Cléricalisme ou évangile : comprendre les enjeux
Extraits de la conférence de José Arregi (à partir de notes et de l’enregistrement)
Vous revendiquez l’ecclésialité pleine. Vous avez donné une bonne partie de votre imagination créative, évangélique, spirituelle en imaginant et en bâtissant, en mettant de la levure pour une nouvelle Église que, peut-être, nous ne connaitrons pas. Peu importe. Soyez-en félicités. J’ai le plaisir d’être invité et accueilli chaleureusement.
Dans le titre que vous m’avez proposé le cléricalisme est mis en opposition avec l’Évangile. Oui, il l’est, bien sûr.
Je vous propose quelques éléments fondamentaux pour mettre au clair les enjeux de cet appel à créer une Église sans clercs ni laïcs.
1• Le cléricalisme entre la possession du pouvoir et la soumission au pouvoir
Le clerc :
- quelqu’un qui se sent élu, choisi. Par qui ? Par la communauté, pour rendre un service. Par Dieu ? Que veut dire être élu par Dieu s’il n’y a pas élection par la communauté ?
- quelqu’un investi d’un pouvoir divin que le Christ aurait donné à travers d’autres élus, les évêques, représentants des apôtres.
- quelqu’un élu dans un système vertical descendant : Dieu -> le Christ -> les 12 -> les évêques -> les clercs. Le clerc est investi de façon verticale par des pouvoirs intangibles non contrôlés par la communauté qui imposent la soumission à ce pouvoir.
- quelqu’un investi d’un pouvoir sacré.
« Le cléricalisme est l’une des nombreuses versions du dualisme hiérarchique » (Rosemary Radford Ruether). Dieu au-dessus du monde est le fondement de tout dualisme, de toute hiérarchie et de toute soumission :
- esprit/matière, âme/corps, ciel/terre, êtres humains/animaux, animaux/végétaux, végétaux/minéraux, hommes/femmes, blancs/personnes de couleur, Europe et sa culture/ tous les autres continents, hétéros/homos, religion/incroyance, christianisme/autres religions, Église/toutes les autres églises
- pape/évêques/prêtres/diacres/le reste des laïcs
Le cléricalisme est une forme particulière de seigneurie et de soumission. Il est la forme religieuse d’un monde hiérarchisé.
C’est l’Église dont nous ne voulons pas et que Jésus n’a jamais imaginée. Il nous faut dépasser radicalement le cléricalisme comme système de pouvoir et de soumission.
2• Le cléricalisme est à la racine des problèmes majeurs de l’Église
- Il est la raison fondamentale de son retard historique, de son insignifiance sociale actuelle, de son insignifiance culturelle. De son incapacité à transmettre l’élan vital, le souffle vital de l’Esprit créateur.
- Tous les autres problèmes structurants de l’Église en découlent. Aucun problème ne sera résolu tant que le schéma clérical ne sera pas aboli. À savoir (exemples) :
- la vision patriarcale
- l’autoritarisme et son caractère antidémocratique.
- l’alliance de l’institution avec le pouvoir, l’oubli des pauvres, la perte de liberté prophétique pour dénoncer l’injustice… Tout cela est lié à la nécessité plus ou moins consciente que le clergé a de défendre son pouvoir et ses privilèges.
- la fausse question sur le rôle des laïcs dans l’Église, qui a fait couler trop d’encre depuis Vatican II. L’opposition clercs-laïcs n’existe pas.
- le manque de prêtres. Il ne se pose pas, si on dépasse le modèle clérical. C’est un faux problème.
3• Le clergé est la première victime du cléricalisme qui est pathogène.
=> Avoir un regard de bienveillance, compréhensif.
Le clergé traverse une crise profonde. Pas parce que les séminaires se vident, qu’il n’y a pas de relève.
Quelques symptômes du malaise, qui sont à la fois des causes et des effets
- manque de sécurité et d’estime de soi souvent à l’origine de s’imposer ou de chercher la sécurité dans des systèmes de vérité dont « j’ai le contrôle ».
- distorsion entre les besoins personnels et les exigences du rôle
- répression angoissante des émotions et des affections
- sentiment de frustration devant l’écroulement irrémédiable de tout ce pourquoi on est devenu prêtre
- conflit déchirant entre l’obéissance due (jurée) à l’évêque (ou de l’évêque au pape) et l’identification au Christ et l’autorité nulle exercée. Les évêques sont dans la situation de ne pas pouvoir imposer leur pouvoir à qui que ce soit.
- collision non acceptée entre l’image de soi, figure vertueuse, d’une part et le discrédit social de l’autre.
- tension trop aiguë entre besoin de reconnaissance et culture actuelle qui la nie. Cette tension peut rendre malade.
- le problème de la sexualité dans le sens large et dans le sens restreint. C’est un problème général dans l’Église, mais particulièrement aigu pour celui à qui on a enseigné qu’il doit être pur comme un ange asexué.
Tous ces problèmes dont souffrent les prêtres exigent une réforme urgente de l’ecclésiologie cléricale qui est non seulement à l’opposé de la vision fraternelle voulue par Jésus, mais qui menace l’équilibre émotionnel, mental, de ceux qui exercent ce pouvoir clérical. => Dénoncer les maux à la source et regarder les personnes avec proximité et miséricorde.
4• Au début, il n’y avait ni clercs ni laïcs
- Jésus ne s’est pas comporté comme un prêtre et n’a pas eu de relations avec les prêtres.
