Jésus de Nazareth et le patriarcat
Réflexions théologiques féministes pour le 8 mars par Juan José Tamayo.
Les religions – encore aujourd’hui – n’ont jamais fait bon ménage avec les femmes qui sont les éternelles oubliées et les grandes perdantes, considérées comme subalternes et souvent transformées en servantes des chefs religieux. Leur corps et leur esprit sont colonisés. Elles ne sont pas reconnues comme des sujets moraux, religieux et théologiques, car, au sein des religions, c’est la masculinité patriarcale sacrée qui fait la loi.
L’intellectuelle féministe Mary Daly a raison lorsqu’elle affirme dans son livre Beyond God the Father que « If God is male, male is God » (Si Dieu est mâle, le mâle est Dieu) ; il en est de même de la féministe de la troisième vague Kate Millet, qui affirme dans son livre Sexual Politics que « le patriarcat a Dieu de son côté ». Non pas parce que le Dieu chrétien est misogyne, sexiste et patriarcal, mais parce que c’est l’image qu’offre de lui le patriarcat religieux, allié aux autres patriarcats.
L’attitude de Jésus, occultée pendant des siècles
L’attitude de Jésus de Nazareth était cependant très différente : il a manifesté de façon remarquable son indignation à l’égard de la société et de la religion patriarcales de son temps. Le christianisme historique a occulté cette attitude au long des siècles, parce que les églises chrétiennes sont configurées de manière patriarcale et ont besoin de légitimer cette configuration par une image également patriarcale de Jésus lui-même, de son message et de sa pratique.
L’exégèse et la théologie n’ont pas été non plus en mesure de découvrir cette indignation, car elles ont presque toujours utilisé, jusqu’à très récemment, des méthodes historico-critiques androcentriques, elles-mêmes patriarcales dans la compréhension de la réalité, dans la traduction et l’interprétation des textes et dans les images qu’elles ont données de Jésus dans la prédication, la catéchèse, les traités théologiques et les livres de piété.
Aujourd’hui, grâce notamment à l’herméneutique féministe et à la théologie du soupçon, ainsi qu’aux études d’anthropologie culturelle et de sociologie du Nouveau Testament, du christianisme primitif et du Jésus historique, la centralité de l’indignation de Jésus contre le patriarcat religieux, politique, social et juridique de son temps devient évidente
Jésus reconnaît la dignité des femmes que le judaïsme orthodoxe leur refusait à tous égards. Il remet en cause les lois pénales qui condamnaient plus sévèrement les femmes que les hommes, comme la lapidation pour adultère et le blâme de répudiation. Dans la scène évangélique de la femme adultère, deux éléments sont à prendre en compte dans la conduite de Jésus : a) il reproche aux accusateurs leur double langage ; b) il pardonne à la femme, l’exemptant de la punition que lui imposait la loi.
Croyants, critiques et féministes
Il faut apprécier à sa juste valeur le geste généreux de la femme qui se rend dans la maison du pharisien Simon, où Jésus mange, et verse sur lui un flacon de parfum ; ce qui témoigne d’une proximité, voire d’une tendresse, à l’égard de Jésus et d’une reconnaissance symbolique de sa messianité. À une autre occasion, Jésus ose affirmer, au grand scandale des autorités religieuses, que les prostituées, les pécheurs et les collecteurs d’impôts précéderont les fidèles respectueux de la loi dans le royaume des cieux. Une telle démarche entre en conflit avec les gardiens de la loi.
Un mouvement égalitaire
Il lance un mouvement égalitaire d’hommes et de femmes, où le sexe n’est pas un motif de discrimination ou de reconnaissance spéciale. L’élément commun aux hommes et aux femmes du groupe est de suivre le Maître, ce qui implique de partager son mode de vie pauvre, d’accepter son enseignement et d’annoncer le royaume de Dieu comme une bonne nouvelle de libération pour les personnes et les groupes appauvris et marginalisés. Ceci est mis en évidence par un texte de l’Évangile de Luc qui fait référence aux femmes qui ont accompagné Jésus, ce qui était inhabituel parmi les rabbins juifs : Lc 8:1-3.
Jésus reconnaît la dignité et la citoyenneté refusées aux femmes par la religion, par la société et par l’Empire romain. L’attitude intégrative et inclusive de Jésus a nécessairement provoqué des conflits, remis en question les structures patriarcales du judaïsme et son discours androcentrique, et impliqué un changement révolutionnaire non seulement dans le domaine religieux, mais aussi dans les sphères politiques et sociales.
Les femmes ont joué un rôle décisif dans l’expansion du mouvement de Jésus au-delà des frontières d’Israël. C’est ce que semblent indiquer deux récits évangéliques appartenant à deux traditions différentes : celui de la Samaritaine, qui répandit la Bonne Nouvelle de Jésus parmi un peuple hétérodoxe aux yeux des Juifs (Jn 4), et celui de la Syrophénicienne qui demanda à Jésus de guérir sa fille, possédée par un esprit impur (Mc 7, 24-30 ; Mt 15, 21-28), et qui réussit à vaincre sa résistance initiale.
Les premières témoins du Christ ressuscité
Mais c’est dans les récits de la résurrection que s’effondrent tous les modèles patriarcaux de la société et de la religion juives. Les femmes, dont le témoignage n’avait aucune valeur, apparaissent comme les premiers témoins du Ressuscité. Les Douze apparaissent comme des témoins indirects qui acquièrent la connaissance de la résurrection par l’intermédiaire des femmes. Leur attitude à l’égard du témoignage des femmes est dans la ligne de leur comportement lors du procès de Jésus : alors ils avaient fui, ils sont maintenant réticents et déconcertés. En tant que Juifs misogynes, ils ne croient pas les femmes.
Paul de Tarse exclut les femmes de la liste des apparitions, leur substituant les douze apôtres et substituant Pierre à Marie-Madeleine (1 Co 15, 3-8). Mais cela n’a pas empêché Paul lui-même de reconnaître l’égalité des hommes et des femmes (Galates 3:26-28) et d’accorder aux femmes des responsabilités dans les communautés pauliniennes. Je suis d’accord avec Suzanne Tunc : « Elles (les femmes) sont le maillon indispensable de la transmission du message évangélique, et même le maillon essentiel de notre foi dans le Christ ressuscité ! »
Je vais même plus loin : sans le témoignage et l’expérience de la résurrection des femmes, l’Église chrétienne n’aurait peut-être jamais vu le jour. Elles sont à l’origine et au début du développement du christianisme. Il est donc inexplicable qu’étant à l’origine de l’Église, les femmes aient rapidement souffert d’une telle marginalisation, qui perdure jusqu’à aujourd’hui, sans aucun signe de changement, du moins sur le plan institutionnel. À la base du christianisme, il y a eu des changements importants qui ont donné lieu à la rébellion des femmes et à la naissance de la théologie féministe.