Un désaccord Nord-Sud de plus en plus profond, par M. S. (Genève)
Boycottée par plusieurs pays occidentaux, dont les Etats-Unis et Israël, Durban II est la tragique illustration de l’opposition croissante entre l’Occident et les pays du Sud, et du monde musulman en premier lieu, autour de la question des droits de l’homme dont le caractère universel devient toujours plus une fiction.
Comment en est-on arrivé là ?
« Il serait aujourd’hui impossible avec la réalité des rapports de force entre les 192 pays représentés à l’ONU d’adopter le texte de la déclaration universelle des droits de l’homme voté en 1948 », soupire un haut fonctionnaire des Nations unies. La crise avait déjà été mise en évidence par les dérives de la première conférence de Durban, en 2001, avec ses attaques systématiques contre le sionisme assimilé à un racisme et la focalisation sur la lutte contre « l’islamophobie » – mot inventé par l’Iran en 1997 – et introduit alors pour la première fois dans un texte onusien. « Depuis les années 90, les pays islamiques ont passé une alliance objective avec tous les régimes autoritaires de la planète et ils mènent une bataille sémantique acharnée au sein de l’ONU pour vider de leur sens les textes fondateurs et les réinterpréter à leur profit », analyse l’historienne Malka Markovich. La guerre contre le terrorisme lancée par l’administration Bush, puis l’intervention en Irak, avec leur cortège de dérives, ont accentué ce conflit déchaînant l’indignation du monde arabo-musulman, mais également bien au-delà, face aux deux poids, deux mesures du discours occidental. « Il n’y a pas de pays dépositaire, de par son histoire, des droits de l’homme. On l’a vu avec les Etats-Unis après le 11 Septembre et on le voit aujourd’hui en France avec la politique menée sur l’immigration », explique Doudou Diene, ancien rapporteur spécial des Nations unies sur le racisme, soulignant que « ce problème s’aggrave y compris en Occident ».
Sur quoi portent les contentieux ?
Israël et la Shoah, le droit à la critique des religions, et celui de vivre ses propres orientations sexuelles sont depuis des années les principaux points du bras de fer entre les Occidentaux et les 57 pays musulmans de l’Organisation de la conférence islamique (OCI). « Un discours unilatéral s’est acharné à plaquer sur le Proche-Orient les schémas en usage en Afrique du Sud à l’époque de l’apartheid, vidant les mots de leur sens », s’indigne Jean-Claude Buhrer, auteur de L’ONU contre les droits de l’homme ? Des tentatives systématiques existent pour nier ou relativiser la Shoah, en lui niant toute spécificité. Une bataille menée avant tout par l’Iran, mais il n’est pas le seul.
Le concept de « diffamation des religions » – notamment de l’islam – est l’autre grand terrain d’affrontement. Les pays de l’OCI veulent légitimer son rôle politique, bloquer toute critique et réintroduire le délit de blasphème. Les Occidentaux s’y opposent au nom de la défense de la liberté d’expression. « Les droits de l’homme s’appliquent aux individus, pas à des religions ou des croyances », rappelle Jean-Claude Buhrer. « La liberté de critiquer des religions est fondamentale mais on ne peut inciter à la haine contre les croyants », nuance Doudou Diene. Peu politique, la question du droit à vivre sa propre orientation sexuelle est souvent la première oubliée dans les compromis, comme on l’a vu à Durban, même si la secrétaire d’Etat aux Droits de l’homme, Rama Yade, a mené récemment la bataille à l’ONU sur ce thème.
Quel est le bilan du nouveau Conseil des droits de l’homme ?
Il est pour le moins mitigé. Depuis 2006, ce conseil a remplacé la Commission des droits de l’homme, dont les « insuffisances » étaient reconnues – y compris par le secrétaire général de l’époque, Kofi Annan. Mais parmi ses 47 membres, élus par zones (Asie, Afrique, Europe occidentale, etc.), siègent nombre d’Etats peu recommandables en matière de respect des droits de l’homme tels que l’Algérie, l’Arabie Saoudite, la Chine, Cuba… « C’est comme demander à des criminels notoires de faire la police », s’indignait Mohamed Zitout de l’ONG arabe Al-Karama. Les pays musulmans de l’OCI, en s’alliant avec les Africains et quelques Sud-Américains, y disposent d’une majorité automatique. En mars, ces pays ont fait passer une nouvelle motion sur « la diffamation des religions ». Sur les 33 motions passées en trois ans d’existence et visant des pays particuliers, 26 concernent Israël. Mais la réforme a aussi introduit « un examen périodique » en matière de droits de l’homme pour tous les membres des Nations unies, par roulement une fois tous les quatre ans. Un exercice encore formel, sans sanction, mais qui amorce une timide dynamique.
Auteur : M. S. (à Genève)
Source : Libération, édition du 21 avril 2009.
Merci à NSAE
d’alimenter l’information et la réflexion des petites associations de Parvis.
Sans vous, ces textes nourrissants – très variés -ne seraient pas accessibles aux lecteurs qui, comme moi, ne peuvent pas assumer plus de 3 ou 4 abonnements à des revues.
PS : Au fait, comment s’est passée l’interview avec France 2 26/04/2009 ? J’en ai loupé la transmission. Une rediffusion par vidéo sera-t-elle accessible ?
Merci Yves