Par Michel Jondot

Les temps sont durs
Nous vivons une période de l’année où l’avenir semble noir : les jours diminuent de plus en plus. On s’enfonce dans le brouillard, dans le froid, dans la nuit. Même la perspective des fêtes prochaines n’atténue pas l’espèce de lassitude qu’on éprouve en traversant les grisailles de la saison.
Nous vivons surtout une période de l’histoire où plus personne ne croit aux lendemains qui chantent. Quel désarroi lorsque, marchant dans les rues de nos villes, il faut sans cesse faire face aux sans-abris qui tendent la main ! Quelle angoisse chez ceux qui craignent pour leur emploi ! Jamais le monde du travail n’a connu autant de suicides. Quelle tristesse de constater que des jeunes risquent d’attendre des années avant de pouvoir exercer leurs compétences ou avant de trouver un logement leur permettant de fonder une famille !
Des questions douloureuses nous traversent : quand les nations cesseront-elles de se déchirer ? Quand les groupes terroristes cesseront-ils leurs manœuvres mortifères ? Comment arrêter la violence qui couve dans les banlieues comme la cendre chaude qui, au moindre souffle, risque de se transformer en incendie ?
Oui, les temps sont durs ! Nous n’osons plus regarder devant nous tant il semble que le chemin sur lequel nous avançons conduit à la ruine.
« Le Royaume est proche »
Attention : faites demi-tour. N’avancez pas vers le néant. Oui ! Faites demi-tour ! Regardez dans une tout autre direction. « Faites demi-tour » : telle est, sans doute, la meilleure manière de traduire le cri que Jean-Baptiste lance dans le désert. Étymologiquement « se convertir » signifie se retourner. Il est lucide ce précurseur de Jésus. Il a de belles images pour évoquer les catastrophes qui menacent : l’avenir, si on regarde dans une certaine direction, ressemble à un arbre que l’on abat pour le mettre au feu. Il est semblable à la paille que le paysan sépare du grain avant de la faire brûler.
Il est lucide, mais à ces images catastrophiques en sont jointes d’autres qui, au contraire, sont prometteuses. L’arbre qui risque de tomber sous la cognée est aussi ce qui produit des fruits savoureux et nourrissants. Le feu qui détruit les détritus de la moisson est aussi ce qui accompagne l’Esprit qui planait aux jours de la création.
« Convertissez-vous !» Faites demi-tour. Regardez devant vous, « car le Royaume des cieux est tout proche ». On a longtemps reproché à l’Église d’endormir la conscience des croyants en leur promettant un avenir radieux, mais lointain pour les aider à se soumettre patiemment aux décisions des puissants et des riches : « la religion opium du peuple ». C’est mal comprendre ce qu’on entend par Royaume des Cieux. Il est vrai que l’Église n’a pas toujours mis en lumière cette expression « Royaume des cieux ». On oppose souvent deux univers ; l’ici-bas, lieu d’épreuve et de souffrance et l’au-delà, lieu de lumière et de bonheur où nous serons consolés et récompensés. On oppose aussi le temps qui passe, les jours qui se succèdent, à une éternité immobile dans laquelle nous entrons au jour de notre mort et qui est bienheureuse pour tous ceux qui ont reçu le baptême. En réalité – et c’est l’originalité chrétienne – s’il est vrai qu’on ne peut confondre l’univers de Dieu et celui de l’homme, il est vrai aussi qu’on ne peut les séparer. Dieu qu’on a tendance à ranger dans un ciel lointain, rejoint à tout instant, ce qu’on appelle à tort « le bas monde ». Le Dieu de Jésus et les humains que nous sommes habitent la même maison. Dieu est aussi uni à nous que peuvent l’être deux époux qui s’aiment tendrement. « Convertissez-vous, car le Royaume des cieux est tout proche ». Oui, vraiment tout proche, plus proche que notre voisin de palier.
Regardez devant vous !
« Faites demi-tour ! Regardez devant vous ! ». Mais comment savoir que nous avons les yeux ouverts dans la bonne direction ? Le même Matthieu qui rapporte la prédication de Jésus nous répond aux dernières pages de l’Évangile, juste avant le récit de la Passion. « J’avais faim et vous m’avez donné à manger » : nous connaissons tous par cœur cette parabole. Ouvrir les yeux sur celui qui souffre en y reconnaissant un appel au secours c’est entrer dans le Royaume que Jésus vient révéler. Ouvrir ses frontières aux étrangers que menace la mort, c’est reconnaître que le Royaume est proche. En appeler soi-même à l’autre lorsque l’on n’en peut plus soi-même, c’est encore entrer dans le Royaume. La tentation est grande de s’enfermer à l’intérieur d’une famille, d’un pays, d’une église ou d’un parti. Par-delà les frontières qui nous définissent, la vie est présente et l’humanité appelle. Savoir l’entendre, c’est reconnaître que le Royaume de Dieu est proche. Il sera toujours proche. En réalité la route à prendre est celle de la parole où l’on écoute et où l’on répond. Le Royaume est celui de la parole : celle qui a pris chair pour demeurer avec nous.
Oui, sans doute, nous traversons des temps difficiles. Oui, à travers les événements que nous traversons, des forces de mort sont au travail. Des hommes, des femmes, des enfants et chacun de nous peut-être nous en sommes victimes. Plutôt que de nous enfoncer dans la nuit, écoutons les appels et tentons d’y répondre. Nous sommes, à coup sûr, moins démunis qu’il ne semble.