Une économie à finalité humaine, question de rationalité
La finalité humaine de l’économie ne relève pas du champ des “bons sentiments”, mais de la conception même de la rationalité économique. Nous vivons une mutation colossale de l’économie La force motrice de l’économie est passée de l’énergie à l’immatériel, c’est-à-dire le savoir, la recherche, l’organisation, les services…
Une mutation, c’est un monde qui meurt et un monde qui naît. Il est donc nécessaire de prendre du recul pour comprendre le mouvement long dans lequel nous sommes portés ; non pas pour se désintéresser du court terme, mais pour le comprendre lui-même.
Actuellement, le débat est de nature instrumentale ; on discute d’équilibre budgétaire, de fardeau fiscal, mais on ne débat pas de ce à quoi sert l’instrument.
Hier
Le discours libéral prend ses racines dans un contexte historique où dominaient 3 situations :
– le niveau de vie général était très bas : le bien-être était donc lié au quantitatif, donc à l’appareil productif ;
– la nature était en-dehors du champ de l’économie : elle était considérée comme un “bien libre” ;
– le facteur rare, celui qui limite la progression du produit national, n’était ni la main d’œuvre, ni la nature : c’était le capital.
L’objectif étant de produire plus, il fallait donc disposer d’un appareil productif efficace. Et ce qui commandait la performance, c’était le capital.
Aujourd’hui
Le problème de l’économie n’est plus la rareté, mais la surabondance. Par exemple, la production alimentaire mondiale est évaluée par l’ONU à 123% des besoins fondamentaux. Il en est de même dans de nombreux secteurs de l’industrie qui fonctionnent dans un état chronique de surproduction.
En conséquence de cette situation de surproduction, le marché ne régule plus. La concurrence conduit à produire à meilleur coût. Or l’essentiel du coût étant la mise en œuvre initiale, on est conduit à produire davantage, donc à élargir le marché. Le marché aggrave donc la situation de surproduction. Le ” plus ” n’est pas le ” mieux “. “Plus de trop ” ne fait pas le bien-être.
La nature n’est plus un bien libre. On produit en la détériorant : elle entre donc dans le champ économique. Le capital n’est plus le facteur qui conditionne l’ensemble. C’est la société elle-même qui produit : tout est intégré. La performance d’une entreprise est indissociable de celle des autres entreprises avec qui elle est en relation, de ceux qui livrent, de l’état du réseau de routes, du réseau de communications, du système éducatif…
En conclusion : toutes les conditions de base de la rationalité instrumentale sur laquelle repose notre économie ont disparu. On produit trop ; en produisant trop, on dégrade la nature ; on répartit mal : le problème de répartition est double, il concerne à la fois le présent et l’avenir.
Retour du politique
L’économie est une activité de transformation du monde destinée à satisfaire des besoins humains ; elle est un moyen. Le problème aujourd’hui est un problème de répartition ; ce n’est plus un problème auquel l’économie sait répondre : il n’existe pas de théorie économique de l’optimum de la répartition. Ici, on entre dans le champ des valeurs, de la finalité : la couverture des ” coûts de l’Homme ” ; on est donc dans le domaine du politique. Et l’économie doit redevenir une science sous contrainte, c’est-à-dire limitée par ce qui est jugé acceptable, c’est-à-dire le respect des valeurs humaines et celui du milieu naturel.
On ne peut donc accepter la vision actuelle où le chômage est considéré comme la solution alors qu’il est le problème ; faut-il accepter de faire le malheur humain pour que l’entreprise fonctionne ? Les questions concernant l’impôt ou la durée du temps de travail sont exemplaires de situations où le débat porte sur l’instrument et non sur la finalité. Doit-on ” alléger les prélèvements pour faire marcher l’appareil productif ” ou se demander : “un appareil productif pour faire quoi ? “. Le service public, porteur de l’intérêt général à long terme est au cœur du débat.
Quelle mondialisation ?
