Un monde qui lutte. Et l’espérance chrétienne ?
Chico Whitaker est brésilien. Architecte de formation, militant altermondialiste, il est l’un des cofondateurs du Forum social mondial (FSM) et a reçu le prix Nobel alternatif en 2006. Au moment où va se tenir le Forum social mondial à Tunis, Chico nous offre quelques réflexions sur le sens de l’espérance chrétienne, dans un contexte mondial fragile et complexe.
Dans un beau poème (1), Charles Péguy écrivait que la vertu de l’espérance est « une petite fille fragile, mais immortelle, qui importe plus à Dieu que la foi et la charité ». Nous vivons aujourd’hui dans un contexte difficile.
Les informations qui nous parviennent sans cesse par les médias nous livrent leur flot d’affrontements armés, d’attentats, de bombardements et de centaines de victimes. La sauvagerie est banalisée. Après l’effroyable barbarie de la Seconde Guerre Mondiale, il a semblé possible de dire «plus jamais !» : la Déclaration universelle des droits de l’homme et la création des Nations Unies ont marqué une profonde aspiration à la paix.
Menace nucléaire
Mais cet espoir a été progressivement balayé des horizons. Bloc de l’Ouest mené par les États-Unis contre bloc de l’Est mené par l’ancienne URSS et la Chine se sont affrontés à coup de propagande et à une folle course aux armements, nous faisant entrer dans une longue période de « guerre froide », avec l’arme atomique comme « prétexte de dissuasion ». Les scientifiques des grandes puissances ont testé la nouvelle arme atomique et ont libéré un démon : la radioactivité artificielle. On ne saura jamais avec certitude le nombre de victimes de ces essais atomiques, qui continuent à tuer ou à déformer des enfants dans le ventre de leurs mères. L’utilisation « pacifique » de l’énergie nucléaire pour la production d’énergie électrique n’a pas été non plus très heureuse. La nouvelle énergie a montré rapidement son potentiel destructeur. L’accident de Tchernobyl en 1985 a couvert la totalité de l’Europe avec un nuage des centaines de fois plus radioactif que la bombe d’Hiroshima. Plus récemment, en 2011, la catastrophe de Fukushima au Japon a mené plusieurs pays européens à décider de sortir de nucléaire le plus tôt possible. Certains pays, comme la France, sont en totale dépendance de ces centrales nucléaires.
La fin de l’histoire ?
Depuis la chute du Mur de Berlin en novembre 1989, la logique du capitalisme, libéré de la résistance socialiste, a envahi comme un tsunami le monde entier, en pénétrant jusqu’en Chine, grande puissance socialiste qui restait. Le célèbre « il n’y a pas d’alternative aux règles du marché » de Margaret Thatcher marquerait-il « la fin de l’histoire », selon l’expression de l’américain Francis Fukuyama ? L’énorme développement technologique de la communication et du transport a transformé le monde en une seule place de production et de consommation. La croissance économique et la consommation de biens se sont accélérées, le profit et la concurrence sont devenus les valeurs principales… Le nouveau « marché mondial », contrôlé par les capitaux privés, a concentré la richesse à des niveaux inimaginables, en même temps qu‘il a augmenté l’inégalité et la pauvreté au coeur même des pays riches. Le besoin croissant de matières premières pour une production industrielle devenue folle a multiplié les exploitations minières hautement dommageables pour l’environnement et pour la préservation des biens communs essentiels comme l’eau. La demande d’énergie a également augmenté, créant la nécessité des grands barrages hydroélectriques ou de centrales nucléaires avec des coûts environnementaux, sociaux et humains élevés. L’utilisation croissante des ressources fossiles d’énergie a fait surgir le problème du réchauffement climatique… Le défi écologique surgit dans toutes ses dimensions et jusqu’où iront les apprentis sorciers ?
