Le bénéfice du doute selon François.
Par Régine et Guy Ringwald
Quatre ans et demi de prison pour un évêque, et en Argentine, ce n’est pas rien. Le 4 mars, Gustavo Oscar Zanchetta, ancien évêque d’Orán (tout au nord du pays) a été condamné pour son comportement sexuel vis-à-vis de séminaristes (trois d’entre eux ont porté plainte), et abus de pouvoir (il n’est pas rare que cela aille ensemble). Mais il lui était aussi reproché une mauvaise gestion financière du diocèse.
N’épiloguons pas sur les faits et gestes de ce monsieur, ce qui est très ennuyeux dans cette affaire, c’est que Zanchetta est un ami de François. Il était sous-secrétaire de la Conférence épiscopale argentine, au temps où Bergoglio en était président, les deux hommes étaient proches. Celui qui allait devenir le Pape François le considérait comme son fils spirituel, et fut son confesseur. Il est un des tout premiers évêques qu’il a nommés, dès le début de son pontificat, en 2013 : des bruits couraient pourtant déjà sur son comportement.
Puis les allégations d’abus sexuels, d’autoritarisme et de mauvaise gestion ont créé une réaction de rejet. En 2016, l’évêque a été amené à se retirer, alléguant des raisons de santé, pas vraiment évidentes. En mai-juin 2017, les séminaristes portent plainte au Vatican. Zanchetta démissionne officiellement. Le Vatican dément avoir eu connaissance des abus sexuels imputés à Zanchetta. Pourtant, le vicaire général du diocèse d’Orán, Juan Jose Manzano assure avoir, dès 2015, signalé à Rome les soupçons concernant son comportement.
Le 19 décembre 2017, le pape François le nomme conseiller à l’Administration du patrimoine du Siège Apostolique (APSA), un poste qui a la particularité de n’avoir jamais existé jusqu’alors, et pas très adapté à quelqu’un qui est accusé de mauvaise gestion. Le quotidien « la Nación » s’étonne : « Comment a-t-il été possible que le pape François, qui depuis son élection s’est dit déterminé à mener une politique de “tolérance zéro” contre les abuseurs et leurs complices, ait fait venir Zanchetta au Vatican pour le protéger ? ».
C’est fin 2018 que les trois séminaristes ont porté plainte au tribunal civil, ce qui a abouti à une convocation au tribunal de Salta, en novembre 2019, appuyée par un mandat d’arrêt international.
À l’occasion du sommet sur la pédocriminalité, en février 2019, le pape donne une interview à la journaliste mexicaine Valentina Alazraki qui l’interroge sur Zanchetta : le pape dit bien avoir eu connaissance de la présence d’images « inappropriées » dans son téléphone portable, mais qu’il lui avait d’abord accordé « le bénéfice du doute ». Les allégations continuant à s’accumuler, deux ans plus tard, le pape a transmis l’affaire à la Congrégation pour la doctrine de la foi. Entre-temps, la justice argentine s’était saisie de l’affaire.
Arrêtons-nous un instant sur « le bénéfice du doute » à la mode François. Il y a bien longtemps que personne à Orán n’avait aucun doute. Sans préjuger du résultat du procès, un peu de prudence eût pu inciter le pape à mettre Zanchetta sur la touche. Il est maintenant « mouillé » dans cette affaire par ce qui apparaît comme une protection accordée à un « ami ». Cela rappelle le cas de Barros : alors que le cas était connu dans le dossier Karadima depuis au moins quatre ans, François demandait encore « des preuves » jusqu’à ce que le scandale devienne mondial. Encore une interprétation extensive du bénéfice d’un doute qui n’existait pas. Mais il y a un cas inverse. Dans le scandale de l’achat de l’immeuble de Chelsea, à Londres, où il est dit que le cardinal Becciu a joué un rôle central, jusqu’ici, rien n’a été prouvé ni encore moins jugé. Cela n’a pas empêché le pape de démettre brutalement Becciu, en octobre 2020, le privant des attributs liés à sa charge de cardinal, sans donner la moindre explication. Ce qu’on pourrait appeler « bénéfice du doute » à géométrie variable.