Terrorisme, islam et guerre des mots
Par François Thuillier.
En matière de terrorisme, les mots sont des armes. Ils structurent la pensée, définissent les formes, sanctifient les normes. La bataille se joue aussi sur ce terrain symbolique. Les organisations terroristes semblent l’avoir compris, ou tout au moins ceux qui parlent en leur nom l’ont-ils suffisamment intégré pour invoquer qui des dieux, qui des terres, qui des causes, qui justifieront aux yeux du grand nombre leur violence.
Propagande ennemie
Mais qu’en est-il de l’État ? De manière assez désarmante, on voit les divers représentants qui lui sont assimilés (élus, experts, magistrats, relais d’opinion) se précipiter derrière les micros pour reprendre les termes de l’opposant. En les écoutant, on reste stupéfaits d’assister à cette défaite si facilement concédée ; effarés de les voir benoîtement contempler la lune alors que, pour une fois, il fallait bien regarder le doigt ; confondus de les voir rejoindre complaisamment le terrain que l’adversaire a choisi – là où il se pense le plus fort – pour mieux nous affronter. Et chacun de reprendre à son compte les termes de « guerre sainte », de « djihad », d’attester de l’importance d’organisations qui ne tiennent que par leur nom, et de donner crédit à ce qui n’est que propagande ennemie.
Bannir le terme de « guerre »
Nous proposons d’essayer enfin de débattre de ces termes. Les organisations ont leur vocabulaire, ayons le nôtre. Veillons à bannir ce terme de « guerre » qui donne trop d’importance à ses acteurs et nous rend prisonniers d’un conflit que certes nous ne saurions perdre, mais que nous ne gagnerons jamais non plus. Le terrorisme apparaît justement quand les rites guerriers ont disparu. Et le droit de la guerre offre ici bien trop d’opportunités aux criminels qui nous font face.
Cessons peut-être d’utiliser les qualificatifs qui, d’une manière ou d’une autre, font référence à l’islam. Cessons d’agiter ces chiffons rouges au nez d’une jeunesse qui, comme toutes les jeunesses du monde, et après tout c’est bien là sa définition, ne demande qu’à s’enflammer. Cessons ces regards obliques vers une communauté musulmane totalement étrangère à ces agissements et aidons les hommes politiques qui en auraient besoin à assumer leurs responsabilités de préservation de la cohésion nationale et des principes républicains.
Il n’y a nul angélisme à cela. Il y a seulement le dessein d’isoler quelques tueurs du reste de la société et le simple respect de la vérité, puisqu’on sait maintenant que les déterminants du passage à l’acte terroriste ne sont pas liés à la foi mais à des facteurs plus prosaïques. Combien des nôtres ont-ils d’ailleurs aussi adoré se croire chrétiens à Constantinople, Montségur et à la Saint-Barthélemy ?
Soit nous continuons à donner crédit à la thèse d’un islam militant poussé à son point d’incandescence qui verserait quasi automatiquement dans le terrorisme, à l’idée d’un continuum entre une pratique orthodoxe et la chute dans la radicalisation, à la ségrégation communautaire et aux pulsions essentialistes, bref à un terrorisme propagé par des musulmans certes déviants, sanguinaires, intégristes, sectaires, illuminés, mais des musulmans avant tout.
Déconfessionnaliser ce crime
Soit nous décidons de contester leur lien avec la religion, de nier ce rôle d’avant-garde d’une Umma fantasmée, et de ramener leurs motivations uniquement à ce qu’en disent les sciences humaines et sociales. Les mots de l’islam sont un brouillard qui a réduit notre visibilité, et qu’il convient de dissiper. Et faire preuve de fermeté consisterait plutôt ici, comme ce fut le cas au XIXe avec la clause belge de l’attentat contre les anarchistes, à déconfessionnaliser ce crime afin de le ramener dans le sens commun.
Nous résignerions-nous à parler anglais à Bruxelles ou à l’ONU, la langue, les mots qu’on se choisit révèlent la prédisposition et la détermination avec laquelle on s’engage dans la discussion. De même dans la lutte antiterroriste. Cessons de prendre pour argent comptant les termes derrière lesquels se dissimulent les criminels. Et rappelons à ceux qui se laissent entraîner sur cette pente, par calcul politique ou par bêtise, que la laïcité nous empêche de toute façon de placer le combat à ce niveau et que le Code pénal se moque bien, pour l’instant en tout cas, de ces débats. Tout un espace sémantique est à reconquérir pour nous battre enfin sur notre terrain.
Note :
[1] chercheur associé auprès du Centre d’études sur les conflits.
Lutte antiterroriste : nouvelle religion d’État ?
La guerre contre le terrorisme est-elle une nouvelle religion d’État ? François Thuillier, auteur de « La Révolution Antiterroriste – Ce que le terrorisme a fait de nous » était l’invité du 64 minutes de TV5 Monde.