Par Cécile Barbière
Dans un avis très critique, le Conseil économique, social et environnemental français dénonce les entraves au droit d’asile induites par le système de Dublin. Et appelle la France et l’UE à une réforme en profondeur.
« Dublin, c’est comme être prisonnier ». Louison Mungu est demandeur d’asile congolais de 44 ans. Ce 24 mai, il est venu témoigner à la tribune du Conseil Économique, Social et Environnemental, à l’occasion du vote du rapport sur la politique d’accueil de l’UE. Il décrit la situation précaire que vivent une grande partie des exilés débarquant sur le continent européen.
« Le système de Dublin, cela signifie que je ne peux pas déposer de procédure d’asile en France et que je crains de me faire expulser,» a-t-il expliqué.
Aujourd’hui, le système de Dublin fait peser la responsabilité de l’accueil et de la prise en charge des demandeurs d’asile sur les États de première entrée, tels que la Grèce ou l’Italie. Dès leur arrivée, les empreintes digitales des exilées sont enregistrées dans le fichier européen Eurodac.
Une fois « dublinés » dans le pays d’entrée, les exilés sont notamment tenus de déposer leur demande d’asile dans le même pays. Mais la majorité ne le fait pas, préférant rejoindre un autre pays pour des raisons familiales, ou de connaissance de la langue. De nombreux Africains parlent français, mais pas l’italien, choisissent de venir en France. Mais ils s’exposent alors à l’expulsion vers le pays d’entrée.
Parcours du combattant
Un parcours de l’absurde au cours duquel les exilés sont tenus à l’écart de toute prise en charge dans un système d’accueil respectueux de droit humain. Et que le rapport du CESE pointe du doigt comme une des dérives de la politique d’accueil européenne.
La « poursuite d’objectifs parfois contradictoires » par les États est notamment pointée du doigt. En effet, les pays européens sont tenus de fournir aux réfugiés « un accueil conforme aux obligations internationales », mais organisent dans le même temps « une gestion des frontières qui tente d’éviter l’arrivée supplémentaire de demandeurs d’asile sur leur territoire ».
« Le développement d’une politique commune de l’asile passe […] par la possibilité de déposer une demande d’asile sur le territoire d’un État membre de l’UE. En ce sens, tout obstacle visant à empêcher l’accès au territoire de l’UE entre en contradiction avec la garantie du droit d’asile. », souligne le rapport, qui dénonce l’externalisation des frontières, mais aussi les barrières internes à l’exercice du droit d’asile.
« En Italie, beaucoup d’entre nous ont été placés dans des camps ou utilisés comme esclaves, en Bulgarie nous avons été victimes de violence policière » raconte Louison, qui a choisi de rejoindre la France alors que ses empreintes ont été enregistrées à son arrivée en Italie. « Mais quand on parle le français, qu’on nous a enseigné l’histoire de la France à l’école, c’est normal de vouloir déposer sa demande d’asile en France où l’on a plus de chance de s’intégrer ».
Le parcours du Congolais ne diffère pas de celui d’une vaste partie des demandeurs d’asile en Europe, où les rigidités du système de Dublin imposent un pays d’accueil potentiel aux exilés, et une vaste partie de la charge migratoire aux pays méditerranéens.
Pour y répondre, la Commission européenne a tenté de mettre en place un système de relocalisation des demandeurs d’asile entre les différents pays. Boycotté par un certain nombre d’États membres et inadapté pour les exilés, le système de compensation s’est avéré « inefficace », souligne le rapport réalisé par Emelyn Weber et Paul Fourier.
« Les États membres demeurent majoritairement convaincus par le système de Dublin » déplore le rapport. Et pour maintenir le carcan de Dublin, la politique et les financements des États européens « se concentre toujours plus sur le contrôle, voire la rétention des dubliné.e.s en vue de l’organisation de transferts. », regrettent les rapporteurs, au détriment de l’accueil des personnes.
C’est précisément le paradigme pointé par le rapport adopté par le CESE le 23 mai. « L’humain, c’est ce qu’on tend à oublier depuis le début de la crise migratoire » a rappelé Paul Fourier lors de la présentation du texte dans l’hémicycle. « Ces dernières années, les États européens ne se sont pas montrés à la hauteur » a-t-il poursuivi.
Fiction de Dublin
« Dublin repose sur la fiction que les demandeurs d’asile ont les mêmes chances d’obtenir l’asile, quel que soit le pays européen. Mais cela est faux » a rappelé Emelyn Weber. Par exemple, un exilé afghan a 82,4% de probabilité de voir sa demande d’asile accepté s’il la dépose en France. Mais seulement 55,8% s’il le fait en Allemagne et 2,5% en Bulgarie.
Des divergences qui contredisent l’esprit de Dublin et qui poussent parfois les demandeurs d’asile à opter pour un pays plutôt qu’un autre. Pour y remédier, le rapport suggère une harmonisation réelle des critères de l’asile en Europe, ainsi d’une agence européenne chargée du traitement des demandes d’asile.
Autre proposition, une réforme du système de Dublin qualifié d’absurde par les rapporteurs. Une nouvelle réforme doit être discutée par les instances européennes au mois de juin. Mais la proposition mise sur la table par Bruxelles ne réforme pas le système en profondeur, mais prévoit un mécanisme correcteur automatique en cas d’afflux de demandeurs d’asile. Une proposition qui demeure très proche du précédent système de relocalisation, malgré l’échec de sa mise en œuvre.
À l’inverse, le CESE encourage le gouvernement français à soutenir le mécanisme proposé par le Parlement européen, qui prend en compte les liens potentiels (regroupement familial, études passées, connaissance de la langue) ainsi que la volonté du demandeur dans la procédure de relocalisation. Mais pour l’heure, les demandeurs d’asile « dublinés » comme Louison risquent toujours le renvoi vers leur pays d’entrée.
Message clair, qui nous rend plus conscient
Annie Grazon