Par Christopher White.
Lorsqu’il a publiĂ© le 26 novembre une critique publique du transfert par le gouvernement chinois d’un Ă©vĂŞque catholique vers un diocèse non reconnu par le Saint-Siège, le Vatican a explicitement dĂ©fiĂ© pour la première fois le gouvernement chinois depuis la conclusion d’un accord bilatĂ©ral en 2018 sur la nomination des Ă©vĂŞques dans le pays. Certains dĂ©fenseurs des droits de l’homme et experts en libertĂ© religieuse espèrent que ce changement notĂ© dans la posture de Rome envers PĂ©kin se poursuivra.
« La Chine de 2018 est très diffĂ©rente de celle de 2022 », a observĂ© Stephen Schneck, commissaire de la Commission amĂ©ricaine pour la libertĂ© religieuse internationale. Schneck estime qu’il est temps pour le Vatican de reconsidĂ©rer son approche de la Chine, dont les origines remontent au pape Jean-Paul II.
« À l’origine, cela semblait ĂŞtre une dĂ©cision judicieuse pour restaurer la possibilitĂ© de nommer en Chine des Ă©vĂŞques qui sont si nĂ©cessaires », a dĂ©clarĂ© Schneck Ă propos de l’accord de 2018 du Vatican. « J’irais mĂŞme jusqu’Ă dire qu’Ă l’origine, c’Ă©tait un bon plan. Cela valait la peine de prendre ces mesures expĂ©rimentales. »
« Maintenant, les choses ont changé sous [le président chinois] Xi [Jinping] », a déclaré Schneck au National Catholic Reporter (NCR). « La Chine n’est plus celle avec qui le Saint-Siège a traité initialement à cet égard. » Il a décrit les efforts accrus du gouvernement pour nationaliser les espaces religieux publics et privés pour les personnes de toutes traditions religieuses.
Si ses dĂ©tails n’ont jamais Ă©tĂ© rendus publics, l’accord Vatican-Chine de 2018 dĂ©crit globalement les procĂ©dures de sĂ©lection des Ă©vĂŞques pour le pays qui sont approuvĂ©s par le Saint-Siège avant l’ordination.
MalgrĂ© l’accord, cependant, les experts ont averti que la situation des 10 Ă 12 millions de catholiques du pays, selon les estimations, s’est apparemment dĂ©tĂ©riorĂ©e, avec des dĂ©molitions d’Ă©glises et des mesures de rĂ©pression contre les prĂŞtres catholiques.
Mais il n’y a peut-ĂŞtre personne plus symbolique de ce qui est en jeu pour les catholiques du pays – et du sort de l’accord du Vatican avec la Chine – que le cardinal retraitĂ© de Hong Kong Joseph Zen.
Ă€ l’âge de 90 ans, Zen a Ă©tĂ© arrĂŞtĂ© en mai sur des accusations liĂ©es Ă l’absence d’enregistrement d’un fonds de charitĂ©, aujourd’hui disparu, destinĂ© Ă soutenir les personnes arrĂŞtĂ©es lors des manifestations pro-dĂ©mocraties de Hong Kong en 2019. Le 25 novembre, un tribunal de Hong Kong a dĂ©clarĂ© Zen, ainsi que cinq autres personnes, coupables et lui a infligĂ© une amende Ă©quivalente Ă un peu plus de 500 dollars amĂ©ricains.
Zen a Ă©tĂ© un ardent dĂ©fenseur de la dĂ©mocratie et un critique fĂ©roce de l’approche du Vatican vis-Ă -vis de la Chine.
Ă€ la suite de l’arrestation de Zen en mai, le Vatican a exprimĂ© sa « prĂ©occupation », tandis que la Maison-Blanche a appelĂ© la Chine à « libĂ©rer immĂ©diatement » le cardinal âgĂ©. En mai, l’ambassadeur des États-Unis au Vatican, Joseph Donnelly, a dĂ©clarĂ© Ă NCR qu’il considĂ©rait l’arrestation comme « scandaleuse » et que les États-Unis avaient fait part de leurs prĂ©occupations au Saint-Siège concernant son approche de la Chine.
