Se laisser aller comme on est
Michel Deheunynck.
Alors dans le monde ou pas dans le monde ? Agir ou prier ? Faire du social ou du religieux ? Une foi qui prend racine dans nos vies ou une foi qui nous tomberait dessus ? Pareil ou pas pareil ? … voilà deux façons de se situer comme croyants et qui, parfois même, nous divisent entre croyants. Et à la fin du 1er siècle, quand Saint-Jean écrit cet Évangile, il devait déjà commencer à s’inquiéter pour l’avenir du christianisme et l’unité des communautés. Mais quelle unité ? Sûrement pas dans l’alignement, dans les bonnes normes, dans les faux-semblants, pour être sûrs de bien faire comme il faut, comme les autres. Bien sûr que non ! L’un de vous me disait « Dieu nous aime, Il nous aime parce qu’on est différents ! » Nos différences, elles sont au cœur même du mystère de notre humanité, de notre vocation humaine et de notre vocation de croyants.
Dans ce passage que nous venons de lire, Jésus termine sa grande prière que nous avons lue ces derniers dimanches, en levant les yeux au ciel. Il lève les yeux vers son Père et vers ce mystère de nos vies. Il va s’en aller et, en partant, Il nous offre la « vie éternelle », c’est-à-dire de connaître ce Dieu Père. Celui-là. Pas un autre. Oui, parce que d’autres dieux, il y en a beaucoup : des faux dieux, des idoles, des contrefaçons sacrées… Alors, Il a bien raison, Jésus, de nous faire connaître le vrai. Et pour cela, en effet, on a bien besoin de toute une vie, une vie… éternelle. D’autant que, comme quelqu’un me le faisait remarquer, ce Dieu-là, le vrai, Il n’est pas tout à fait à notre mesure… Alors, le connaître, qu’est-ce que ça veut dire ? Co-naître, en deux mots, cela veut dire : naître avec, renaître avec. Et la vie éternelle, ce serait donc… une nouvelle naissance. Pour reprendre notre place, notre place à chacune et chacun de nous avec les autres, seule façon de co-naître un peu plus de ce Dieu, comme Jésus lui-même l’a fait en prenant sa place avec nous.
Pour Jésus, cette prière est la dernière étape de sa mission terrestre avant qu’Il soit humilié, supplicié, cloué en croix sur le chemin de sa Gloire. Dieu nous l’a donné et, comme bien d’autres encore après lui, Il a donné de sa vie pour les autres. Il n’y a rien de plus beau, de plus grand que de donner un peu ou beaucoup de sa vie pour les autres. Certains le font au nom de leur foi. D’autres, au nom de leurs convictions humanistes. Et comme Jésus, ce qu’ils nous laissent, ce ne sont pas des statues à vénérer. C’est tout leur courage, leur amour, le sens qu’ils ont donné à leurs vies et à nos vies à nous. Tout ce qui les a fait avancer, chercher, agir et qui nous fait, nous aussi avancer, chercher, agir, à notre tour.
Ainsi connaître Jésus et, par lui, connaître son Père, ça ne se fait pas en étudiant des connaissances ou en apprenant des doctrines. Mais en lui emboîtant le pas sur la route de notre histoire, pourvu que cette route soit toujours ouverte, la route d’une vie toujours aimante, toujours neuve, toujours ressuscitée, par-delà toutes nos croix à nous. Et sur cette route, connaître Dieu, c’est se laisser aimer par lui.
Alors, Seigneur, aujourd’hui, libère-nous, de tout ce qui nous empêche de t’aimer et de nous laisser aimer par toi comme nous sommes. Que nous te disions notre foi, non pas avec des formules convenues (tu dois en avoir ta dose de ces formules…), mais avec nos mots à nous, même s’ils sont maladroits. Que nous puissions vivre, aimer t’aimer non seulement avec une conduite bienséante, mais avec notre cœur à nous, même quand il est meurtri, blessé. Et que, avec nos différences, nous soyons toutes et tous, un en toi et toi en nous. Et, selon le message de la première lettre de ce même Saint-Jean que nous avons lue avant l’Évangile, c’est ainsi que notre monde d’aujourd’hui saura, lui aussi, à quel point tu l’aimes !