Par Régine et Guy Ringwald
Douze jours après son retour du Chili, où le soutien qu’il avait apporté à l’évêque Barros avait soulevé l’indignation, le pape François a envoyé deux enquêteurs, Mgr Charles Scicluna et le P. Jordi Bertomeu, pour faire la lumière sur le problème que soulèvent depuis trois ans les laïcs d’Osorno. Les enquêteurs ont, au cours de leur séjour, reçu de nombreux témoins et victimes, bien au-delà du cas de Mgr Barros, au-delà aussi des suites de l’affaire Karadima. La confidentialité avait été respectée, mais les personnes reçues exprimaient toutes l’impression d’avoir été écoutées.
De retour à Rome, Mgr Scicluna a remis son rapport, tout le monde attendait donc une parole du Pape. Elle est venue, mercredi 11 avril, sous la forme d’une lettre adressée aux évêques chiliens, réunis en Assemblée plénière.
Avant cela, le dimanche 8 avril, le journal chilien La Tercera avait publié un long article dans lequel il disait “en exclusivité” que Mgr Barros avait remis une démission irrévocable, lors de sa rencontre avec Mgr Scicluna, ce que celui-ci a ensuite démenti en termes peu explicites. On disait aussi que les deux autres évêques en poste, issus de la paroisse de Karadima, étaient sur la sellette. D’ailleurs, des mouvements de laïcs s’étaient exprimés à Talca et Linarès pour demander le départ des deux évêques, respectivement Mgr Horacio Valenzuela et Tomislav Koljatic. Comme Barros, ces deux personnages avaient soutenu Karadima, à l’époque du procès canonique qui devait conclure à sa culpabilité. Ils avaient même fait le voyage de Rome pour discréditer les victimes.
Toute cette petite agitation retombe, éclipsée par la lettre du Pape.
C’est une assez longue lettre dans laquelle François marque clairement les erreurs, les manquements et leur gravité, le mal qui a été fait, et la nécessité de restaurer la confiance, de guérir les plaies, et de se “mettre l’Église du Chili en état de prière”. Il convoque à Rome l’ensemble des évêques chiliens, et recevra des représentants des personnes qui ont rencontré ses envoyés.
Voici des extraits significatifs de cette lettre.
Les difficultés actuelles sont “l’occasion de rétablir la confiance dans l’Église –une confiance rompue du fait de nos erreurs et de nos péchés– et de guérir les plaies qui ne cessent de saigner dans le tissu de la société chilienne”. Le Pape se place, en ce dimanche de la Miséricorde, “avec le désir que chacun d’entre vous (il s’adresse aux évêques) m’accompagne dans l’itinéraire intérieur que je parcours ces dernières semaines pour que ce soit l’Esprit qui nous guide par son don, et non pas nos intérêts, ou pire encore, notre orgueil blessé”.
Il rend un hommage profond au travail des enquêteurs qui ont écouté 64 témoins. “Ils ont reconnu devant moi qu’ils s’étaient sentis débordés par la souffrance de tant de victimes de graves abus de conscience et de pouvoir et, en particulier, des abus sexuels commis par diverses personnes consacrées de votre pays contre des mineurs, auxquels a été niée prématurément l’innocence et auxquels elle a même été volée”. Il exprime “la même reconnaissance la plus sincère et cordiale… à ceux qui, avec honnêteté, courage et sens de l’Église, ont demandé une rencontre avec mes envoyés”.
“Après une lecture posée des minutes de cette mission”, le Pape affirme “que tous les témoignages qui y sont recueillis parlent d’une manière détachée, sans additifs ni édulcorants, de nombreuses vies crucifiées, et, ajoute-t-il, je vous avoue que cela me cause de la douleur et de la honte”.
Plus précisément, il demande à la conférence épiscopale sa collaboration et son aide “pour discerner les mesures à prendre à court, moyen et long terme pour rétablir la communion ecclésiale au Chili”. Il convoque à Rome l’ensemble des évêques “pour discuter des conclusions de la visite… et de mes conclusions”. Dans le même paragraphe, il reconnaît “avoir commis de graves erreurs dans l’évaluation et la perception de la situation, notamment en raison d’un manque d’informations véridiques et équilibrées”. Il demande pardon à tous ceux qu’il a offensés et “espère pouvoir le faire personnellement, dans les semaines à venir”. Il recevra aussi des représentants des personnes interrogées. Il appelle l’Église à la prière, à la recherche de communion, et de fraternité: “il est opportun de mettre le Chili en état de prière”.
Il termine par des mots forts: “Maintenant, plus que jamais, nous ne pouvons retomber dans la tentation du verbiage ou rester dans “les généralités”… aimons en vérité, demandons la sagesse du cœur et laissons-nous convertir”.
Le jour même (la lettre a été connue à 15h au Chili), les laïcs d’Osorno publiaient une “déclaration publique”, prenant acte du changement d’attitude du Pape, regrettant qu’il n’ait pas ajouté foi à ce que lui disaient ceux qui apportaient les bonnes informations, et attendent les actes concrets. Les victimes de Karadima apprécient l’invitation, et précisent que leur combat concerne toutes les victimes, pas seulement eux : comprenons qu’ils ne s’arrêtent pas là. Les victimes des maristes, une autre affaire révélée récemment et qui a été jointe au dossier Scicluna, insistent eux aussi sur leur attente d’actions concrètes et réelles. Selon leur représentant, Isaac Givovich, l’enquête de Mgr Scicluna a ouvert la boite de Pandore.
