La formation à la résolution des griefs donne de l’espoir aux religieuses indiennes
Saji Thomas.
Sœur Leena Padam espère que la plateforme dont disposent désormais les religieuses catholiques en Inde leur permettra d’être entendues et d’obtenir un règlement légitime de leurs griefs.
« Jusqu’à présent, en Inde, les religieuses ne savaient pas où exprimer leurs griefs, mais aujourd’hui nous avons une plateforme pour partager nos problèmes sans crainte de représailles », a déclaré L. Padam, membre des Sœurs de la Charité de Nazareth, à Global Sisters Report (GSR).
Padam a fait partie de la centaine de religieuses qui ont participé à une formation spéciale sur la cellule de règlement des griefs (Grievance Redressal Cell, GRC), une initiative de la Conférence des religieuses de l’Inde, dans la ville de Kolkata, à l’est de l’Inde.
La conférence a lancé la cellule le 10 décembre 2023, par le biais d’un programme virtuel destiné à plus de 100 000 religieuses catholiques en Inde. Il s’agit d’un lieu où l’on entend les doléances des religieuses, où l’on en tient compte et où l’on trouve une solution par le dialogue.
« C’est sans aucun doute une lueur d’espoir pour les moniales, en particulier pour les jeunes », a affirmé Leena Padam à la suite de la formation qui s’est déroulée du 19 au 21 janvier, la deuxième destinée à informer les moniales sur l’objectif de la cellule. Des moniales des États du nord, de l’est et du nord-est de l’Inde y ont participé.
La première formation s’est tenue du 27 au 29 décembre dans la ville de Bangalore, au sud de l’Inde, pour les nonnes des États du sud.
Padam, militante sociale basée à Ranchi, la capitale de l’État du Jharkhand, dans l’est de l’Inde, note : « En général, lorsqu’une moniale se plaint d’un prêtre ou d’une autorité ecclésiastique au sein de l’Église, on ne lui fait pas confiance. Même ses supérieures ont tendance à croire ce que dit le prêtre ou l’évêque ».
Les moniales peuvent désormais s’adresser sans hésitation à la Commission de recours, qui est la voie appropriée. « Elles sont assurées d’être entendues et de trouver une solution à leurs problèmes, si cela est possible dans le cadre de l’église », a-t-elle déclaré.
Sœur Maria Nirmalini, du Carmel apostolique, responsable des plus de 130 000 religieux et religieuses catholiques de l’Inde, décrit la cellule comme pertinente et opportune. « Malgré tous les systèmes et les soins que nous avons mis en place, certaines circonstances malheureuses peuvent conduire à un sentiment d’isolement extrême, même si l’on fait partie d’une communauté et d’une famille », a-t-elle déclaré au GSR.
Elle ajoute que la cellule est « une façon de reconnaître ce besoin et de faire de notre mieux pour apporter un soulagement là où c’est possible au sein de notre communauté ».
Le lancement de la cellule a été motivé par un livre sur la discrimination sexuelle au sein de l’Église en Inde, publié par la section des femmes de la conférence en 2018.
Le livre, intitulé It’s High Time : Women Religious Speak Up on Gender Justice in the Indian Church (Il est grand temps : des religieuses s’expriment sur la justice entre les sexes dans l’Église indienne), a révélé que le chantage sacramentel, les abus sexuels du clergé, le cléricalisme et les conflits de propriété constituaient certains des principaux défis auxquels étaient confrontées les religieuses catholiques dans le pays
Le livre de 86 pages écrit par une équipe de trois membres, dirigée par Sœur Hazel D’Lima, ancienne supérieure générale de la Société des Filles du Cœur de Marie, a également mis en évidence « l’injustice de genre » dont les religieuses catholiques ont souffert dans l’église patriarcale.
Sœur Elsa Muttathu, secrétaire nationale de la Conférence des religieuses de l’Inde, qui dirige les formations, regrette que dans de nombreux cas, les religieuses elles-mêmes ne soient pas conscientes du type d’abus dont elles souffrent au sein du système.
« Nous formons les religieuses à comprendre les différentes formes d’abus, non seulement sexuels, mais aussi verbaux et autres, et nous leur expliquons comment s’adresser à la cellule », a déclaré Muttathu au GSR.
Elle a indiqué qu’un comité de sélection composé de trois membres étudiera d’abord la plainte ; si elle est jugée fondée, elle sera transmise à un comité composé de neuf membres.
« Le comité est composé de cinq religieuses, d’un prêtre religieux ou d’un frère. Les autres membres sont des personnalités féminines éminentes qui connaissent bien le fonctionnement des religieuses catholiques », a-t-elle expliqué.
