Pédophilie et homosexualité : sortir d’une impasse ?
Par Régine et Guy Ringwald
Pédophilie, homosexualité, deux questions qui, pour tout le monde, n’ont rien à voir entre elles, deux questions que, dans l’Église catholique, on s’évertue à mélanger. Sur la pédophilie du fait des clercs, l’institution ne parvient pas à comprendre comment et pourquoi elle constitue « un terrain favorable » : cléricalisme et structure du pouvoir. Sur l’homosexualité, elle est incapable de poser un regard dépassionné. Alors, tout se passe comme si, en mélangeant les deux questions, auxquelles elle ne comprend pas grand-chose, les deux se trouveraient résolues. On peut douter de la méthode. Mais elle permet de se répandre en condamnations des uns et des autres en les assimilant, abusivement.
En effet, l’assimilation des deux permet de penser qu’en se débarrassant des homosexuels on règlerait du même coup la pédophilie. C’est ainsi qu’il y a quelques années, il a été décidé de ne plus accepter au séminaire les candidats homosexuels.
Le Pape lui-même n’est pas très clair. Il a parfois eu des paroles compréhensives, il a eu aussi des mots maladroits. Récemment, il se montrait agacé par cette « mode » de l’homosexualité. On reste interdit par l’assimilation de l’homosexualité à une mode !
Ces jours derniers, deux petites lueurs se sont allumées, deux propos sains, venant de personnes ayant une certaine autorité : le jésuite américain James Martin, et le Cardinal Reinhard Marx.
Le Cardinal Marx est archevêque de Munich. Il exprime généralement des vues qui prennent en compte les réalités de notre temps. Il passe pour avoir ses entrées auprès du Pape, sans qu’on sache toujours s’il cherche à exercer une influence ou s’il est en service commandé. Il vient de s’exprimer, le 20 décembre, devant le club de la presse de Munich. Parmi plusieurs autres sujets, et notamment la question du partage du pouvoir dans l’Église, retenons ce qu’il dit du sujet qui nous occupe.
Il dit d’abord avoir souvent parlé, avec le Pape, de la morale sexuelle catholique. Il le dit « ouvert » sur la question, mais « pas très engagé ». Il s’inquiète des « forces qui pensent que si nous n’avons plus de prêtres homosexuels, tout le problème des abus sera résolu ». Le Cardinal a dit qu’il devait y « résister ». Les prêtres homosexuels n’étaient « pas plus à risque que les autres » en termes d’abus.
James Martin est conseiller du Pape François pour la communication. Il est surtout connu pour son approche bienveillante, et pour tout dire, évangélique, sur les homosexuels. Il était intervenu au cours de la conférence sur la famille, tenue à Dublin, lors du voyage du Pape l’été dernier. Sur cette question, il est souvent attaqué. Il a publié, en 2017, un livre [1] qui est paru en traduction française, et vient d’être traduit en espagnol. À cette occasion, le site « Religion Digital » publie une interview dont on trouvera ci-dessous, la traduction. Il y tient un discours dont on aimerait qu’il fasse son chemin dans la hiérarchie. Pour sortir enfin d’une impasse.
Note :
[1] « Building a Bridge » : How the Catholic Church and the LGBT Community Can Enter into a Relationship of Respect, Compassion, and Sensitivity (HarperOne, 2017). Traduction française : « Bâtir un pont : L’Église et la communauté LGBT » éd du CERF, 2018
_______________________________
Il y a des centaines, des milliers de prêtres homosexuels qui mènent des vies de saints.
Par C. Doody et J.M. Vidal, in Religion Digital, 5 décembre 2018.
Le jésuite James Martin vient de publier en Espagne son livre « Bâtir un pont » (GC Loyola). Il invite l’Église à traiter les personnes LGBT « non comme des lépreux » comme cela a été fait, mais comme des enfants aimés de Dieu. Dans cette interview, le religieux traite aussi de faux le rapport disant que les prêtres gays ne peuvent vivre le célibat ou qu’ils sont à la base de la crise des abus de mineurs dans l’Église.
Quelle thèse défendez-vous votre livre ?
J’espère que « Bâtir un pont » aide à initier un échange au sein de l’Église sur la façon dont nous pouvons traiter nos frères et sœurs LGBT, non pas comme des lépreux, comme l’a fait l’Église dans le passé, mais comme des fenfants aimés de Dieu. Le catéchisme est ce qui l’exprime le mieux. Nous sommes invités à l’accepter avec « respect, compassion et sensibilité ».
Comment appréciez-vous le fait d’être devenu une icône de la lutte pour les droits des LGBT au sein de l’Église ?
En fait, je ne le vois pas comme cela. Je me vois plutôt comme un jésuite qui fait ce que les jésuites ont toujours fait, et que tous les Papes récents leur on demandé de faire : accompagner les personnes en marge, ou en « périphérie », comme disait le Pape François. Et il n’y a personne dans l’Église qui soit plus marginalisée que les personnes LGBT.
