La grosse fatigue des « cathos de base »
Par Marie-Christine Bernard (théologienne catholique)
Dès la fin des années 80 je dénonçais le cléricalisme dans l’Église catholique romaine. Sur le terrain de la triple fonction dévolue aux clercs : gouvernement, sanctification et enseignement dont je critiquais la prétention au monopole, comme sur celui du profil de recrutement : des hommes au masculin, célibataires (exception faite des hommes déjà mariés avant d’être ordonnés diacres), à la maturité humaine insuffisante, et à la formation, temps de séminaire inclus, notoirement carencée, pour ne pas dire inadaptée. Ajoutée à cela la sacralisation de la fonction/personne du prêtre au sein du système catholique, et sa starisation au-dehors.
Abus de pouvoir
Je n’étais ni la première ni la seule à déplorer la « recléricalisation de l’Église », sous la férule du pape Jean-Paul II. À l’époque, les intéressés bottaient systématiquement en touche, ressassant les arguments inopérants (Jésus n’a pas choisi de femme parmi les 12 ; les différents rôles dans l’Église ; patati, patata…) ou invitant à la patience (l’Église est lente à bouger ; il ne faut froisser personne ; patati, patata…). Les lanceurs et lanceuses d’alerte étaient taxés de jalousie à l’encontre de ces nouveaux cathos qui savaient réunir autour d’eux des flopées de familles, d’enfants, de jeunes. Le prêtre Preynat en était.
Comme en était le fondateur des Légionnaires du Christ, chouchou de Jean-Paul II, et pourtant pervers de première classe comme on l’apprit officiellement plus tard, mais qu’on subodorait tel officieusement, et ce depuis longtemps. La liste est si longue… Si long le temps à crier dans le désert pour tant et tant d’entre nous.
C’est peu dire que, certains jours, j’enrage. Jamais l’adage selon lequel « il n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre » n’aura été autant d’actualité.
« Le cléricalisme, c’est le goût du pouvoir [1]. » Non. Le cléricalisme, c’est l’abus de pouvoir, abus d’autant plus aisé que le pouvoir des clercs ne connaît aucun contre-pouvoir à l’interne. En fonction des zones de vulnérabilité du prêtre (ou du « superlaïc » qui joue au prêtre, profil répandu aussi…), il se fera sentir dans différents domaines : rapport aux finances, aux consciences, à la sexualité, aux mondanités, etc. L’abus est lié à la structure même sans lequel elle ne tiendrait pas. C’est bien le problème de l’Église catholique. Sa charpente est ecclésiastique, à défaut d’être ecclésiale. Elle ne tient qu’à condition que les « simples baptisés » obéissent. Alors que la même Église enseigne que chacun doit obéir à sa conscience [2]. L’obéissance attendue n’est donc pas celle qu’on prétend enseigner. C’est déjà une perversion. Elle est soumission : abus donc.
Le mythe de l’ordination
La maladie ronge cette Église de l’intérieur. Le miracle, c’est que s’y trouvent encore des prêtres qui savent résister à ce possible abus, qui « se tiennent », et s’efforcent d’être de simples pasteurs, de modestes passeurs de joie, à l’image de Jésus.
« Il faudrait peut-être revisiter l’identité du ministère du prêtre [3]. » Non. Il est urgent de sortir de cette distinction prêtre/laïc, le premier pas étant de sortir du mythe lié à l’ordination. C’est pourquoi je ne soutiens pas l’ordination de diacres, qui sont, même à leur corps défendant et quoi qu’on en dise, des prêtres par défaut. Et le véritable esprit de service de beaucoup d’entre eux ne change rien à l’affaire. A fortiori ordonner des femmes ne ferait que perpétuer un fonctionnement clérical. Quant aux synodes diocésains… le plus souvent des cache-misère aux apparences de démocratie.
La diversité du catholicisme s’exprime de plus en plus par une vie d’Église hors-Église : des groupes de prière, des « eucharisties » domestiques, des engagements fraternels, des familles spirituelles autour d’un monastère, d’une figure de sage (homme ou femme, prêtre, consacré-e ou pas), d’une filiation spirituelle…
La majorité des cathos ne sont pas au sein de la Manif pour tous ni dans les messes dominicales (n’en déplaise aux statistiques), ils sont dispersés, parfois perdus, le plus souvent en marche, avec d’autres, sur des routes qu’ils inventent en avançant. Avec comme seule boussole : l’Évangile.
Notes :
[1] Hervé Grosjean, interviewé dans Réforme du 17 janvier 2019.
Source : http://protestantsdanslaville.org/gilles-castelnau-libres-opinions/gl1249.htm
(article paru dans l’hebdomadaire protestant Réforme du 26 janvier 2019)
Lire aussi : http://www.mariechristinebernard.org/