Affaire Barros : Mgr Scicluna a rencontré Juan Carlos Cruz.
Mgr Charles Scicluna, envoyé du Pape, est arrivé à New York samedi 17 février, où il a rencontré Juan Carlos Cruz, un des trois plaignants de l’affaire Karadima. Il sera à Santiago lundi 19. Il rencontrera, entre autres, James Hamilton et José Murillo (les deux autres plaignants), une délégation des laïcs d’Osorno, le Père Kliegel [1]. Il est prévu qu’il remette son rapport au Pape dès son retour à Rome, lundi 26 février.
Le nonce apostolique Ivo Scapolo (celui-là même qui avait fait capoter la démission de Barros en 2015, d’après la lettre découverte à la veille de l’arrivée du Pape) avait tenté une manœuvre pour s’immiscer dans la mission Scicluna. Il voulait qu’un seul représentant des laïcs soit reçu, mais l’Archevêque a décidé qu’il recevrait toute la délégation. Le nonce a aussi demandé que les victimes et les représentants des laïcs lui adressent sous forme synthétique, l’essentiel des informations qu’ils souhaitaient soumettre à Mgr Scicluna. Les témoins, victimes et laïcs y ont vu la volonté de maîtriser les éléments apportant des “évidences”, et rappellent sa proximité avec le Cardinal Angelo Sodano. Juan Carlos Cruz a obtenu de lui envoyer les documents directement. Il désire “maintenir l’enquête indépendante, loi des griffes de l’Église chilienne”. Quant à Juan Carlos Claret, porte-parole des laïcs d’Osorno, il exprime l’inquiétude que lui inspire la demande du nonce, “au cours des trois dernières années, il a été (le nonce) celui qui a bloqué toute tentative de dialogue, non seulement avec le clergé, mais aussi avec les laïcs”.
Nombreux sont les observateurs qui guettent les indices de ce qui se passe. Selon Elisabeta Piqué, vaticaniste argentine qui s’exprime généralement dans La Nacion, la mission de Scicluna est une décision personnelle du Pape qui ne plait pas à tout le monde à la Curie. Subsiste en effet une “vieille garde” qui se satisferait de la perpétuation des habitudes qui ont longtemps assuré la couverture de l’Institution.
Dans la semaine, le porte-parole du Vatican, Mgr Greg Burke a dévoilé le fait que le Pape François recevait fréquemment le vendredi des victimes d’abus sexuels. Ces entretiens restent discrets, ne sont connus ni du public, ni même de ses proches collaborateurs. Nicole Winfield, vaticaniste reconnue comme fiable et qui travaille pour Associated Press, a émis un certain scepticisme sur ce point, notant que cette annonce arrive à point pour dissiper le malaise causé par l’attitude du pape vis-à-vis de l’évêque Barros (lors de son séjour au Chili). Cette approche est reprise et diffusée par de multiples organes de presse des États-Unis [2].
Enfin, on apprenait en fin de semaine que le Pape avait nommé neuf nouveaux membres à la Commission Pontificale pour la protection des mineurs. Celle-ci était arrivée en fin de mandat et avait été secouée par les blocages de la Curie et les démissions de Peter Saunders et Marie Collins. La présidence demeure assurée par le Cardinal O’Malley.
Samedi soir 17 février, Cruz a succinctement évoqué sa rencontre avec Mgr Scicluna. Il a fait savoir qu’il avait été favorablement impressionné par l’attitude de l’envoyé du pape François : “pour la première fois, j’ai l’impression d’avoir été écouté… Mgr Scicluna a montré de la compassion pour les victimes, et a pleuré à l’évocation des abus”. Toutefois, il met en garde contre le fait que les victimes ne sont pas assurées d’obtenir justice : “je ne sais pas ce qu’il en sortira”, a-t-il dit. Cruz a pu aussi remettre les noms d’autres victimes, mais qui ne se sont pas fait connaître. Mgr Scicluna a dit qu’il les appellerait pour les rencontrer s’ils le souhaitent.
Juan Carlos Cruz à la sortie de l’église du Saint Nom de jésus à Manhattan – (17/2/2018)
L’article de Reflexion y Liberacion que nous publions ci-dessous, d’une tonalité optimiste, exprime l’espérance des Chiliens de voir le problème enfin traité convenablement.
Notes :
[1] http://nsae.fr/2018/01/31/lettre-du-pere-peter-kliegel-osorno-a-la-conference-des-eveques-du-chili/ [2] Par exemple : Le pape François dit rencontrer presque chaque semaine des victimes d’abus (National Catholic Reporter)_____________
MONSEIGNEUR SCICLUNA : DIALOGUE, ACCUEIL ET COMPASSION
Par Jaime ESCOBAR M. Rédacteur en chef de la Revue “REFLEXION Y LIBERACION” – CHILI
Comme on pouvait s’y attendre, la rencontre entre l’archevêque de Malte Charles Scicluna et Juan Carlos Cruz à l’église du Saint Nom de Jésus de Manhattan, s’est déroulée dans une ambiance de dialogue sincère, d’accueil et de compassion.
