L’émission de mandats d’arrêt contre les protagonistes de la guerre à Gaza demandée par le Procureur de la CPI
Jean-Bernard Jolly (Chrétiens de la Méditerranée).
- Il faut d’abord situer cette procédure par rapport à celle qui a été introduite par l’Afrique du Sud devant la Cour Internationale de Justice (CIJ). Celle-ci a été instituée par l’Organisation des Nations Unies en 1945 pour régler les différends entre les États membres. Elle peut rendre des avis consultatifs ou être saisie par des États membres à l’encontre d’un autre État.
On peut lire sur le site de l’Agence Media Palestine l’état actuel de la procédure opposant l’Afrique du Sud à Israël en suspicion de crimes de guerre et contre l’humanité : https://agencemediapalestine.fr/blog/2024/05/21/afrique-du-sud-israel-compte-rendu-des-audiences/. On y trouvera en particulier les plaidoiries des avocats de l’Afrique du Sud et d’Israël prononcées lors des audiences des 16 et 17 mai 2024.
- Bien que la CPI ne soit pas un organe des Nations Unies, elle a conclu un accord de coopération avec l’ONU. Créée en 2002 et basée à La Haye, la CPI est « une juridiction pénale qui peut poursuivre des individus pour crimes de guerre ou crimes contre l’humanité ». Elle a la charge d’établir des responsabilités pénales individuelles et non pas celles des États. Les deux procédures ne font donc pas double emploi. Voici le lien vers la déclaration du Procureur de la CPI concernant les poursuites de dirigeants palestiniens et israéliens et l’explicitation des compétences respectives de la CIJ et de la CPI : https://news.un.org/fr/story/2024/05/1145696
On rappelle qu’il s’agit d’une requête de l’accusation à la Cour Pénale Internationale, que celle-ci n’est pas tenue de suivre. Puisque les juges qui la composent sont de différentes nationalités, il n’est pas exclu qu’ils agissent en fonction de politiques nationales, au-delà des qualifications juridiques des actes incriminés. La requête pourrait ainsi ne pas avoir de suite. On sait aussi que seuls les États qui ont ratifié le traité portant création de la CPI peuvent exécuter les demandes d’arrestation, si ces personnes entrent sur leur territoire. Or ni Israël ni les États-Unis n’ont ratifié ce traité.
- Des remarques intéressantes sont pourtant à faire à partir de cette initiative. La première est qu’il s’agit d’une reconnaissance de fait d’un État palestinien indépendant et souverain dans son implantation à Gaza, à travers la mise en cause de ses principaux dirigeants, sur place et en exil. Mais, à l’opposé, cela rabaisse encore le statut de ce que l’on appelle l’Autorité palestinienne, siégeant à Ramallah en Cisjordanie, entièrement dépendante de l’occupation israélienne. À son propos, le gouvernement israélien s’exprime de manière constante pour lui dénier toute possibilité de devenir même l’embryon d’un Etat palestinien. Voir la déclaration de Benjamin Netanyahu le 18 janvier 2024, rapportée sur le site du Huffington Post : Netanyahu s’oppose à la création d’un État palestinien à la fin des combats. Les divisions qui minent le mouvement palestinien de l’intérieur ne peuvent qu’en être exacerbées.
D’un point de vue historique plus large, l’étude faite sur le site de l’Union Juive Française pour la Paix (Ujfp) sur le slogan « Palestine libre de la mer au Jourdain » est éclairante. Loin d’être une revendication d’abord du Hamas, le slogan a été le projet d’un État d’Israël éliminant toute présence arabe sur la Terre sainte « de la mer au Jourdain » : « Palestine libre, de la mer au Jourdain », l’histoire d’un slogan.
- Une seconde est la sévérité des accusations qui sont portées, en premier lieu, contre les dirigeants palestiniens de Gaza. Étant les premiers mis en cause, on conçoit qu’ils rejettent radicalement les accusations qui sont portées contre eux. Pourtant la précision des témoignages recueillis par le Procureur de la CPI ne peut que les décrédibiliser et fragiliser leur position, y compris par rapport à leurs soutiens institutionnels.
Comment entre autres la Turquie et le Qatar qui ont pris fait et cause en leur faveur réagiront-ils à des accusations aussi circonstanciées ? Sans oublier leur vulnérabilité face à des assassinats « ciblés » dont les responsables palestiniens résidant à Gaza sont menacés chaque jour par l’armée israélienne, mais aussi partout dans le monde par les services spéciaux de divers États, dont Israël et ses correspondants. C’est comme une indication, pour eux, que leurs jours sont comptés. Et cela peut les conduire éventuellement à adopter des attitudes suicidaires.
- Enfin il faut remarquer la condamnation abrupte par les États-Unis de la démarche du Procureur. Voir par exemple l’article du quotidien en ligne The Guardian du 21 mai 2024 : Biden attacks request by ICC prosecutor for Netanyahu arrest warrant. Cela témoigne d’une gêne de l’administration Biden ainsi obligée de réaffirmer un soutien indéfectible à l’égard de la politique d’Israël à Gaza et dans les Territoires occupés, au moment même où elle tente de prendre ses distances par rapport au gouvernement israélien actuel.
Cela la met en porte-à-faux par rapport à une opinion démocrate dont une partie soutient les protestations aux États-Unis contre les massacres à Gaza et en Cisjordanie. Voir également dans The Guardian du 20 mai 2024 : Biden wants progressives to believe he’s reining in Israel. He isn’t. Au point que Joe Biden se voit accusé de tenir un double langage, son discours contredisant sa poursuite des livraisons d’armement à Israël sans aucune restriction, sinon passagère, et la vision à laquelle il se cramponne de deux États vivant en paix apparaissant de plus en plus loin de la réalité du terrain.
- Et cependant jamais le poids de l’administration américaine n’a été aussi déterminant au Moyen-Orient, dans la mesure où aucun autre acteur n’a autant d’influence économique et de moyens militaires dans la région. Les réactions de la Russie, de la Turquie, même de la Chine ont bien peu de portée réelle, pour ne rien dire de l’Iran secoué par la mort de son chef d’État, ni de l’inexistence de l’Union Européenne. Et la récente réunion de la ligue arabe à Manama, au Bahreïn, le 16 mai 2024, débouche aussi, en l’absence de moyens, sur un aveu d’impuissance. Voir l’article du quotidien Le Monde en ligne le 17 mai, les pays arabes appellent à déployer des forces de paix sous mandat de l’ONU dans les territoires palestiniens occupés.