Alternatives
Dans ce contexte, que devient « la fragile petite fille espérance », si chère à Péguy ? Il semble qu’elle marche main dans la main avec l’utopie, qui est ce qui nous fait continuer à avancer. En dépit de tous ces maux et même à cause d’eux, beaucoup de personnes dans le monde construisent des alternatives de paix, de coopération, de respect, d’amour, dans leur vie personnelle ou en association avec d’autres. Le développement de la communication nous aide nous aussi, en nous reliant, afin que nous puissions être toujours plus nombreux à protester, à résister et à créer. Dans une dimension collective plus large, j’identifie au moins deux processus qui alimentent vivement l’espérance : celui du Forum Social Mondial (FSM) et celui du mouvement des « indignés », qui ont occupé les places de nos villes.
Le Forum social mondial est toujours à la recherche de son chemin, pour que ses objectifs puissent se réaliser et que son message d’espoir « un autre monde est possible » puisse atteindre toutes les régions du monde. Il s’agit d’un processus continu. Conçu comme un grand espace ouvert aux mouvements et organisations de la société civile, c’est un lieu d’échange d’expériences. Des rencontres de ce type ont également lieu aux niveaux régionaux, nationaux et locaux. La construction d’une nouvelle culture politique est l’un des objectifs du FSM. Ce n’est pas tâche facile dans un monde qui fonctionne presque entièrement selon la logique de la compétition, qui structure des rapports de façon pyramidale. Les Forums sociaux sont un bien commun à l’humanité, ils n’appartiennent à personne. Parmi les propositions qui y circulent, il y a celle qui met en valeur une connaissance ancestrale de l’humanité, le « bien vivre ». Non pas pour posséder de plus en plus des biens matériels mais pour vivre en harmonie avec ses frères et avec la nature ! Les intuitions du mouvement de protestation des « Indignés » qui se sont déroulés en Espagne, en Grèce, en Israël et ailleurs sont très proches de celles du FSM. Pas de commandement, pas de porte-parole, une intelligence collective, des réseaux qui ne sont pas pyramidaux, mais plutôt l’ouverture et le respect de la différence. Les Indignés nous rappellent surtout que nous ne vivons pas seulement une crise économique et financière, c’est une crise de civilisation qui arrive à son terme. Alors oui, en se laissant prendre la main par « la fragile petite fille espérance », il est possible de s’engager. Il faut juste se décider où !
Propos de Chico Whitaker, retranscrits par G. Roustan
Source : article publié dans le Dossier « Un monde qui lutte » de la revue Témoignage ACO n° 553, mars-avril 2013.
Dossier téléchargeable (en pdf) en cliquant ci-après : dossier-553 ACO
(1) Sur la route entre ses deux sœurs la petite espérance s’avance
Ce qui m’étonne, dit Dieu, c’est l’espérance, et je n’en reviens pas.
Cette petite fille qui n’a l’air de rien du tout.
Cette petite fille espérance, Immortelle.
Car mes trois vertus dit Dieu, les trois vertus mes créatures,
mes filles mes enfants sont-elles-mêmes comme mes autres créatures
de la race des hommes.
La Foi est une épouse fidèle. La Charité est une mère, une mère ardente,
pleine de cœur, ou une sœur aînée qui est comme une mère.
L’Espérance est une petite fille de rien du tout qui est venue au monde
le jour de Noël de l’année dernière, qui joue avec le bonhomme Janvier (…)
et avec sa crèche pleine de paille que les bêtes ne mangent pas, puisqu’elles sont en bois.
C’est cette petite fille qui traversera les mondes, cette petite fille de rien du tout.
Elle seule, portant les autres, qui traversa les mondes révolus.
La petite espérance s’avance entre ses deux grandes sœurs
et on ne prend seulement pas garde à elle.
Sur le chemin du salut, sur le chemin charnel, sur le chemin raboteux
du salut, sur la route interminable,
Charles PEGUY
(Le porche de la deuxième vertu)
En savoir plus :
• A lire : « Changer le monde », par Chico Whitaker, Éditions de l’atelier, 2006, 255 p., 21 euros.
• A voir : « Notre Monde », film documentaire(1h59) de Thomas Lacoste, 2013 ; site du film à : http://www.notremonde-lefilm.com
• Plus d’infos sur le Forum Social Mondial de Tunis (26-30 mars 2013) à : http://www.fsm2013.org