La presse internationale qui attendait Juan Carlos Cruz à la sortie de la paroisse a bien couvert une partie de ce qu’a été cette rencontre, attendue, entre l’émissaire du pape François et une des victimes de Fernando Karadima que n’a cessé de dénoncer avec courage que l’évêque d’Osorno, Juan Barros Madrid, avait connaissance ces abus sexuels et psychologiques et c’est tu durant des années. Bien plus, cet évêque, ainsi que les titulaires de Talca, Horacio Valenzuela et de Linares, Tomislav Koljatic l’ont défendu de diverses manières, en envoyant des lettres et des émissaires à Rome, pour essayer de limiter les graves accusations portées contre leur ancien mentor. Finalement, le Vatican a reconnu la validité des accusations et a condamné Karadima.
Dès le début, nous avons accueilli ici avec joie la décision du Pape de déléguer Mgr Scicluna pour écouter toute personne ayant des preuves ou des informations, et enquêter minutieusement sur les accusations de dissimulation d’abus de Mgr Barros. Nul doute que cette décision, émanant de la plus haute autorité de l’Église catholique, est un signe clair que la décision a été prise d’en terminer d’une manière péremptoire et définitive avec l’”affaire Barros”, afin que reviennent dans le diocèse d’Osorno une situation normale, l’unité et la paix.
Durant le voyage du pape au Chili, de nombreuses personnes se sont demandé : Qui le Saint-Père écoute-t-il donc ? Seulement le Nonce Ivo Scapolo et un de ses conseillers directs le Cardinal Francisco Javier Errazuriz…
Aujourd’hui, et devant les faits nouveaux qui ont ébranlé l’opinion publique mondiale, on peut dire que le Pape cherche davantage dans les antécédents, sans interférence, et dans un esprit de dialogue respectueux, pour aboutir à la vérité sans préjugé. C’est précisément ce qui s’est produit ce samedi à la Paroisse de New York lors de la rencontre entre l’envoyé du Pape et une des victimes de Karadima.
Nous devons reconnaitre qu’il y a maintenant une cohérence plus directe et plus crédible avec ce que dit la Commission Pontificale pour la Protection des mineurs qui suit ces problèmes avec bonheur, sous la direction du cardinal de Boston, Sean O’Malley. Il redit que l’Église a besoin d’entendre la voix des gens qui ont été maltraités. De plus, ces derniers temps, le Cardinal, qui est un homme respecté, a joué un rôle important pour que le Pape désigne un expert dans les enquêtes sur les abus sexuels et complicités de membres du clergé catholique, et c’est la carte de visite de Mgr. Charles Scicluna.
Dans cette nouvelle démarche qui commence, sous la responsabilité de l’évêque Scicluna, il y a un aspect de la plus haute importance : la grave crise que traverse l’Église chilienne, comme cela s’est manifesté dans la série d’incidents malheureux qui se sont succédé avant et pendant la visite du pape François. Cette situation est tellement préoccupante qu’elle a été dénoncée par bon nombre de prêtres, religieux et laïcs de divers diocèses du pays. De même, cela a mis en évidence une anomalie dans la manière dont ont été traités le “Cas Barros” et d’autres épisodes d’abus de même nature, semblables par leur caractère dramatique et le manque de justice.
Déjà avant la visite “ad limina” des évêques à Rome, des voix s’étaient élevées pour demander plus de transparence, plus de dialogue et moins de discrédit pour les personnes qui critiquaient le statu quo – qu’elles soient consacrées ou non – pour qu’on recherche des voies de compréhension et pour essayer de surmonter le lamentable état de manque de confiance et de crédibilité de l’Église et de sa hiérarchie. Ces voix n’ont pas été écoutées, et c’est pour cela qu’aujourd’hui se renouvelle l’espérance en ce que va pouvoir voir et entendre l’Archevêque de Malte qui va rapidement se trouver à travailler avec nous, et en rencontrant ensuite le Saint-Père pour lui communiquer les fruits de sa délicate et nécessaire mission au Chili.
On perçoit enfin un vent de changement dont l’Église catholique chilienne a un urgent besoin: il n’est pas possible de continuer au milieu de ces incertitudes et de ces différentes crises en tout genre qui affectent et retardent l’évangélisation et la praxis correcte d’une Église appelée à être missionnaire, accueillante, et servante, et sans faux fuyants. Aujourd’hui, c’est une bonne nouvelle que la reconnaissance sincère de Juan Carlos Cruz, après sa rencontre avec l’envoyé du Pape. “Pour la première fois, j’ai l’impression qu’ils nous écoutent… Mgr Scicluna a pleuré avec moi”.
Il y a quelques semaines, les laïcs d’Osorno ont fait une déclaration publique qui n’est pas passée inaperçue à Rome: “Nous considérons que la première des choses à faire est de dialoguer sérieusement pour trouver une sortie du dramatique “cas Barros” et, de cette manière, parvenir au changement que nous attendons tous. Une fois ce juste souhait réalisé, on retrouvera une situation normale, l’unité ecclésiale et la paix. Cela se produira nécessairement lorsque Juan Barros Madrid présentera sa démission au Pape François. Sinon la blessure continuera à saigner, en n’éclaboussant pas uniquement l’Église catholique du Chili.”
Les quatre évêques formés par Karadima le bénissent (au centre Barros)
Traduction : Régine et Guy Ringwald