs n’ont, on l’a vu, rien refusé à Israël. Lancée sous Sarkozy, poursuivie sous Hollande et relayée par Macron, la criminalisation de la campagne Boycott-Désinvestissement-Sanctions (BDS) a fait, déjà, des victimes parmi les militants de la paix.
J’observe toutefois qu’elle ne repose sur aucune loi, mais sur un jugement de la Cour de cassation, que la Cour européenne des droits de l’homme, saisie par les avocats, pourrait retoquer. D’autant que la ministre des Affaires étrangères de l’Union européenne, Federica Mogherini, répète que « l’Union européenne se positionne fermement pour la protection de la liberté d’expression et de la liberté d’association, en cohérence avec la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui est applicable au territoire des États membres de l’UE, y compris en ce qui concerne les actions BDS menées sur ce territoire ».
Bref, j’imagine mal le Conseil constitutionnel cautionner une nouvelle forfaiture.
Expliquez-nous la différence entre antisionisme et antisémitisme.
L’antisémitisme est une forme de racisme visant les Juifs. L’antisionisme marque une opposition à l’idée selon laquelle tous les Juifs, inassimilables dans les pays où ils vivent, devraient se regrouper dans un “État des Juifs”, en l’occurrence en Palestine. Si une petite minorité utilise l’antisionisme pour camoufler son antisémitisme, l’immense majorité des antisionistes critiquent simplement Israël et sa politique.
L’amalgame entre antisémitisme et antisionisme est d’autant plus stupide que les antisionistes sont pour la plupart juifs. Jusqu’à la Shoah, le gros des communautés juives était d’ailleurs hostile au sionisme. Le génocide a amené une partie d’entre elles à émigrer vers Israël. Reste que la majorité des Juifs n’a pas choisi – encore aujourd’hui – d’aller y vivre. Ces Juifs non sionistes sont-ils antisémites ?
Notes :
[1] L’extrait de l’interview de Francis Kalifat est paru ce lundi 6 novembre dans la newsletter du CRIF. Le voici :
« A.J : Lors de ses vœux à la communauté juive, le 2 octobre, le Premier ministre Édouard Philippe a annoncé un nouveau plan contre l’antisémitisme à partir de 2018. Il a également dénoncé « la banalisation de l’antisémitisme et de sa forme réinventée […] qu’est l’antisionisme ». Au-delà du constat, nécessaire et attendu, que faut-il faire pour lutter contre ces phénomènes de haine ?
F.K. : Dire que l’antisionisme est une nouvelle forme de l’antisémitisme, c’est la reconnaissance d’une réalité qu’au Crif, nous martelons depuis longtemps, notamment à travers notre combat contre le mouvement BDS. Il faudrait maintenant sortir du déclaratif. La réflexion doit désormais porter sur la manière dont on réprime ce nouvel antisémitisme. La législation française, très aboutie dans la lutte contre l’antisémitisme « classique », ne dispose pas encore d’un arsenal juridique pour combattre l’antisionisme. Pourtant, cet outil juridique existe à travers la définition de l’antisémitisme donnée par l’IHRA (International Holocaust Remembrance Alliance), reprise et votée par le Parlement européen en juin dernier. J’ai demandé au Premier ministre, au ministre de l’Intérieur et à la ministre de la Justice de faire en sorte que cette définition, qui prend en compte l’antisionisme comme forme nouvelle de l’antisémitisme, soit transposée dans l’arsenal législatif français. Pour notre part, nous travaillons à la mise en place d’un observatoire de la haine sur le Net qui donnera lieu à un rapport annuel, à l’image de celui qui existe pour les actes et violences antisémites. »
[2] Dans une de ses lois fondamentales, Israël est défini comme un « État juif et démocratique ». La nouvelle loi en débat à la Knesset évoque l’« État-nation du peuple juif ».