Les hommes politiques ne se rendent pas compte de la souffrance des migrants
Aleteia est allé à la rencontre de Mgr Santiago Agrelo. archevêque de Tanger, connu pour ses positions claires sur la question des migrants et des réfugiés.
Mgr Santiago Agrelo, archevêque de Tanger (Maroc) brandissant une pancarte dénonçant le nombre de morts parmi les réfugiés tentant de rejoindre l’Europe © Public Domain
Mgr Santiago Agrelo, archevêque de Tanger (Maroc), est connu pour ses positions claires sur la question des migrants et des réfugiés. Depuis son diocèse africain, on devine déjà l’Europe qui ne se trouve qu’à 13 kilomètres, et pourtant ce sont bel et bien deux mondes qui se font face.
Aleteia : Qu’est-ce qui vous motive dans vos actions et prises de paroles ?
Mgr Santiago Agrelo : Je suis incapable de voir la souffrance et de rester les bras croisés. Aussi j’ai toujours été proche des plus vulnérables. Mais pourquoi partir s’il n’y a pas de place en Europe ? Telle était ma façon de penser auparavant, comme bien d’autres. Arrivé ici, j’ai pris conscience de tout ce qui les poussait. En ce sens, le Maroc a donc changé mon rapport aux migrants.
Les politiques ne voient pas la réalité depuis leurs bureaux.
J’ai le sentiment qu’ils n’ont pas conscience du drame de ces personnes, qu’ils ne sont pas capables de s’imaginer pris au piège dans une forêt comme celles aux abords de la frontière de Ceuta ou Melilla, bloqués par la police, la loi, les frontières. Abandonnés, sans espoir ni avenir. Obligés de risquer leur vie au moindre pas en avant. Je suis d’ailleurs stupéfait qu’il n’y ait pas encore eu d’explosion de violence.
Comment changer la situation ?
Il faut que la société change sa perception des migrants. Je leur dirais : vis avec eux ne serait-ce que 30 minutes, tu les considéreras comme tes propres enfants, et tu ne tolèreras plus qu’ils soient traités ainsi.
Comment faire pour parler autrement de l’Afrique ?
L’Afrique est pauvre, car elle est riche. L’Afrique est encore et toujours spoliée, je soupçonne donc que le bien-être dont je jouis s’est fait aux dépens d’autres qui ont été privés de tout.
Vous invitez à la prière. Prier aide à changer les choses ?
Lorsque je parle de prière, je fais référence à l’écoute. Ne pas parler à Dieu pour lui demander d’agir, mais écouter pour agir soi-même.
Le Pape s’inscrit dans cette ligne : pauvreté, prière, justice…
En ce sens, le Pape me semble être un homme de prière, qui écoute Dieu. D’ailleurs, aucun d’entre nous ne saurait écouter Dieu sans écouter les pauvres. J’ai le sentiment que le Pape a passé sa vie à écouter les pauvres. La clairvoyance de sa parole provient du fait qu’il a toujours été à leur contact. Si les pauvres ne nous aident pas à lire et interpréter l’Évangile, à nous rapprocher de Dieu, alors tant l’Évangile que notre rapport à Dieu seront irrémédiablement dénaturés. Penser autrement reviendrait à nous fourvoyer. C’est dans les pauvres que se révèle le visage de Dieu.
L’Église est-elle au point sur la problématique de l’immigration ?
Dans certains secteurs de l’Église, la mentalité qui prévaut est motivée par l’intérêt politique et l’idéologie, alors que cette question devrait être traitée à l’aune de l’Évangile et placée au cœur des communautés ecclésiales. Pour l’Église, tant les pauvres des sociétés européennes que ceux qui sont à leurs frontières sont un appel de Dieu à vivre l’Évangile, ils sont la grâce de Dieu.
Vous êtes au contact de la souffrance, de la mort. Cela fait-il écho à la vôtre ?
Pour ce qui est de la mort, seul le Seigneur peut en décider, j’imagine un moment de purification, d’acceptation ultime de la pauvreté, du don de la seule chose qu’il nous reste. J’espère être conscient de ce don. Seigneur, prends tout, si j’ai alors perdu toute conscience…
Propos recueillis par Miriam Díez Bosch