Jean Cardonnel nous a quittés
Jean Cardonnel, le frère “à la libre parole” engagé au service des exclus et renvoyé en 2002 du couvent dominicain de Montpellier, est décédé à l’âge de 88 ans, a-t-on appris dimanche de source hospitalière. Militant soixante-huitard à la Mutualité, féministe convaincu, le défenseur des prêtres-ouvriers, porte-parole des pauvres au Brésil et pourfendeur de la torture en Algérie, est mort samedi soir, a précisé une source proche de la clinique où il était hospitalisé depuis plusieurs semaines, confirmant une information de France 3.
Pendant 44 ans, de 1958 à 2002, Jean Cardonnel, électron libre de son ordre, avait fait du couvent des Dominicains de Montpellier son quartier général, militant contre les “hypocrisies” de l’Eglise et prônant sa “dé-romanisation” au profit d’une “évangélisation de Dieu”.
Jean Cardonnel est né en 1921 à Figeac dans le Lot. La guerre de 1939 éclate alors qu’il entame des études de philosophie et lettres à l’Université de Montpellier. Il rejoint vite, dès 1940, l’ordre des Dominicain où il étudie pendant 7 ans la théologie et la philosophie, jusqu’à son ordination comme prêtre. Nous sommes en 1947.
Pendant 2 ans, Jean Cardonnel sera professeur de théodicée et de théologie fondamentale au couvent royal de St Maximin, seul grand couvent des novices dans le sud de la France. Puis il entre au couvent de Marseille en 1950.
Un an plus tard, à 30 ans, il est élu supérieur du couvent. Déjà ses engagements s’affirment : protestation contre la peine de mort prononcée contre les époux Rosenberg, soutien du projet des prêtres ouvriers… Mais en 1954, le maître général de l’Ordre vient en France pour condamner l’expérience des prêtres ouvriers. Jean Cardonnel démissionne de ses responsabilités de supérieur.
De 1954 à 1956 , il travaille au siège de la revue “Économie et humanisme”, puis comme aumônier à la cité universitaire de Paris (1956-1957). Nommé au couvent de Montpellier – il sera aumônier de l’Ecole normale durant 3 mois seulement -, il devient grand prédicateur des Dominicains et dénonce la torture en Algérie – engagement pour une Algérie libre qui lui vaudra son départ de Montpellier.
De nouveaux horizons s’ouvrent. Professeur de théologie à Rio au Brésil en 1958, il prend conscience des problèmes du Tiers-monde : ouvriers sans salaire, paysans sans terre, favellas, des enfants des rues. Il apprend le portugais et s’engage, mais son ordre et l’épiscopat brésilien exigeront son départ.
De retour à Montpellier en 1960, il fonde avec quelques frères un Centre Lacordaire, lieu théologique pour un dialogue entre laïcs et prédicateurs. Parallèlement, il commence un travail avec la revue franciscaine “Frères du monde”, laquelle est engagée avec le Tiers-monde et sera attaquée par Rome. Sa collaboration durera 10 ans jusqu’à l’arrêt définitif de la revue.
Qu’à cela ne tienne, Jean Cardonnel publie ses premiers livres en 1961 (des recueils de prédication). Il écrit des articles dans Témoignage Chrétien, Le Monde, et intervient dans de nombreux colloques et conférences à travers l’Europe.
En pleine année 1968 , soutenu par l’hebdomadaire Témoignage Chrétien, il prêche un carême sur le thème “Évangile et Révolution”, hors église, dans la salle des meetings de la Mutualité à Paris. C’est “l’affaire Cardonnel”. Il est interdit de parole et d’écriture hors des revues très spécialisées en théologie. Pour parler il lui faut l’accord de l’évêque du diocèse. Un mouvement d’opinion en sa faveur se manifeste au Brésil et en Europe, qui intervient auprès de Rome, du maître de l’Ordre, des évêques français. L’ordre des franciscains le soutient, avec la revue “Frères des hommes”. Il sort de cette épreuve en homme libéré. Il publie Dieu est mort en Jésus-Christ sans autorisation de ses supérieurs, comme tout écrivain.
Mais l’homme aime respirer au plein vent du monde. Il est au Portugal en 1975, pendant la Révolution des oeillets. En 1979, il effectue son premier séjour à l’Ile de la Réunion, où il dénonce la tricherie électorale. Il fait ensuite de nombreux voyages d’études : en Chine, en Russie, an Albanie, en Irlande, en Pologne, au Canada, en Suède, en Afrique du Nord, au Nicaragua, en Thaïlande, en Suisse, en Italie, en Allemagne, en Belgique, en Espagne, en Israël, en Éthiopie au moment de la famine, en Yougoslavie pendant la guerre…
Appelé à témoigner, il entame en 1981 un carême de jeûne pour la faim dans le monde, dans le cadre de l’association Survie. Après un voyage au Brésil, il partagera son temps entre l’Ile de la Réunion et la métropole. En 2002, Jean Cardonnel était parti se reposer à la Réunion, une habitude prise dans cette île où il avait fait scandale en célébrant une messe dans l’ancien cimetière des esclaves. A son retour, le couvent avait vidé sa chambre en l’envoyant demander asile chez les religieuses de l’Ange gardien à Quillan (Aude), où sont accueillis des enfants maltraités.
Le prêtre estimait alors avoir payé le prix de sa “libre parole” tandis que le couvent niait l’avoir mis à la porte, évoquant un départ volontaire.
Trois ans plus tard, Jean Cardonnel avait stigmatisé une “homosexualisation croissante” de l’Eglise en lui reprochant d’avoir fait de la femme “l’incarnation du démon“, dans un livre brûlot intitulé “Verbe incarné contre sexe tout puissant“. Le couvent de Montpellier avait déploré “délire” et “mensonges”.