Banque DEXIA : la garantie de l’Etat belge contestée en justice
L’action pour l’annulation des garanties octroyées à Dexia et
les propositions alternatives du CADTM
Le 26 février 2013, les associations CADTM, ATTAC Bruxelles 2 et ATTAC Liège ainsi que deux députées fédérales Zoé Genot (Ecolo) et Meyrem Almaci (Groen) ont introduit au Conseil d’État une requête visant l’annulation de la garantie de l’État belge aux créanciers de Dexia Crédit Local [1]octroyée par Arrêté royal le 19 décembre 2012. Cette action fait suite à une première requête en annulation introduite en décembre 2011. Le CADTM, ATTAC et les deux députées sollicitent également l’annulation des actes qui sont la conséquence nécessaire et directe de l’arrêté royal attaqué, à savoir, en ce qu’ils engagent l’État belge, la convention de garantie autonome à première demande signée le 24.1.2013, et les garanties accordées sur base de cet acte.
Par leur action en justice, le CADTM, ATTAC et les deux députées dénoncent notamment les pleins pouvoirs accordés au Ministre belge des Finances pour les vingt prochaines années entraînant un déni démocratique majeur puisque les parlementaires ne seront absolument pas consultés. En effet, l’arrêté royal attaqué permet au seul Ministre des finances d’engager l’État jusqu’à 43,7 milliards d’euros (sans compter les intérêts et les accessoires). Ce qui correspond à 11% du Produit intérieur brut (PIB) de la Belgique, à près de 25% du budget de l’État. Concrètement, si Dexia Crédit Local ne parvient pas à rembourser ses dettes, alors les pouvoirs publics devront casquer immédiatement. L’augmentation de la dette publique qui en résulterait serait à coup sûr utilisée comme arme de chantage pour justifier une dose supplémentaire d’austérité contre la population.
Les citoyens sont clairement menacés d’autant que l’arrêté attaqué offre une protection maximale aux créanciers. Ces derniers peuvent exiger des pouvoirs publics le remboursement immédiat de leur dette même si celle-ci a été contractée de manière illégale. C’est ce que précise explicitement la Convention de garantie autonome signée par le Ministre belge des finances le 24 janvier 2013, en application de l’arrêté du 19 décembre 2012
(voir : http://www.nbb.be/DOC/DQ/warandia/pdf/garantie_FR.pdf ).
Voici un extrait de cette convention : article 2 (a) (ii): « les États renoncent dès lors (sans préjudice de leurs droits envers Dexia Crédit Local) à invoquer tout moyen de défense ou toute exception relatifs aux Obligations Garanties ou au non respect par DCL de ses obligations envers les États ainsi que tout autre moyen de défense ou toute autre exception que DCL pourrait faire valoir envers les Tiers Bénéficiaires ou Détenteurs de Titres pour en refuser le paiement, et les États seront tenus envers les Tiers Bénéficiaires ou les Détenteurs de Titres comme s’ils étaient les débiteurs principaux des Obligations Garanties selon les termes de celles-ci, à concurrence de leur quote-part respective. En particulier, les obligations des États en vertu de la présente Garantie ne seront pas éteintes ou affectées par :
(i) la cessation des paiements (que ce soit au sens du code de commerce ou du code monétaire et financier français), l’insolvabilité, la dissolution, la radiation ou tout autre changement de statut de DCL ;
(ii) l’illégalité des Obligations Garanties ;
(iii) l’illégalité des obligations d’un autre État en vertu de la présente
Garantie, ou le non respect par un autre État de ces obligations ; »
C’est pourquoi le CADTM, ATTAC et les deux députées demandent donc en plus de l’annulation de l’arrêté royal de décembre 2012, l’annulation de tous les actes pris en exécution de cet arrêté illégal comme cette convention de garantie de janvier 2013.
Propositions du CADTM au-delà de la procédure légale en cours
Au-delà de cette requête devant le Conseil d’Etat, le CADTM met en avant des alternatives pour faire face à la débâcle bancaire et à la crise. Seule la mobilisation populaire est susceptible d’aboutir à la mise en pratique de ces solutions radicales.
La partie de la dette publique qui est le résultat direct ou indirect de la crise bancaire et du sauvetage des banques privées est frappée d’illégitimité [2]. Le CADTM affirme que l’augmentation de la dette publique attribuable aux aides directes apportées par les pouvoirs publics belges aux banques privées depuis 2008 s’élève à plus de 35 milliards €. Cette dette n’a pas servi l’intérêt général, elle permet aux banques d’avoir le beurre et l’argent du beurre tout en continuant leur politique néfaste. Cette dette publique constitue le prétexte invoqué par les gouvernants pour porter atteinte aux droits économiques, sociaux et politiques des populations. Cette dette doit être annulée.