Elsa Muttathu a également précisé qu’aucun supérieur majeur n’est autorisé à devenir membre de ce comité, afin de préserver sa neutralité et l’efficacité de son fonctionnement. « Dans la plupart des cas, les religieuses s’adressent au GRC après avoir échoué à obtenir justice auprès de leur congrégation », a-t-elle noté
« La compétence du comité s’exerce dans le cadre de l’Église et celui-ci n’engagera pas de bataille juridique devant un tribunal civil. Cependant, si l’affaire nécessite une attention juridique, nous soutiendrons le plaignant dans ses démarches, mais nous ne nous impliquerons pas directement », a déclaré Elsa Muttathu.
Selon le projet de lignes directrices élaboré par la conférence, un membre lésé peut déposer une plainte auprès de la cellule soit par téléphone, soit par écrit, soit par courrier électronique. Une fois la plainte déposée, un accusé de réception est envoyé dans les sept jours ouvrables.
L’accusé de réception comprend un numéro de réclamation unique et le mode de suivi de l’évolution de la réclamation
Toutefois, la cellule de règlement des griefs n’examinera pas une question qui est devant un tribunal ou qui fait l’objet d’une enquête de police.
La ligne directrice promet de résoudre une plainte normale dans un délai de 30 jours. Une plainte complexe et délicate prendra plus de temps, et la cellule informera la plaignante du retard.
Si une plaignante ne répond pas à la réponse écrite de la cellule dans un délai de 45 jours, l’affaire sera considérée comme close.
La cellule s’engage à garder confidentiels l’identité de la plaignante et les détails de la plainte, à moins qu’une agence externe ne l’exige pour résoudre la crise, et ce avec son consentement préalable.
La cellule mènera ses procédures comme dans un tribunal civil : elle adressera une notification à l’accusé, demandera une réponse écrite, interrogera des témoins et établira les faits, entre autres actions
L’objectif de la cellule est de clore les affaires, même les plus graves, dans un délai de 90 jours, afin d’éviter tout retard dans l’obtention de la justice pour le plaignant.
Anita Cheria, militante des droits de l’homme basée à Bangalore, dans le sud de l’Inde, a déclaré que « l’idée même de ce mécanisme est de transformer la vie religieuse en bonheur et en valeur ».
« De nombreux systèmes sont en place au sein de l’Église catholique, mais j’ai encore rencontré des religieuses dans des situations désespérées, poussées à des mesures extrêmes comme le suicide ou le départ de la congrégation », a déclaré Anita Cheria, une laïque catholique et l’une des personnes-ressources de la formation, au GSR.
Elle a expliqué que dans de nombreux cas, la plaignante était traitée comme une fautrice de troubles dans la congrégation et isolée, ce qui ne lui laissait aucune marge de manœuvre pour aborder son problème.
« Dans certains cas, les supérieurs défendent l’accusé, ce qui rend la plaignante plus vulnérable », a déclaré A. Cheria
Depuis 1997, plus de 20 religieuses se seraient suicidées en Inde, la plupart au Kerala, bastion chrétien du sud du pays.
Anita Cheria estime qu’une audience aurait permis à beaucoup d’entre elles d’éviter de recourir à des mesures extrêmes. « La nouvelle initiative est un grand pas en avant pour aborder les problèmes auxquels sont confrontées les moniales dans le système patriarcal », explique-t-elle
Sœur Nambikai Mary, secrétaire de l’unité Tamil Nadu et Pondichéry de la conférence dans le sud de l’Inde, dit que les moniales ont maintenant le sentiment d’avoir un endroit où elles seront entendues.
Mary, membre de l’ordre de Sainte-Anne-de-la-Providence, qui a participé à la formation à Bangalore, a déclaré au GSR : « Les religieuses subissent des harcèlements de différentes natures au sein de l’église et à l’extérieur, mais le plus souvent elles sont incapables de se lever et de s’opposer à ces harcèlements, car elles manquent de soutien au sein de la congrégation ou de l’église.
Elle ajoute que la cellule de règlement des griefs « n’est pas seulement une consolation, mais une source de force ».
Elsa Muttathu a déclaré que la formation ne se limitait pas aux abus au sein de l’église, mais couvrait également des lois importantes telles que la loi de 2012 sur la protection des enfants contre les infractions sexuelles, une loi fédérale visant à protéger les enfants contre toutes les formes d’abus sexuels, et la loi sur la prévention du harcèlement sexuel sur le lieu de travail.
La loi sur le lieu de travail exige que chaque organisation définisse ses politiques en matière de harcèlement sexuel, ses systèmes de prévention, ses procédures et ses règles de service pour ses employés, entre autres choses, a déclaré la secrétaire nationale.
Cheria félicite la section féminine de la conférence d’avoir mis en place le GRC, mais « c’est un grand défi à relever dans une église patriarcale ». Comme il a été créé dans le cadre de la CRI, il est légitime et nous espérons que les autorités ecclésiastiques accepteront peu à peu ce changement en Inde, car le Vatican ne tolère aucune forme d’abus.