En dépit des discours, l’Église catholique veut-elle vraiment l’unité visible des chrétiens ?
Par Jacques Musset
Traditionnellement depuis cinquante ans, la semaine du 18 au 25 janvier est consacrée, dans les Églises chrétiennes, à prier pour l’unité visible des chrétiens et une célébration œcuménique retransmise en eurovision est célébrée dans une église protestante ou catholique. J’ai l’impression d’une routine qui ne fait pas avancer grand-chose. Ai-je tort ?
D’abord, je réagis vis à vis d’un propos récurrent dans ce genre de rencontre. On y parle de l’unité comme d’un don de Dieu. Mais si l’on y croit vraiment, il y a belle lurette que ce don est accordé. Il n’a d’ailleurs jamais manqué puisque Dieu est source intime et permanente d’inspiration en tout être humain, sans pour autant le déresponsabiliser. Ce n’est donc pas Dieu qu’il faut prier mais c’est nous qu’il faut prier (en ce domaine comme dans les autres) de nous mettre au travail sérieusement en regardant lucidement, sans faux fuyant et sans a priori les obstacles à cette unité pour les réduire et les surmonter. Sommes-nous vraiment dans cet esprit ? Du côté catholique, j’en doute.
Il y a un ou deux ans, en la célébration œcuménique, le pasteur Schlumberger, alors président de l’Église protestante unie de France, avait pris pour thème l’allégorie du cep et de ses sarments par laquelle l’évangile de Jean évoque les liens de fraternité profonde entre les disciples de Jésus qui se ressourcent tous à la puissance de vie du nazaréen manifestée par sa pratique de libération au nom de son Dieu. J’ai perçu dans cette interrogation un appel pressant à se reconnaître entre Églises à part égales, en dignité égale et en fidélité égale ! Comment dès lors une Église pourrait-elle se déclarer plus fidèle à Jésus que d’autres ? Or, c’est la position permanente de l’Église catholique qui déclare qu’elle possède la plénitude de l’héritage du Christ (Vatican II, le catéchisme de Jean Paul II et autres textes romains, comme Dominus Jésus qui fut très humiliant pour les protestants). Les responsables de l’Église catholique qui campent sur cette prétention n’ont-ils pas l’obligation de se questionner sur les raisons traditionnelles de leur position intransigeante ?
La fidélité n’est pas répétition, mais création
Comment sortir de cette prétention inacceptable pour les réformés et les luthériens à qui on refuse même l’appellation d’Église ! N’est-ce pas en constatant sa relativité, à partir d’une étude historique fouillée et sans a priori concernant la naissance et le développement de l’Église dans les premiers siècles ? On verrait en effet comment est née l’épiscopat monarchique, se référant indûment aux textes du Nouveau Testament lus d’une manière littérale, et on percevrait comment son institution a été sacralisée au cours des temps passées et a entraîné d’autres déviations (interprétation de la mort de Jésus comme sacrifice pour la rémission des péchés, absolutisation des dogmes des IVe-Ve siècles).
N’y a-t-il pas pour le catholicisme à faire preuve d’intelligence courageuse pour emprunter ce chemin de relecture critique qui conduirait les Églises à une reconnaissance mutuelle, chacune ayant ses colorations légitimes à partir des cultures dans lesquelles elles sont nées et ont évolué ? Les acteurs de ce que l’on appelle la crise moderniste datant de la fin du XIXe et du début du XXe siècle appelaient de leurs vœux la réinterprétation du catholicisme figé dans une lecture littérale de l’Écriture et dans une vérité doctrinale immuable. Leurs travaux ont été durement condamnés à l’époque, et certaines personnes excommuniées et interdites de publier ! En dépit de quelques ouvertures modérées de l’Église catholique depuis un siècle, cette crise moderniste s’est poursuivie jusqu’à nos jours.
Le pape actuel est populaire sur le plan social et environnemental. Et on ne peut que s’en féliciter. Mais sa doctrine reste tout à fait classique. Qu’on se rappelle, lors de son voyage en Suède pour le 500ème anniversaire de la Réforme, ses propos à l’adresse des journalistes dans l’avion qui le ramenait à Rome. Ainsi, pour lui, la question de l’accession par les femmes à tous les ministères actuellement réservés aux hommes a été définitivement réglée par Jean-Paul II ! De même, la sécularisation aurait pour cause la tiédeur spirituelle des chrétiens (refrain entonné par des évêques français et tout à fait inexact). Bien sûr, je me réjouis que le pape actuel ait des paroles fortes à propos des émigrés. Mais cela peut donner le change dans l’Église et hors l’Église par rapport aux réformes profondes qui dépendent de lui (comme la conception de l’Unité chrétienne) et qui ne sont pas honorées. Les réformes ne consistent pas seulement à mettre de l’ordre dans la curie (ce qui tarde à se faire) ou les finances. C’est en effet sur l’enjeu fondamental concernant la présentation de la foi chrétienne en notre monde actuel qu’est engagée spécifiquement sa responsabilité singulière au poste qu’il occupe.
En écrivant ces lignes, je ne suis animé que par le désir de servir la mémoire vivante de Jésus qui est la seule référence pour tous ceux qui se disent ses disciples. Ce que nous savons de lui aujourd’hui, plus qu’hier, grâce aux progrès des études exégétiques sur les évangiles, nous dessine les contours de son engagement au nom de son Dieu en son temps et dans son contexte. Celui-ci s’est exercé sur des enjeux bien précis qui ont trait à la libération de l’homme en tous domaines. C’est la raison pour laquelle il a déclenché avec les autorités de sa religion un conflit qui l’a conduit à la mort violente que l’on sait. N’avons-nous pas besoin de revenir à la manière dont Jésus, lucidement et courageusement, s’est investi en annonçant, en paroles et en actes, l’avènement ici et maintenant du Royaume de Dieu, ce monde nouveau dont il faisait à longueur de jour les travaux pratiques ?
N’est-il pas nécessaire de remonter, en amont de toutes les interprétations qui ont été faites de Jésus (certaines coulées dans le béton dogmatique), à la façon d’être et de vivre du nazaréen et de ce qui l’inspirait en profondeur, afin de pouvoir actualiser à notre époque son témoignage de manière plurielle, dans des paroles et des manières de vivre inédites et multiples. La fidélité n’est pas répétition mais recréation. Ne serait-ce pas en revenant à celui qui est à l’origine de nos Églises que nous pourrions vivre en communion les uns avec les autres dans la légitime diversité de nos approches marquées par nos histoires, mais à revivifier sans cesse dans les contextes humains et culturels où nous vivons ?
Je suis loin d’être le seul catholique à penser de la sorte. J’ai aussi des amis protestants français qui partagent mes propos. Eux d’ailleurs avec les luthériens et les anglicans ont eu l’intelligence et le courage de réaliser un accord de reconnaissance pleine et entière. Ces réflexions et ces interrogations ne doivent-elles pas être matière à débat non seulement par les théologiens et les responsables d’Églises, mais par les chrétiens de base qui ont aussi leur mot à dire et à témoigner de leur expérience ?
Source : http://protestantsdanslaville.org/gilles-castelnau-interreligieux/i329.htm
1) – Personne ne tient en main les profondeurs de son inspiration ; sauf l’Église catholique ?
2) – Personne ne tient en main les profondeurs de sa communication ; sauf l’Église catholique ?
3) – Toute vision a un amont philosophique et théologique et en cela, toute vision est essentiellement discutable et ne peut prétendre être vraie (en pertinence) ; sauf l’Église catholique ?
4) – La discussion peut se poursuivre dans la confiance . . . de l’Église catholique, seule ?