Un Dictionnaire des racismes, de l’exclusion et des discriminations
Selon une enquête de la Commission nationale consultative des droits de l’homme de 2006, 30 % des Français se reconnaissent racistes. Le chiffre traduit une diminution du phénomène sur le long terme. Il reste important et toujours susceptible de s’accroître. Sous la direction d’Esther Benbassa, directrice d’études à l’Ecole pratique des hautes études, ce Dictionnaire des racismes, de l’exclusion et des discriminations entend analyser les préjugés, les constructions historiques, qui conduisent un tiers de la population au rejet de l’autre. Pas seulement en raison de la couleur de sa peau, de ses origines géographiques, de ses croyances religieuses. L’autre, c’est également celui qui n’est pas hétérosexuel, qui est atteint d’un handicap physique ou mental et qui s’en trouve quotidiennement discriminé.
La situation de la femme relève, dans ce contexte, du projet d’un ouvrage auquel ont participé une quarantaine de chercheurs. Le champ peut paraître large. Il suffit d’envisager les conséquences du rejet de l’autre pour se persuader de sa cohérence : fondamentalement, le refus de louer un appartement à un handicapé ou à un Noir participe bien du même phénomène : le candidat locataire n’est pas dans la représentation de la norme.
De même, les disparités salariales touchent aussi bien les immigrés que les femmes. Si les causes ou les constructions historiques en sont évidemment différentes, elles aboutissent aux mêmes discriminations et traduisent le même état d’intolérance de la société : c’est ce que met en évidence le premier volet du dictionnaire. Une deuxième partie, “Les Temps forts”, présente une chronologie de l’institution des racismes et de son corollaire, la lutte pour les droits civiques et l’égalité. Avec la troisième partie, de très loin la plus importante, se développe le dictionnaire au sens strict. Trois cents articles y sont développés, de A comme abolitionnisme à Z comme ces zoos humains où étaient exposés les “sauvages”, déportés de leurs civilisations pour venir épater le bourgeois dans les expositions universelles, au même titre que les “monstres”, comprendre les handicapés au corps déformé, qu’ils retrouvaient dans les fêtes foraines.
S’il reste truffé de références historiques, l’intérêt de l’ouvrage reste une volonté de connexion aux débats qui agitent au plus profond la société française. L’article consacré au voile, et à ses développements récents avec le débat sur la burqa, suscitera la polémique et, on peut raisonnablement l’espérer, la réflexion.
D’un intérêt scientifique incontestable, le dictionnaire n’est pas exempt d’émotion, notamment dans ses pages introductives. Hamé, du groupe de rap La Rumeur, signe une contribution, comme le font Lilian Thuram et Christiane Taubira. Il y explique l’humiliation du petit garçon de CM1 qu’il était, d’abord fier d’avoir été choisi par le maître pour écrire au tableau le titre de la leçon du jour, la conquête de l’Algérie et la défaite d’Abd el-Kader, avant de regagner sa place et de s’apercevoir qu’il avait été sommé d’énoncer publiquement sa propre défaite. Hamé dit s’interroger encore aujourd’hui sur les motivations de l’instituteur.
Ce Dictionnaire des racismes, de l’exclusion et des discriminations, s’il ne lui donnera pas la réponse, lui en fournira toutes les hypothèses.
Dictionnaire des racismes, de l’exclusion et des discriminations. Sous la direction d’Esther Benbassa, Larousse, 728 p., 28 euros.
Auteur : Christian Bonrepaux
Source : Le Monde, édition du 27.04.10