Kumi Now : Les femmes dans le conflit – Les Femmes en noir
Il y a une curieuse ironie dans les rapports entre guerre et genre : la guerre est presque toujours déclarée et menée par des hommes, mais ce sont les femmes et les enfants qui souffrent le plus de sa violence. Il en est de même pour la fin des guerres : ce sont des hommes qui négocient les traités sans tenir compte des voix, des besoins et des compétences des femmes. Les Femmes en noir sont un réseau mondial qui agit pour faire participer les femmes à la solution du conflit israélo-palestinien. Voici ce qu’il vous faut savoir sur le rôle des femmes dans la solution à ce problème qui a l’air insoluble, et ce que vous pouvez faire pour que nous puissions nous lever (Kumi !) ensemble.
Organisation
Le mouvement des Femmes en noir est un réseau mondial de femmes engagées dans la recherche de la paix dans la justice, et activement opposées à l’injustice, à la guerre, au militarisme et à toute autre forme de violence. Comme femmes vivant ces réalités de manières diverses dans différentes régions du monde, nous soutenons les initiatives les unes des autres. Un objectif important est la contestation des politiques militaristes de nos propres gouvernements. Nous ne sommes pas vraiment une organisation, mais un réseau de communication et une plateforme d’actions possibles. Les groupes de Femmes en noir n’ont pas rédigé de constitution ou de manifeste, mais l’optique féministe apparaît clairement dans toutes nos actions et prises de parole.
Nous savons que les différentes formes de violence masculine à l’égard des femmes sont toutes de même nature, que ce soit dans la vie domestique ou au sein de la communauté de vie, en temps de paix ou en temps de guerre. On a toujours recours à la violence pour contrôler les femmes. Dans quelques régions du monde, il y a aussi des hommes qui partagent cette analyse et qui soutiennent les Femmes en noir dans leurs actions. De même les Femmes en noir soutiennent les hommes qui refusent de se battre. Ensemble les femmes peuvent éduquer, informer et influencer l’opinion publique, et tenter ainsi de faire de la guerre une option impensable.
Les groupes de Femmes en noir ont recours à des formes d’actions non violentes et non agressives, comme tenir des vigiles, s’asseoir pour bloquer une route, pénétrer dans des bases militaires et dans d’autres zones interdites, refuser d’obéir aux ordres et « porter témoignage ». Tout groupe de femmes n’importe où dans le monde peut organiser une vigile de Femmes en noir contre une manifestation de violence, le militarisme ou la guerre. Nos vigiles non violentes prennent souvent la forme de femmes vêtues de noir qui, à intervalles réguliers, se tiennent debout en silence dans des lieux publics, brandissant des pancartes et distribuant des tracts. Dans diverses cultures, s’habiller en noir est un signe de deuil. Les actions de féministes habillées de noir transforment le deuil traditionnellement passif des femmes pour ceux qui sont morts à la guerre en un refus puissant de la logique de guerre.
Les veillées de Femmes en noir ont commencé à Jérusalem en 1988, comme réaction au déclenchement de la première Intifada palestinienne. Lorsqu’en 2001, en Israël-Palestine, des femmes en noir, membres d’une coalition de Femmes pour une paix juste, appelèrent à des vigiles contre l’occupation des terres palestiniennes, au moins 150 groupes de Femmes en Noir répondirent à leur appel partout dans le monde. On estime que près de 10.000 femmes y ont participé. Au moment le plus fort du mouvement anti-occupation, on a recensé 30 vigiles sur l’ensemble du pays. Il y a aujourd’hui quatre vigiles régulières qui se réunissent depuis 1988. Elles ont lieu chaque vendredi de 13h à 14h à Gan Shmuel, Haïfa, Jérusalem et Tel-Aviv. Vous pouvez trouver les Femmes en noir sur leur site web http://womeninblack.org/.
La situation
Dans le contexte palestinien, les femmes ont à faire face aux mêmes défis que les hommes, mais elles doivent en plus supporter le poids de l’occupation de plusieurs façons très particulières qui échappent souvent à l’opinion publique et aux médias. Les démolitions de maisons par exemple, et les logements surpeuplés causent aux familles des difficultés économiques dont elles pourraient bien se passer. Au sein des foyers ce sont aussi les femmes qui assurent les premiers soins, tout particulièrement aux enfants et aux personnes âgées, et les checkpoints les obligent à faire face à toutes sortes de difficultés quand elles veulent accompagner des membres de leur famille à l’hôpital. Les veuves quant à elles assument de nombreux rôles, allant de la prise en charge des enfants aux soins de la maison et au souci de la stabilité de leur famille.
Beaucoup de femmes sont exposées à des violences physiques, psychologiques et sexuelles de la part de colons, de soldats, de gardiens de prison, et de membres de leur propre famille. Les femmes palestiniennes ne signalent souvent pas les violences qu’elles subissent de la part de soldats et de colons parce qu’elles ont peur des répercussions possibles, et parce qu’elles ne croient pas que le système judiciaire pourrait les protéger. Selon le Centre des Femmes pour l’Aide et le Conseil Judicaires (WCLAC), entre 2000 et 2009 seules 105 des 1.805 plaintes déposées ont été suivies d’une mise en accusation, soit 6 % des cas. Des situations comparables de violence sexuelle existent au sein du système pénitentiaire israélien, où les femmes subissent des agressions sexuelles ou des menaces de mise en danger de leurs proches. En plus de cette cruauté, le très faible nombre de visites de la famille et la séparation d’avec leurs enfants augmentent encore le stress psychologique et émotionnel auquel ont à faire face les femmes en prison. Il est important aussi de noter que les femmes peuvent subir des violences et des mauvais traitements au sein de leur propre foyer. Selon Femmes des Nations Unies, environ 30% des femmes ont subi des violences au sein de leur foyer, mais seulement 35% d’entre elles les ont déclarées. Les femmes de Palestine souffrent à la fois de l’occupation et des règles patriarcales de leur propre société.