Il est important de mieux comprendre le rôle des banques en ouvrant leurs livres de comptes et en auditant les budgets des pouvoirs publics qui leur viennent en aide, en mettant en lumière leurs activités, en identifiant les raisons qui les font agir. Le processus d’audit citoyen de la dette est essentiel à la fois pour comprendre et pour agir.
Concernant le secteur financier, le CADTM considère que, par l’application de mesures radicales, il est possible de garantir les dépôts des épargnants ainsi que l’emploi et les conditions de travail du personnel du secteur. Pour le CADTM, il faut un service public de l’épargne, du crédit et de l’investissement. Le métier de la banque (au sens de constituer un instrument pour collecter l’épargne et pour octroyer du crédit) est trop sérieux pour être confié à des banquiers privés qui par définition cherchent à maximiser le profit de la poignée de grands propriétaires privés (le 1%, comme le mouvement Occupy Wall Street les a appelés). Vu qu’elles utilisent de l’argent public, bénéficient de garanties de la part de l’État et doivent rendre un service de base fondamental à la société, les banques doivent être socialisées sous contrôle citoyen et devenir un service public.
En Belgique, l’État est devenu l’actionnaire unique ou principal de sociétés financières comme Belfius (l’État belge possède 100% des actions de Belfius) [3] ou Dexia SA (l’Etat belge possède 50,02% du capital de Dexia SA et l’État français 44,40%) mais ces institutions restent privées et sont gérées sans tenir compte de l’intérêt des citoyens et des citoyennes. Le CADTM se prononce pour la transformation de Belfius (ancien Dexia Banque Belgique) en service public contrôlé par les citoyennes et les citoyens ainsi que pour la faillite ordonnée de Dexia SA qui est une structure de défaisance (« bad bank » dans laquelle il n’y a plus de dépôts d’épargnants). La faillite ordonnée de Dexia SA permettra de revendre les actifs afin de faire rentrer des fonds dans les caisses des pouvoirs publics (l’État et les communes) [4] et de passer la facture aux grands créanciers privés car ils ne seront pas remboursés. De même avec Dexia Crédit Local en France.
De plus, les personnes et les sociétés qui sont responsables de la débâcle bancaire doivent être condamnées selon les cas à de fortes amendes, à des travaux d’intérêt général, à une privation de liberté ou à une interdiction d’exercice de la profession.
En résumé : d’une part, il faut obtenir l’annulation/répudiation de la dette publique illégitime et lancer une politique d’emprunt public favorisant la justice sociale, l’amélioration des conditions de vie, le rétablissement des grands équilibres écologiques ; d’autre part, il est nécessaire de socialiser le secteur bancaire et de le placer sous contrôle citoyen (des salariés des banques, des clients, des associations et des représentants des acteurs publics locaux), car il doit être soumis aux règles d’un service public [5] et les revenus que son activité génère doivent être utilisés pour le bien commun. D’autres mesures, comme l’arrêt des politiques d’austérité, la mise en place d’une politique fiscale qui mette en avant la justice sociale, la répression de la grande fraude fiscale, l’amélioration des revenus de la majorité de la population, la réduction du temps de travail, la promotion des services publics et du non marchand, le renforcement du système de sécurité sociale,… sont évidemment tout à fait nécessaires [6].
Le CADTM est conscient de la nécessité d’inventer et d’instaurer une véritable démocratie libérée des puissances de l’argent et de toutes les formes d’oppression, il est persuadé que les citoyens et les citoyennes vont délibérer ensemble de leur avenir pour mettre en pratique des alternatives émancipatrices.
CADTM – 4 mars 2013
Notes :
[1] Dexia Crédit Local de France, société de financement des communes de France, est en voie d’extinction car l’Etat français crée une nouvelle structure. A noter que Dexia Crédit Local, qui fait partie du groupe Dexia SA, est poursuivi en justice par plusieurs communes et plusieurs pouvoirs locaux français pour les crédits structurés et toxiques qu’elle leur a fourgués.
[2] Bien sûr, il y a d’autres dettes illégitimes qu’il faut également identifier et refuser de payer.
[3]De manière simplifiée, nous prenons en compte trois grandes entités : Belfius, ex Dexia Banque Belgique qui a été détachée totalement de Dexia SA en octobre 2011; Dexia SA, société holding belge, servant de bad bank (banque de défaisance dans laquelle il n’y a plus aucun dépôts d’épargnants) et Dexia Crédit Local de France qui appartient au groupe Dexia SA.
[4] Il y a effectivement des actifs de Dexia SA qui peuvent être revendus et faire rentrer du cash.
[5] Le secteur bancaire devrait être entièrement public à l’exception d’un secteur coopératif de petite taille avec lequel il pourrait cohabiter et collaborer.
[6] Damien Millet, Éric Toussaint, « Europe : Quel programme d’urgence face à la crise ? », 10 juin 2012, http://cadtm.org/Europe-Quel-programme-d-urgence.
Source : CADTM (Comité pour l’Annulation de la Dette des pays du Tiers Monde)
http://cadtm.org/L-action-pour-l-annulation des_