Par Régine et Guy Ringwald
Lucetta Scaraffia dirige le supplément féminin de l’Osservatore Romano. Cet organe a été créé en 2012, à l’instigation du directeur de l’époque de l’organe du Vatican, Giovani Maria Vian. Le pape Benoît XVI souhaitait qu’on entende plus les femmes au Vatican. Lucetta Scaraffia a des positions clairement féministes, d’où « une certaine réserve » de la Curie vis-à-vis de ce supplément mensuel. Plus qu’une réserve, évidemment, une hostilité : ce magazine est en risque. En février 2019, Lucetta Scarafia a publié les rapports disponibles sur les abus commis par des prêtres sur des religieuses : disponibles au Vatican, depuis… 1994. Ces rapports émanaient de personnes responsables de Caritas, quand même pas le diable ! Ils portaient sur 23 pays. Ce qui est dénoncé n’est donc pas un phénomène local, ni le fait de particularités culturelles : voir l’émission diffusée par ARTE, le 5 mars.
Lucetta Scaraffia a donné, le 25 février, une interview publiée par El Pais, relayée ici par Redes Cristianas ( http://www.redescristianas.net/lucetta-scaraffia-directora-del-suplemento-femenino-de-lobservatore-romano-falta-control-sobre-los-obispos-es-lo-fundamental/ )
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Manque de contrôle sur les évêques. C’est le point fondamental.
Par Lucetta Scaraffia, directrice du supplément féminin de « L´Osservatore romano »
Lucetta Scaraffia dénonce l’impunité avec laquelle les évêques agissent en cas d’abus et souligne l’importance de féminiser l’Église pour la protéger de ces crises.
Le supplément féminin a publié par L’Osservatore Romano, il y a un mois, un rapport très dur sur les abus historiques que les moniales ont subis de la part de prêtres et d’évêques. Violations, abus de pouvoir, relations d’esclavage… L’histoire a été reprise par des dizaines de médias, a ouvert un problème hermétiquement scellé depuis des années dans l’Église et a forcé le Pape à s’exprimer et à reconnaître le problème dans l’avion du retour de son voyage à Abu Dhabi.
Ce pari journalistique, comme tant d’autres, fut l’idée de Lucetta Scaraffia (Turin, 1948), journaliste, historienne et directrice de « Femmes, Église et Monde », le courageux supplément qu’elle dirige, et qui a été lancé sous l’impulsion de Giovanni Maria Vian, ancien directeur de l’Osservatore. Ennemie du machisme rampant dans l’Église, Scaraffia est convaincue que l’institution doit se féminiser pour faire face à des fléaux tels que les abus.
Vous êtes la grande voix du féminisme au Vatican, Mais bien la seule. Qu’avez-vous pensé quand vous avez entendu le pape dire l’autre jour que tout féminisme est machisme en jupe ? Dans l’Église, il existe une tradition très forte de cacher la vérité pour sauver l’institution.
La vérité, c’est que je ne suis pas très heureuse. Chaque fois que les femmes sont assimilées par métaphore à une autre entité symbolique, cela signifie aussi que leur importance réelle est niée. Cela signifie qu’on n’accepte pas encore de donner une réponse positive à leur présence. À cette phrase, j’aurais répondu qu’en tant que femme, je veux qu’on m’écoute avec respect et attention, je ne veux pas être une métaphore de quoi que ce soit. Je veux seulement qu’on m’écoute comme on écouterait un prêtre ou évêque. Le féminisme n’est d’ailleurs pas comparable au machisme. C’est une rébellion à une situation d’oppression qui vient du machisme. Ce sont deux choses opposées.
Le Pape et l’Église sont-ils machistes ?
Ils ont une tradition patriarcale dont ils ne sortent pas. Ils n’ont pas l’habitude d’écouter et de respecter les femmes.
Quelque chose a bougé dernièrement ?
En quelque sorte. Mais chaque commission ou nouvelle institution de l’Église devrait être composée pour moitié de femmes. Elles étaient très peu nombreuses à ce sommet, et trois d’entre elles seulement se sont exprimées. Et c’est dommage, parce que les femmes vivent le problème de la maltraitance en tant que victimes, mais aussi en tant qu’observatrices et protectrices des mineurs, avec un autre regard.
Dans le cas des abus, il semble que la même chose se produise que dans le cas du féminisme. Nous ne comprenons pas le fond de la question. Les deux ne sont perçus comme problème que lorsqu’il est trop tard.
On ne l’aborde pas avec sincérité et courage. Pourquoi accorde-t-on si peu de place aux femmes ? Il n’y a aucune raison. La seule raison est qu’il s’agit d’une tradition qui doit être surmontée. En ce qui concerne les abus, je pense malheureusement qu’il est très difficile pour l’Église de porter un regard critique sur sa propre organisation.
