Témoignage
Par Michel Bafour, en collaboration avec Yvette Sausset (PEL-Tours)
Noël est une personne rencontrée dans le cadre des chantiers de l’emploi (j’expérimentais alors, professionnellement, une aide à la personne en difficulté, par la construction de la « boite à outils du demandeur d’emploi »). À ce moment, Noël a quarante ans.
Seul dans la vie, très travailleur, serviable, il n’arrive pas à s’insérer durablement avec ses employeurs et se trouve dans l’instabilité permanente et la frugalité qui va avec (avec la vie « entre deux cartons », à une époque)
Les aides sociales le soutiennent parfois le réinsèrent, toujours temporairement ; sous la pression constante pour lui, de la recherche d’un emploi viable.
Être dépendant de la pression sociale face à son statut de chômeur, donner le visage d’un chercheur d’emploi, quand on voit bien qu’on n’en trouve pas, ça lui gâche complètement la vie.
L’annonce de la retraite il y a cinq ans devient l’espoir de sortir de ce guêpier paralysant. (Enfin pouvoir gérer sa vie en liberté !)
L’attente de la retraite est vécue comme
- La libération de la recherche d’emploi,
- La libération des tracas administratifs ; avec toute la difficulté de remplir des dossiers, rentrer dans les cases des formulaires, mettre à jour, buter sur la signification des sigles, identifier les organismes émetteurs.
- La libération aussi de tout le dispositif des aides pressurant le leurs questions, insatiables d’attestations, donnant d’un côté pour parfois reprendre de l’autre.
À cette période il habite, en ermite, dans une cave troglodytique haut perchée dans le coteau, mise à disposition gracieusement, pas aménagée, pas chauffée. Un assistant social fait les démarches pour classer son logement « aux normes F2 » normal pour légaliser la situation.
Ensemble nous constituons alors un dossier et faisons les réaffiliations aux organismes MSA etc. avec sans cesse des relances auxquelles j’essaie de répondre avec Noël, au titre d’assistant au secrétariat bénévole.
S’en suit pour Noël un séjour d’hospitalisation psychiatrique.
Lorsque je le rencontre après sa sortie, il n’a plus aucun papier.
C’est un « calvaire » administratif de retrouver l’ensemble de sa vie, en vue de constituer son dossier de retraite. Heureusement, un « administratif » bienveillant active les démarches en accélérant les protocoles habituels.
Enfin « retraité » ! Noël continue de passer me voir lorsque des papiers lui posent problème…
Récemment, lors d’un déplacement à vélo, en ville, il y fait une mauvaise chute, qui le conduit aux urgences. Il s’en sort avec un bon de transport qu’il n’utilise pas (« 20 km, je peux les faire, ça va encore coûter à quelqu’un ») et une facture de son séjour aux urgences de 260 €, la moitié de sa retraite. Cette facture, que sa retraite ne peut honorer, oblige à constituer une demande de CMU ;
A peine bouclons-nous la première demande… qu’arrive un dossier de mise à jour. Tout est à recommencer !
La force me manque cette fois
Je capitule.
Ainsi prend fin un accompagnement bénévole de 26 ans.
Je souhaite juste que quelqu’un prenne la suite du dossier.
Jusqu’à présent, il n’y a pas besoin de dossiers, d’attestations, de justificatif, pour se nourrir en cherchant dans les poubelles. Noël l’a bien compris.
Trop souvent, les aides sont plus productives d’emplois de fonctionnaires et de dossiers à compléter, que de véritable attention aux plus démunis. »
Les institutions en faveur des plus démunis se situent dans la « zone d’insertion » et elles arrivent très mal à rejoindre la « zone d’exclusion »
Plus la personne est en difficulté, plus il lui est tendu d’aides dont les formalités la plombent encore plus .
Ce sont les associations à taille humaine, en prise directe avec les personnes, avec leur situation au jour le jour, qui se montrent les mieux placées dans la mission d’accompagnement de ce qui est parfois simple survie des personnes.
Ce sont les associations qui sont source… de ressources humaines.
Illustration : Lulu97417 (Travail personnel prise par moi meme) [Public domain], via Wikimedia Commons