Tout au long du procès Zen – et après avoir appris en octobre qu’au beau milieu de celui-ci, le Vatican venait de renouveler son accord avec la Chine pour deux annĂ©es supplĂ©mentaires – le Saint-Siège a fait l’objet d’un examen minutieux, notamment parmi les catholiques conservateurs.
Le comitĂ© Ă©ditorial du Wall Street Journal a accusĂ© le Vatican de donner Ă la Chine une sorte de « laissez-passer » pour un comportement inhumain, ce qui, selon lui, a compromis l’autoritĂ© morale de l’Église, et a publiĂ© plusieurs commentaires critiquant l’approche du Saint-Siège. Des personnalitĂ©s critiques du pape bien connues, tel que l’archevĂŞque Carlo Maria Viganò, ancien reprĂ©sentant du pape aux États-Unis, ont soutenu la cause de Zen.
Schneck, cependant, soutient que l’intĂ©rĂŞt pour Zen et la situation en Chine ne devraient pas ĂŞtre soumis Ă une polarisation politique ou ecclĂ©siale.
« Beaucoup d’ennemis et de dĂ©tracteurs du pape François au sein mĂŞme de l’Église, y compris parmi les Ă©vĂŞques, ont utilisĂ© la situation avec la Chine comme un front de plus dans leur longue campagne pour discrĂ©diter ou diminuer Sa SaintetĂ©, et c’est choquant et lamentable », a-t-il dĂ©clarĂ©.
Selon Victoria Tin-bor Hui, originaire de Hong Kong et professeure de sciences politiques Ă l’UniversitĂ© de Notre-Dame, une grande partie de l’attention accordĂ©e aux États-Unis Ă Zen et Ă la situation en Chine provient d’individus ou d’organisations de la droite politique.
Hui a notĂ© que l’entrepreneur et magnat des mĂ©dias de Hong Kong Jimmy Lai, un important soutien du mouvement pro-dĂ©mocratie qui a Ă©tĂ© arrĂŞtĂ© en 2021, est un converti adulte au catholicisme. Le chroniqueur du Wall Street Journal William McGurn a servi de parrain Ă Lai, et un documentaire populaire relatant la position de Lai contre le gouvernement a Ă©tĂ© distribuĂ© par l’institut libertaire Acton, qui a Ă©tĂ© cofondĂ© par un prĂŞtre catholique, le père Robert Sirico.
« Beaucoup de Hongkongais ont l’impression qu’ils doivent se tourner vers la droite pour avoir de l’aide dans les luttes de Hong Kong pour combattre PĂ©kin en gĂ©nĂ©ral », a-t-elle dĂ©clarĂ© Ă NCR.
« J’espère vraiment que les catholiques libĂ©raux en diront plus », a dĂ©clarĂ© Hui Ă propos du Zen et de la situation en Chine.
Hui a notĂ© qu’aux États-Unis, le parti dĂ©mocrate a toujours inscrit Hong Kong comme une prĂ©occupation dans son programme officiel et que la prĂ©sidente sortante de la Chambre des reprĂ©sentants, Nancy Pelosi, a Ă©tĂ© « très claire » dans son soutien Ă la libertĂ© religieuse et Ă la dĂ©mocratie Ă Hong Kong, une position que Hui souhaiterait voir plus largement partagĂ©e par d’autres progressistes, y compris les catholiques.
Schneck a abondĂ© dans ce sens, affirmant que, de mĂŞme que les progressistes s’inquiètent de la dĂ©mocratie aux États-Unis, ils doivent s’inquiĂ©ter de la dĂ©mocratie partout dans le monde.
« Zen est un symbole de la démocratie en Chine, où la possibilité de réformes démocratiques est allée si loin au sud en si peu de temps », a-t-il ajouté.