Jean Zaru, chrétienne quaker palestinienne et militante pacifiste, dépeint un tableau poignant de quelques-uns des combats que doivent livrer les femmes palestiniennes qui vivent sous occupation : « La plupart des images de Palestiniens dans les médias sont celles d’hommes et de garçons par centaines dans les rues de Gaza, soit pour des manifestations, soit pour des funérailles… mais lorsqu’il y a des coups de feu, lorsqu’il y a des morts, lorsqu’il y a des funérailles, les femmes sont impliquées. Elles ne quittent pas leur maison pour se répandre dans les rues, mais les femmes soutiennent encore la moitié du ciel. Une grande partie du travail des femmes est invisible, en particulier aux yeux des médias ».
Les femmes de Palestine sont souvent désignées comme « le ciment de notre société ». Nous sommes celles qui maintiennent l’unité de nos familles quand nos maris, nos frères, nos fils sont en prison, déportés, blessés ou tués, ou encore lorsqu’ils ont émigré pour des raisons économiques ou politiques. Pourtant, comme dans toutes les sociétés, les femmes palestiniennes ont été cantonnées dans des rôles subalternes et tenues à l’écart des cercles cruciaux de prise de décision…
Ainsi, en tant que femme palestinienne, je me trouve à me battre sur deux fronts. Les femmes palestiniennes doivent travailler pour la libération sur le front national, tandis qu’en même temps elles travaillent à la libération des femmes sur le plan de la société. Nous avons à lutter pour nous libérer de la hiérarchie et des structures dominées par les hommes dans notre société » (Jean Zaru : Occupés mais non-violents p.185-186).
Un récit : « Je l’ai dessinée ensanglantée »
Dans son introduction au livre « Letters to Palestine: Writers Respond to War and Occupation » (Lettres à la Palestine : Réactions d’écrivains à la guerre et à l’occupation ), Vijay Prashad, historien célèbre du Moyen-Orient, joue le témoin extérieur qui jette un regard sur la tragédie de la Palestine. Il y raconte l’histoire de Fida Qishta qui, à son tour, raconte celle de Mona. Cette femme et cette fille font toutes deux appel à leur art pour attirer l’attention sur les injustices faites à elles-mêmes et à leur peuple. Cela vaut la peine de se poser la question : Quel est leur pouvoir ? Qui est responsable de ce qu’elles vivent ? En quoi leurs vies seraient-elles différentes si des femmes et des filles comme elles étaient au pouvoir ? Et comment faire advenir cela ? :
« Une guerre de plus, une période épuisante de plus pour les Palestiniens, une période pleine de morts et de destructions, de terreur et de ses traumatismes… »
Fida Qishta, qui est née et qui a grandi à Rafah en Palestine, a promené sa caméra pour montrer la vie dans sa bande de Gaza. Elle a rassemblé son histoire dans la douloureuse méditation d’un film : Où les oiseaux devraient-ils voler ? (2012). Des scènes de fermiers et de pêcheurs ordinaires qui essaient d’exercer leur métier sous les tirs de canonnières et de snipers israéliens vont droit au but. Tous ceux qui parlent des roquettes du Hamas tirées sur Israël devraient jeter un regard sur cette partie du film de Qishta où il est fait un usage banal et même provocateur de tirs pour rabaisser et effrayer des Palestiniens désarmés qui essaient tout simplement de gagner leur vie. Bulldozers et frontières leur rendent la vie impossible. Puis est venu Plomb durci en 2009. C’est une chance que Qisha ait eu sa caméra à portée de main et qu’elle soit si courageuse. Les scènes sont dérangeantes et honnêtes, il n’y a rien de fabriqué dans son film. Nous sommes là le 18 janvier, le jour où une attaque israélienne a tué quarante-huit membres de la famille de Helmi et Maha Samouni dont la maison à Zeitoun, dans les faubourgs de la ville de Gaza, a été bombardée puis occupée.
Puis nous rencontrons Mona. Elle est au centre de ce film d’une précision dérangeante. Âgée de dix ans, elle est la guide de Qisha à travers les souffrances et la résilience de Gaza. Sa famille de fermiers a été regroupée par l’armée israélienne dans la maison d’un voisin, et cette armée accusait son frère de faire partie du Hamas. Sa maison est alors bombardée par des avions. Qisha demande à Mona combien de personnes de sa famille ont péri ce jour-là. « Dans ma famille immédiate ? » demande Mona innocemment, sans se rendre compte de la gravité de sa question. Il y a eu tant de morts, mais elle semble résignée et pleine de sagesse. « Si nous mourons, dit-elle gravement, nous mourons. Si nous survivons, nous survivons. » Elle montre à Qisha un dessin qu’elle a fait du massacre : « C’était une mer de sang et de morceaux de corps humains » dit-elle. « Ils ont pris ceux qui étaient les plus chers à mon cœur », désignant ainsi ses parents. Elle indique une personne sur son dessin : « C’est la Palestine. Je l’ai dessinée ensanglantée. »
L’introduction complète est publiée en ligne par Verso Books sur https://www.versobooks.com/blogs/1994-a-country-in-darkness