Êtes-vous blessé d’être attaqué si durement par les conservateurs ?
Seuls quelques-uns m’ont attaqué ouvertement. Beaucoup d’autres se sont ouverts à la discussion après avoir lu le livre ou écouté une de mes conférences. En fait, un grand nombre de ces attaques viennent de personnes qui n’ont pas lu livre. Mais la plupart de ces attaques proviennent de sites web soi-disant catholiques qui génèrent haine et homophobie alors qu’ils devraient promouvoir l’amour et le respect. Il est aussi important de souligner que « Bâtir un pont » a reçu l’approbation officielle de mes supérieurs jésuites, que cela a été approuvé par de nombreux cardinaux, archevêques et évêques qui se basent sur les évangiles et ne contredit en rien la doctrine de l’Église.
Les attaques sont parfois déroutantes. Ce qui m’a le plus atteint, ce sont la diffamation personnelle et les attaques injustes, mais maintenant elles ne me font plus rien. Quel genre de jésuite serais-je si je laissais quelques personnes haineuses et homophobes en ligne m’empêcher d’aimer les marginalisés ?
Y a-t-il de l’homophobie dans l’Église ? Plus ou moins que dans les autres institutions ?
Malheureusement, il y en a beaucoup. La plus grande partie provient de la peur : peur des gens qui sont différents, peur d’écouter quelque chose de nouveau, et souvent peur de la sexualité elle-même compliquée.
Il y a probablement plus d’homophobie dans l’Église catholique que dans d’autres institutions parce que certains catholiques estiment à tort que leur religion le justifie.
Mais la haine n’est jamais justifiée par le christianisme. En fait, Jésus aimait surtout les plus marginalisés.
Mais cette haine diminue à mesure que de plus en plus de personnes parlent ouvertement de leur sexualité. Et comme de plus en plus de gens sont ouverts ou font leur « coming out », les gens finissent par les connaître comme leurs frères et sœurs, leurs oncles et tantes, leurs neveux et nièces, leurs amis et leurs collègues de travail. La rencontre diminue la peur.
La loi du Vatican qui interdit aux jeunes ayant des « tendances homosexuelles enracinées » d’entrer dans les séminaires vous semble-t-elle justifiée ?
Le Vatican dit que les hommes ayant des « tendances homosexuelles profondément enracinées » ne doivent pas entrer au séminaire. Mais les évêques ont interprété cela de trois façons. Tout d’abord, aucun homme gay ne devrait y entrer. Deuxièmement, aucun homme pour qui sa sexualité est la partie la plus importante de sa personnalité ne devrait y entrer. Troisièmement aucun homme gay qui ne peut pas vivre le célibat ne doit y entrer.
Tout ce que je peux dire, c’est que je connais beaucoup de prêtres homosexuels qui mènent une vie sainte dans l’Église.
Les prêtres et évêques homosexuels de l’Église (apparemment nombreux) sont-ils capables de respecter l’obligation du célibat ?
Oui. Pourquoi ne le pourraient-ils pas ? Être gay ne signifie pas dire qu’il faille être sexuellement actif. Nous devons être clairs : il est tout simplement faux de dire que les prêtres homosexuels ne peuvent pas vivre le célibat. La meilleure preuve en est qu’il y a des centaines, sinon des milliers de prêtres gays célibataires et des membres chastes d’ordres religieux qui mènent une vie consacrée au service de Dieu et de l’Église.
Que pensez-vous de l’affirmation selon laquelle l’homosexualité est la principale cause des abus sexuels de mineurs dans l’Église ?
Nous devons dire que la plupart des cas sont des hommes qui s’attaquent à des garçons et des jeunes hommes. Mais cela ne signifie pas que tous, ou même la plupart des prêtres gays soient des abuseurs. C’est un argument faux. Ce n’est pas parce que certains le sont que tous ou la plupart d’entre eux le sont. De plus, la plupart des abus sexuels se produisent dans les familles, et personne ne dit que tous les hommes hétérosexuels, tous les pères ou tous les hommes mariés sont des agresseurs. Encore une fois, c’est un stéréotype dangereux qui doit être remis en question.
Est-il vrai qu’une bonne partie de la hiérarchie dans l’Église américaine ne soutient pas le pape François et attend, pour ainsi dire, que la tempête passe ?
Il est vrai qu’une certaine partie de la hiérarchie américaine ne favorise pas les politiques du pape François. Et je suis parfois choqué en entendant certains de ces évêques. L’ironie est que certains de ces mêmes évêques qui, pendant les pontificats de Jean-Paul et de Benoît, ont déclaré que vous ne pouviez jamais être en désaccord avec un pape, sont maintenant constamment en désaccord. C’est une triste ironie.