Lors d’une interview accordĂ©e le 22 novembre au magazine America, François a dĂ©fendu son approche de la Chine, affirmant que le dialogue est la seule option dont dispose l’Église, mĂŞme s’il y a des Ă©checs en cours de route.
Selon Michel Chambon, coordinateur de l’Initiative pour l’Ă©tude des catholiques asiatiques, « le pape François a Ă©tĂ© très ferme sur le fait que nous devons rester ouverts Ă la Chine. »
Chambon, qui est un partisan de l’approche du Vatican Ă l’Ă©gard de la Chine, a dĂ©clarĂ© Ă NCR que, bien qu’il pense que Zen Ă©tait « clairement ciblé » par les autoritĂ©s chinoises et que les « accusations Ă©taient ridicules » et destinĂ©es Ă servir de signal d’alarme, il estime que la position « d’opposition excessive » de Zen n’est pas une approche conforme à « ce que l’Évangile nous invite Ă faire. »
De 2003 Ă 2006, Chambon a servi comme agent pastoral Ă Hong Kong, pĂ©riode pendant laquelle il a louĂ© le ministère actif de Zen auprès des catholiques de la rĂ©gion, mais a dit qu’il l’a vu devenir « de plus en plus extrĂŞme contre PĂ©kin ».
« À bien des Ă©gards, ils sont utiles », a-t-il dit Ă propos des avertissements que lance Zen, « mais nous ne pouvons pas rĂ©duire toute l’Église Ă cela. »
Pourtant, avec le verdict de Zen et la rĂ©cente dĂ©nonciation publique par le Vatican du transfert d’un Ă©vĂŞque par les autoritĂ©s chinoises sans l’approbation du Saint-Siège, Chambon estime qu’il est clair que les deux parties se testent mutuellement.
Le père jĂ©suite Thomas Reese, ancien prĂ©sident de la Commission amĂ©ricaine sur la libertĂ© religieuse internationale, a dĂ©clarĂ© que lorsqu’il s’agit de comprendre la relation du Vatican avec la Chine, « vous nĂ©gociez une prise d’otages sans renfort policier ».
« Le Vatican n’a aucun pouvoir dans cette situation », a-t-il dĂ©clarĂ© Ă NCR.
Reese a dit de la Chine : « Ce sont eux qui ont des armes ». Cela, a-t-il dit, limite l’efficacitĂ© de ce que le pape ou les responsables du Vatican pourraient dire ou faire.
« Cela ne changera rien sur le terrain », a-t-il ajouté.
Reese a dĂ©clarĂ© que, d’après son expĂ©rience au sein de la commission, qui est un organe bipartisan amĂ©ricain chargĂ© de surveiller la libertĂ© de religion, les progressistes aux États-Unis ont nĂ©gligĂ© les questions de libertĂ© de religion. S’il pense qu’une critique directe du Vatican Ă l’Ă©gard de la Chine aurait peu d’effet, il estime que tous les catholiques ont intĂ©rĂŞt Ă se prĂ©occuper de la libertĂ© religieuse, en Chine et ailleurs.
Pour cette raison, Schneck dit qu’il considère ce moment comme un moment oĂą le silence n’est pas une option.
Le projet de sinisation du prĂ©sident Xi, a-t-il observĂ©, a conduit Ă une approche de la religion qui est un « effort pour rappeler aux Chinois religieux que la vĂ©ritable autoritĂ© est l’État, qu’il n’y a rien en dehors de cela, que ce soit Rome ou Dieu, auquel ils peuvent faire appel ». « Et en tant que catholiques, a-t-il ajoutĂ©, nous devrions nous exprimer sur ces prĂ©occupations. »
Source : https://www.ncronline.org/news/has-vaticans-dialogue-china-reached-its-limits
Illustration : Jindřich Nosek (NoJin), CC BY-SA 4.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0>, via Wikimedia Commons