Mal-logement 2019 : ces institutions qui mettent à la rue
Par Ingrid Merckx
Habitat indigne, 115 en berne, précarité énergétique : la crise du logement s’aggrave, alerte la Fondation Abbé-Pierre. Surtout, les sortants de prisons, de l’Aide sociale à l’enfance et d’hôpitaux psychiatriques se retrouvent bien souvent dehors sans solution.
Des immeubles qui s’effondrent, comme à Marseille le 5 novembre. Un couple avec deux enfants handicapés dormant pour la première fois dehors faute de places au 115, à Paris en décembre. Des personnes en situation irrégulière refusées dans des structures d’hébergement d’urgence parce qu’elles ont déjà été hébergées un moment… Le rapport sur le mal-logement de la Fondation Abbé-Pierre dresse chaque année depuis plus de vingt ans l’état des lieux consciencieux et révolté de tout ce qui, de la rue au logement social en passant par l’habitat précaire, les taudis, l’habitat insalubre, les hôtels meublés, les camps de fortune, les marchands de sommeil, les copropriétés dégradées et les expulsions locatives, continue d’aggraver la crise du logement en France.
« Pas un accident ou un fait divers précise la Fondation Abbé-Pierre en introduction de son rapport 2019, L’état du mal-logement en France [1], publié ce 1er février, mais le résultat de rapports de force, de choix ou de non-choix politiques. » La synthèse annuelle ne concerne pas seulement les sans-abris donc, et les plus fragiles, mais, comme c’est le cas depuis plus de dix ans, également les classes populaires et moyennes.
Cette année, celles-ci ont vu les APL baisser et la part de leur budget consacré au logement augmenter jusqu’à des taux d’efforts pouvant dépasser les 40 %. « La crise du logement n’est pas qu’un problème qui frappe une population marginale, c’est un sujet de société », commente Manuel Domergue, directeur des études à la Fondation Abbé-Pierre (FAP).
« Après la sortie, débrouillez-vous ! »
Nouveauté dans le rapport 2019 : le résultat d’études portant sur les personnes à la rue sortant d’institutions comme l’Aide sociale à l’enfance, les prisons et les hôpitaux psychiatriques. « Théoriquement, il existe des travailleurs sociaux et des dispositifs d’accompagnement dans chacune de ces institutions, reprend Manuel Domergue, mais ils sont loin d’être à la hauteur des besoins : les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) fondent, les contrats jeunes majeurs sont désormais à la discrétion des départements qui peuvent les rendre conditionnels : un hébergement si un contrat de travail, si l’expression d’une volonté. Le problème, c’est qu’on perd alors les plus fragiles, ceux qui ne sont pas en capacité de s’inscrire dans un parcours et de répondre aux exigences du système. »
Raison pour laquelle la FAP milite pour que l’accès au logement relève du droit « et non de la récompense ». Que les jeunes puissent en bénéficier de leurs 18 ans à leurs 25 ans, âge requis pour le RSA. Que les personnes atteintes de troubles mentaux n’aient pas comme seul horizon l’hôpital, la famille ou la rue.
« Le point commun entre ces institutions, c’est le manque de moyens. », dénonce Manuel Domergue, inquiet des risques de coupes supplémentaires que les restrictions budgétaires font planer sur ces services publics. « Elles n’arrivent déjà pas à protéger, soigner, prendre en charge à l’intérieur. Alors, à la sortie, le message, c’est souvent : débrouillez-vous. »
Pas de chiffre officiel sur les jeunes qui sortent de l’ASE chaque année. Mais il y aurait 170 000 enfants pris en charge, dont 19 000 majeurs. Ce qui porterait le nombre de sortants potentiels à environ 27 000 par an. Où vont-ils ? Parmi les personnes qui ont connu la rue après l’ASE, c’était pour 21 % moins d’un an après leur sortie. Nombre de jeunes majeurs exprimeraient ainsi un sentiment d’abandon. Si la sortie a été évoquée durant leur prise en charge, beaucoup basculent ensuite dans la précarité.
Près de 68 000 personnes sortent de prisons chaque année en France. 10 % des détenus se déclaraient sans domicile à leur entrée en prison. 80 % sortent dans le cas d’une sortie sèche sans aménagement de peine. 23 % des sortants étaient sans solution d’hébergement ou avec des solutions précaires d’après une enquête réalisée par l’administration pénitentiaire entre 2015 et 2017.
Dans les enquêtes du Samu social, deux sans-abri sur cinq souffrent de troubles psychiatriques. En 2015, 2 188 000 personnes souffrent de maladies psychiatriques. Si 80 % sont suivies en ambulatoire, soit hors des établissements de soin, il n’existait en 2014 que 57 469 lits d’hospitalisation à temps plein et 27 603 places d’accueil en hôpital de jour. En outre, quelles solutions alternatives à l’entourage pour les patients qui peuvent quitter l’hôpital, mais restent dépendants ?
« Pour les malades en situation de précarité, sans ressource ni réseau familial ou amical solide, le virage en ambulatoire n’a finalement pas été porteur de l’émancipation et de la réinsertion espérée dans la cité. Et ce sont eux les premières victimes d’un système de soins qui remet de plus en plus rapidement à la rue sans solution », constate le rapport 2019 de la FAP.
Ainsi, certains patients vivent à l’hôpital depuis des années. D’autres retournent à la rue en sortant, ou la découvrent.
La politique du logement d’abord
Le plan pauvreté dévoilé le 13 septembre a été plutôt bien accueilli par les associations de solidarité notamment pour son accent mis sur la petite enfance visant à « éviter la reproduction générationnelle de la pauvreté », et à favoriser l’inclusion des jeunes. Mais la question du logement en était absente, sauf la volonté de résorber les bidonvilles. En outre, ce plan est contredit par les orientations économiques et fiscales du gouvernement, dénonce la FAP : « Traiter la pauvreté d’un côté, contribuer à l’accentuer d’un autre ne peut déboucher que sur une impasse. »
La politique du logement d’abord, proposée par la FAP aux candidats à la présidentielle a été reprise par l’équipe d’Emmanuel Macron sous forme d’un « plan quinquennal pour le logement d’abord et la lutte contre le sans-abrisme » qui s’étend dans 23 territoires jusqu’en 2022. Objectif : réorienter les personnes sans domicile et leur proposer un accompagnement adapté. Le plan repose sur le financement de 40 000 prêts locatifs aidés d’intégration (PLAI), réservés aux personnes en situation de grande précarité (contre 30 458 en 2017). Le développement sur cinq ans de 40 000 places supplémentaires en intermédiation locative, dispositif qui permet de sécuriser et simplifier la relation entre le locataire et le bailleur. Et la construction de 10 000 nouvelles places en pensions de famille.
Mais ce plan est sous-financé : 15 millions d’euros. « Le logement est le premier ministère touché par les coupes budgétaires », rappelle Manuel Domergue. En outre, le plan logement d’abord se heurte à la fragilisation du parc HLM.
Mesure en direction des classes populaires et moyenne, l’encadrement des loyers a été abandonné puis réintroduit dans la loi Élan de 2018, mais sur la base du volontariat des collectivités locales. L’accès à la propriété des locataires HLM ralentit. Et le dossier de la précarité énergétique reste fortement négligé alors que les dépenses pour se chauffer pèsent moitié plus, dans le budget des Français, que les dépenses de carburant.
Illustration : https://www.fondation-abbe-pierre.fr/nos-actions/comprendre-et-interpeller/24e-rapport-sur-letat-du-mal-logement-en-france-2019