La tonalité générale de la presse est dans la même ambivalence, surtout au Chili, mais aussi le New York Timesn: hommage à la sincérité et à l’humilité du pape François qui reconnaît ses erreurs et demande pardon, et attente des actes. C’est que, surtout dans cette affaire du Chili, il avait eu peu d’écoute – cela semble en voie d’être réparé -, et les bonnes paroles ne se traduisaient pas en actes. Cette fois, il y a un espoir, mais tous restent vigilants.
Sur l’information du Pape, les regards se portent sur le nonce Ivo Scapolo (qui est rappelons-le, un élève de Sodano), le Cardinal Errazuriz, ancien archevêque de Santiago, qui a tout couvert, et le Cardinal Ezzati, son successeur. Plusieurs journaux mettent leurs portraits “en brochette”. Le président de la Conférence dit d’abord que les autorités épiscopales transmettaient l’information dont elles disposaient, avant de “reconnaître ne pas en avoir fait assez” dans le cas Barros.
Nonce Ivo Scapolo
Cardinal Errazuriz Cardinal Ezzati
Il convient encore de mettre en évidence le caractère inhabituel des formes prises par le Pape François: une lettre envoyée à la Conférence épiscopale, réunie en séance plénière, et une convocation à Rome de l’ensemble des 32 évêques chiliens, fait sans précédent connu. Il avait déjà rencontré ces mêmes évêques en février 2017 en visite ad limina, les recevant deux fois, ce qui est aussi inhabituel.
ANNEXES
I – Déclaration publique des laïcs d’Osorno
Concerne : la lettre du Pape François aux évêques réunis lors de la 115e Assemblée Plénière suite au rapport présenté par l’archevêque Scicluna.
Nous déclarons :
- Nous sommes particulièrement reconnaissants à Mgr Charles Scicluna et au Père Jordi Bertomeu d’avoir bien voulu venir au Chili ainsi que pour leur écoute sincère et le dialogue fructueux qu’ils ont eu avec nous tous. Jusqu’à présent, nous n’avons pas trouvé une telle attitude dans l’épiscopat chilien.
- Nous apprécions le changement d’attitude que le Pape montre dans sa lettre ainsi que sa demande de pardon que nous acceptons. Nous espérons que ce repentir se traduira par des actions concrètes.
- Depuis 2015, nous dénonçons le travail systématique de désinformation du Nonce apostolique, de plusieurs évêques et de bon nombre de laïcs qui leur sont proches. Ils devront en rendre compte. Cependant, le Pape doit aussi prendre ses responsabilités, car leurs positions étaient déterminantes. Il doit reconnaître que, dans le même temps, d’autres évêques, prêtres, laïcs, et aussi de ses amis, lui ont donné des informations véridiques qu’il a décidé de rejeter.
- Nous apprécions sa volonté de rétablir la confiance. C’est précisément la tâche qui incombe à tous les croyants du Chili. Toutefois, il n’est pas possible de la restaurer s’il n’existe pas de mesures appropriées et suffisantes pour résoudre efficacement le problème. En ce sens, le départ de Mgr Barros est nécessaire, mais pas suffisant. Nous avons maintenant l’occasion d’assumer et de surmonter la crise de l’Église du Chili.
- En élargissant sa vision du problème des abus sexuels aux abus de pouvoir et à la manipulation de conscience, le Pape fait une avancée significative. De la même manière, nous souhaitons qu’il comprenne que le problème de Mgr Barros n’est pas seulement juridique, mais aussi pastoral.
- L’agonie du diocèse d’Osorno ne peut plus se prolonger. Nous invitons donc les évêques appelés à Rome à évaluer en conscience la part qu’ils ont eue dans cette crise afin que les décisions soient prises en conséquence.
- Nous appelons tous les laïcs et les laïques à entamer un chemin de dialogue dans cette crise et à ceux qui ont peur à la surmonter. En tant que laïcs d’Osorno, nous continuerons à travailler pour le Royaume de Dieu dans l’Église, en suivant les enseignements du maitre en humanité, Jésus ressuscité.
COMMUNAUTÉ DES LAÏCS ET LAÏQUES D’OSORNO
Traduction Régine et Guy Ringwald
II – Déclaration publique des victimes de Karadima
DÉCLARATION PUBLIQUE 11 AVRIL 2018
En ce qui concerne la lettre envoyée par le Pape François et lue par les évêques du Chili, nous avons été contactés par le Vatican et sommes invités à le rencontrer au cours des prochaines semaines. Le but de la rencontre serait de dialoguer sur les sujets indiqués dans la lettre du Pape. Nous apprécions le geste du Pape et nous étudions la possibilité de nous y rendre.
Les dommages causés par la hiérarchie de l’Église chilienne auxquels le Pape se réfère ont affecté de nombreuses personnes et pas seulement nous. Nos démarches ont toujours eu pour but de faire reconnaître, pardonner et obtenir une réparation de ce qui a été subi. Nous continuerons ainsi jusqu’à ce que la tolérance zéro pour les abus et la protection des coupables devienne une réalité dans l’Église.
James Hamilton
Juan Carlos Cruz
Jose Andrés Murillo
Traduction Régine et Guy Ringwald
Sources des illustrations :
– María Cecilia Piderit [CC BY-SA 4.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0)], from Wikimedia Commons
– Valo3 [Public domain], via Wikimedia Common
– Carlos Figueroa [CC BY-SA 4.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0)], from Wikimedia Commons