Il n’a jamais établi de niveaux ni de catégories au sein de son groupe.
Il a choisi les 12 en leur donnant une mission, non de diriger, mais d’être le symbole d’Israël et de l’humanité réunis. Du rassemblement de tout homme et de toute femme perdus dans la fraternité universelle. Il ne les a pas investis d’un pouvoir sur les autres, mais leur a attribué un rôle symbolique. - Dans le Nouveau Testament, laos désigne le peuple, la communauté tout entière : nous sommes tous laos et nous sommes tous clergé : nous sommes tous des prêtres, mais personne n’est prêtre dans le sens ancien. Dans la Lettre aux Hébreux, le terme dans le sens ancien s’emploie pour désigner le Christ ; quand il est employé en dehors de Jésus, il se réfère à la communauté.
=> La tradition plus ancienne ne peut pas être utilisée pour légitimer le modèle clérical de l’Église
5• L’Église est passée du peuple sacerdotal au sacerdoce clérical
Au cours des deux premiers siècles, il n’y avait pas de prêtres => pas de laïcs.
Évêques et diacres apparaissent dans les 2 lettres pastorales de Paul à Tite et à Timothée, qui datent d’après sa mort et ne sont pas écrites par lui. Les 3 ministères évêques, presbytres, diacres se détachent des autres ministères.
Ignace d’Antioche => évêques, prêtres diacres => hiérarchie
Apparition au 3e siècle des laïcs, privés de tout ce dont s’est approprié le clergé.
6• Il y a eu, au cours de l’histoire des résistances des réclamations d’une Église autre.
Quelques exemples : l’hérésie montaniste au IIe siècle, beaucoup de mouvements au Moyen-Âge, François d’Assise, le mouvement des Béguines (Marguerite Porete, brûlée en 1310 en place de Grève à Paris)…
Luther est le premier à avoir formulé de manière théologique et concrètement un modèle non clérical d’Église, avec l’abolition du sacrement de l’ordre, du célibat des prêtres et l’affirmation de l’unique sacerdoce du Christ et du sacerdoce universel, horizontal de tous les baptisés.
Citation de (saint) Pie X (début du XXe siècle !) : « L’Église est, par essence, une société inégale, c’est-à-dire une société qui comprend deux catégories de personnes : le clergé et le troupeau. Ceux qui occupent un rang dans la hiérarchie et la multitude des fidèles. Et ces catégories sont tellement différentes les unes des autres que ce n‘est que dans le corps pastoral que réside le droit et le pouvoir nécessaires pour orienter tout le monde vers le but de la société. En ce qui concerne la multitude, elle n’a d’autre droit que de se laisser guider et, en fidèle troupeau, de suivre ses pasteurs. »
7• Le concile Vatican II n’a pas dépassé le modèle clérical
Il a suggéré, il peut encore inspirer un autre modèle, mais il n’a pas concrétisé la suppression du modèle clérical.
Les Pères conciliaires ont imposé dans Lumen Gentium l’interversion des chapitres 2 actuel (le Peuple de Dieu) et 3 actuel (la hiérarchie) contrairement à l’ordre choisi dans l’Instrumentum laboris. Mais le chapitre 3 conserve une forme cléricale quand il affirme toujours un schéma clérical vertical et hiérarchique : les évêques, les prêtres et les diacres sont au-dessus du peuple et ont des pouvoirs reçus d’en haut par la main des évêques successeurs des apôtres qui ont reçu des pouvoirs du Christ.
Même s’il est dit (LG 31-32) que les laïcs ont la même dignité, les fonctions du clerc sont supérieures et ne sont pas contrôlables par la communauté.
8• Y a-t-il du nouveau avec François ?
François a des gestes symboliques forts, une grande maîtrise du langage des signes. Il a tenu des propos forts dont on peut trouver de nombreuses et belles citations. Mais in fine « le prêtre est l’unique ministre de Jésus-Christ ».
François met essentiellement en garde contre un style.
9• Le renversement nécessaire
Il ne s’agit pas de changer simplement de style ou de langage. Ni de souligner l’importance du laïcat. Ni d’être un clerc exemplaire. Ni d’éviter la tentation de l’autoritarisme.
Il ne s’agit pas de changer simplement de style ou de langage. Ni de souligner l’importance du laïcat. Ni d’être un clerc exemplaire. Ni d’éviter la tentation de l’autoritarisme.
Il ne suffit pas d’horizontaliser davantage les rapports institutionnels entre clercs et laïcs. De confier aux laïcs des tâches subalternes, ni même quelques fonctions cléricales mineures (gestion de la paroisse, prédication). D’ordonner des viri probati. De reconnaitre des dérogations au célibat obligatoire. Ni même de permettre l’ordination sacerdotale de femmes en les cléricalisant, même si cela peut aider au changement radical nécessaire.
Il faut aller plus loin jusqu’à l’élimination des catégories clercs et laïcs. => éliminer la théologie hiérarchique verticale des ministères.
Nous sommes l’Église de Jésus, une Église pèlerine et libre, qui n’est pas liée à des croyances et des structures fixées une fois pour toutes. Une Église qui dépasse tout dualisme.
Nous voulons être une Église qui annonce l’Évangile. Une Église humaine et communautaire, faite de diverses communautés capables de s’entendre et de vivre en communion avec nos différences et selon les lois de la vie, qui est capable d’inventer.
Lire le texte intégral : https://nsae.fr/wp-content/images/Vers-une-E%CC%81glise-sans-clercs-ni-lai%CC%88cs.pdf