C’est-à-dire : comment concevoir les échanges internationaux ? La conception actuelle repose sur un ensemble de préceptes fondés sur ce qu’a été la logique du 19ème siècle : produire plus, donc pousser à la compétition. Ce sont :
– l’exploitation rationnelle des avantages : que chaque nation exploite les ressources dont la nature l’a dotée ;
– la ” clause de la nation la plus favorisée ” : on accorde à toutes les mêmes avantages ;
– la ” clause de l’avantage national ” : on accorde à toute entreprise les avantages accordés aux entreprises nationales ;
– la libre circulation des capitaux pour qu’ils puissent aller là où ils seront les plus productifs.
Ces préceptes, adoptés par le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale (BM) et l’organisation mondiale du commerce (OMC) n’ont plus de sens aujourd’hui :
– La division internationale du travail selon les avantages naturels, qui avait un sens quand la nature commandait, n’en a plus aujourd’hui où prime l’accumulation du capital technique. Dans le domaine de l’agriculture, par exemple, le rapport de productivité (qui est de 1 à 1000 !) n’a plus rien à voir avec les dotations naturelles, mais dépend essentiellement de la mécanisation et de la chimisation.
– La libre circulation des capitaux ne les conduit pas à s’investir là où ils seront les plus efficaces ; il ne faut pas confondre “demande” et “besoin” : la demande est un besoin accompagné de pouvoir d’achat. En fait, les capitaux cherchent la sécurité et la rentabilité. Et 80% des investissements se font aux Etats-Unis, en Europe et au Japon. L’afflux massif de capitaux qui s’est produit en Asie du sud-est en 1996-97, a été suivi d’un reflux quand il est apparu que les rendements n’étaient pas ceux attendus.
– Le marché ne peut pas produire l’intérêt général. Les intérêts communs tels que la santé, l’éducation, la culture, doivent être protégés. C’estvrai aussi à un certain degré pour les industries nationales qui relèvent de la culture et de l’identité d’un pays.
– Contre les conséquences de la spécialisation de chaque pays selon ses “facteurs naturels”, chaque nation devrait aussi avoir le droit d’assurer la couverture de tous ses besoins, y compris alimentaires.
Conclusion
L’efficacité de l’appareil productif est lié à la concurrence. Mais quand on cherche à couvrir les coûts humains, apparaît, de façon tout à fait rationnelle, la notion de solidarité. Cette couverture des coûts humains est un critère de bon fonctionnement. C’est la condition de notre survie.
Résumé de l’intervention de René Passet lors de l’Assemblée Générale de NSAE de janvier 2005 fait par Lucienne Gouguenheim
Dans l’industrialisation, la communauté humaine de base : le village offrait à chaque être humain tous les services de proximité nécessaires à sa survie et à la survie de la communauté. Le transfert de toutes ses compétences à une échelle institutionnelle de plus en plus éloigné de cette communauté de base (canton,région, nation, union de nations) et cela sous prétexte d’efficacité humaine, de sécurité, de rationalisation a fini par déshumaniser ces services assurés non plus par simple charité communautaire, geste humain de voisinage qui va de soi, mais de manière professionnelle, tourner vers la rentabilité du service plutôt que le service lui-même.
Nous sommes passés d’un type d’activités communautaires qui renforçaient les liens d’humanité, et sur lesquels s’exprimait l’identité culturelle de chaque communauté, à un type d’activités destructrices les relations d’humanité remplacé par un système technologique que nous servons alimentant en produits de grande consommation de masse, pour le bénéfice de ceux qui invertissent dans ce marché.
Aujourd’hui quelques trois cent cinquante familles dans le monde ont un revenu financier supérieur au tiers de l’humanité la plus pauvre, et comble de malheur l’économie de subsistance des ses plus pauvres a été détruit au profit de ce système de production et consommation mondialisé.
Il me semble entrevoir une solution pour sortir de cette spirale infernale, dans la volonté de reconstruction de communautés rurales ou semi rurales de base, autogérées, orientées vers l’économie durable, l’autosuffisance alimentaire et énergétique, et appuyer par la volonté politique des nations de soutenir et protéger ces espaces de salut alternatifs de l’espèce humaine à venir.
Je vois mal comment par seulement des décisions politiques à l’échelle planétaire sortir de l’impasse destructrice actuelle.