L’Église et le Pape n’ont pas l’habitude de respecter les femmes.
En quel sens ?
Aujourd’hui, j’ai entendu le Père Zollner [organisateur du sommet sur les abus] dire dans les conclusions qu’ils allaient créer des lignes directrices pour que les évêques sachent comment se comporter. Ils ne savaient pas ? je suis chrétienne, et penser qu’un évêque ne savait pas quoi faire devant un prêtre qui a abusé un enfant me fait un mal terrible. Bien sûr que je le sais ! Ils devaient le savoir. Un chrétien est toujours du côté des victimes, il n’avait besoin d’aucune ligne directrice. Comment un prêtre comme Zollner peut-il dire ça calmement ? L’évêque devait chercher la vérité et punir les coupables. Rien de plus.
Et s’ils le savent, pourquoi ne le font-ils pas ?
Il existe une tradition très forte de cacher la vérité pour sauver l’institution. C’est le contraire de l’esprit chrétien. La miséricorde nous oblige à prendre le parti des victimes, mais ils ont pris le parti des bourreaux. Et cela n’a pas été affronté. Il faut une révolution copernicienne pour changer le point de vue. Ce ne sont pas les directives, c’est l’Évangile !
Avez-vous été déçue par le sommet ?
Cela a été positif parce que les conférences épiscopales qui n’ont pas été confrontées au problème jusqu’à présent sont venues. L’Italienne en tête qui, jusqu’à présent, n’a pas voulu écouter les victimes. Mais maintenant, ils sont obligés d’y faire face.
Qu’est-ce qui a manqué ?
Plus de clarté. Une plus grande autocritique, qui touche aux racines de l’Évangile, et pas seulement aux « lignes directrices ». Et puis je suis très choquée par le problème des évêques. Ils continuent d’être les contrôleurs, comme s’ils étaient toujours innocents.
Dans cette optique, l’évêque, est par définition le bon et le prêtre est le mauvais. Mais il y en a beaucoup qui ne le sont pas. Qui les juge ? A qui peut-on les dénoncer ? Si un chrétien dénonce un prêtre pédophile et que l’évêque le couvre, qui le dénonce ? Et si l’évêque est l’abuseur, comme cela arrive à beaucoup de femmes ? Il y a un manque de contrôle sur les évêques. Et cette question ne figure pas dans le plan d’intervention. Cela devrait être une priorité, c’est le problème fondamental de cette question. Sans cela les bonnes résolutions sont inutiles.
Comprenez-vous la frustration des victimes ?
Oui.
Une Église plus féminine se protégerait-elle mieux contre les abus ?
J’en suis certaine. Il devrait y avoir des femmes dans toutes les commissions sur les agissements du clergé. Aussi pour briser une certaine solidarité masculine.
Maintenant il ne sera jamais plus possible de nier l’abus des prêtres à l’égard des femmes religieuses.
Pouvez-vous imaginer des femmes à la tête de dicastères au Vatican ?
Oui, même en tant que Secrétaire d’État. Aucune loi ne l’empêche. Mais d’abord, elles devraient faire partie des commissions de contrôle.
Pensez-vous que la question des abus, historiques et massifs, contre les religieuses, que vous avez publiés dans le supplément de l’Osservatore Romano, aurait dû être abordée à la réunion ?
En fait, la réunion concernait les mineurs. Et le Pape l’a citée dans son discours final. J’espère qu’il y aura un suivi. De plus, il y a eu le témoignage d’une religieuse maltraitée. Aujourd’hui, on ne peut plus nier l’abus sur les religieuses.
Quelle est la dimension de ce problème et où en sommes-nous ?
C’est un phénomène très vaste, plus que l’abus des mineurs. Et il ne fait qu’émerger maintenant.
Vous publiez des histoires inimaginables dans l’environnement du Vatican, comment la hiérarchie du Saint-Siège réagit-elle ?
Ils répondent par le silence. Je ne sais pas s’ils imaginent autre chose… Mais je n’ai remarqué que le silence.
Jamais aucun commentaire positif ?
Non. Beaucoup de félicitations et de lettres de remerciements de la part des religieuses. Elles m’ont fait comprendre qu’il était nécessaire de donner une voix à cette douleur. Mais du côté masculin, presque rien.
Savez-vous si le Pape le lit ou ce qu’il pense ?
Je suppose qu’il le lit, mais il ne m’a pas dit ce qu’il en pense.
Illustration : Medol [CC BY-SA 4.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0)]
