Bolsonaro et les pasteurs
Par Patrick Pluen [1]
Résident au Brésil, après y avoir travaillé plusieurs années, j’ai apprécié votre article qui présente une vue synthétique des relations entre évangéliques et politique au Brésil.
Je regrette cependant qu’il évoque peu les compromissions d’une majorité de pasteurs dans leur soutien à Jair Bolsonaro, lequel n’a pourtant eu de cesse d’attaquer les institutions démocratiques, de libéraliser la vente d’armes à feu (+133 % en 4 ans), de faire obstacle à la vaccination contre le Covid (avec un impact estimé à 95000 morts supplémentaires par la commission d’enquête parlementaire), de promouvoir la haine, la déforestation de l’Amazonie et l’élimination des Indiens, et de faire l’apologie des tortionnaires sanglants de la dictature (1964-1985). Qui a affirmé que s’ils avaient existé à l’époque, Jésus aurait bien sûr porté des pistolets ! Ce qui n’empêche pas de nombreux leaders évangéliques de le présenter comme l’oint du Seigneur.
Comme le constate la jeune députée Tabata Amaral, « Si Jésus-Christ décidait de vivre à nouveau parmi nous, le plus probable est qu’il serait persécuté, attaqué et qualifié de communiste et de malfrat par beaucoup de ceux qui aujourd’hui utilisent son nom pour se maintenir au pouvoir. […] Les vrais chrétiens ne peuvent se taire devant l’utilisation du nom de Dieu et de l’Église à des fins si opportunistes ».
En effet, souligne l’anthropologue Juliano Spyer, qui a écrit avec empathie un livre devenu une référence sur les évangéliques : « Le pasteur déterminé et charismatique entrera en politique grâce au soutien de son Église et des fidèles, sans avoir de cause particulière à défendre, mais comme une opportunité d’améliorer sa situation économique, d’accroître son pouvoir, de favoriser son Église […] ? Les parlementaires du groupe évangélique ne se mobilisent pas contre la corruption, pour défendre des projets visant à améliorer la santé et l’éducation, méprisent les perspectives sociologiques ou mêmes chrétiennes à propos de la violence, pour défendre la répression policière et l’emprisonnement comme moyens de réduire la violence urbaine. »
En cette période électorale, l’intolérance et l’offensive contre la gauche se sont exacerbées : de très nombreux pasteurs prêchent en faveur de Bolsonaro et font circuler des fake news selon lesquelles Lula établirait une dictature communiste et fermerait les églises.
Effectivement, certains pasteurs progressistes appuient Lula, mais leur situation est difficile. En septembre, la Convention baptiste du Brésil a contraint à la démission le pasteur Dusilek, président de la Convention de Rio, pour avoir osé participer à une réunion de pasteurs avec Lula. Le philosophe Joel Pinheiro da Fonseca pose la bonne question : « Comment certaines Églises aujourd’hui, qui prétendent suivre Jésus, justifient-elles de se prosterner devant Bolsonaro en échange de la gloire du royaume de ce monde ? »
Avec la croissance continue du nombre de pentecôtistes, c’est l’avenir d’un Brésil laïc, tolérant et démocratique qui est en jeu.
Note :
[1] Courrier des lecteurs de l’hebdomadaire protestant Réforme du 6 octobre 2022Source : http://protestantsdanslaville.org/gilles-castelnau-libres-opinions/gl1660.htm