Par Régine et Guy Ringwald
Pour divers commentateurs, le problème de la pédophilie se révèle beaucoup plus étendu au Chili que dans les pays voisins, et on s’attend à ce qu’il apparaisse que le cas de Barros, particulièrement en vue du fait de l’énormité de l’affaire Karadima, n’en est qu’un parmi beaucoup d’autres. Dans l’attente de la visite des évêques à Rome, dont tout le monde ignore ce qu’il en sortira, nous recueillons quelques échos qui émergent d’un certain tumulte.
L’intervention la plus importante est celle du Cardinal Ricardo Ezzati, Archevêque de Santiago. Le Cardinal a réuni son conseil presbytéral (plus de 400 prêtres), jeudi 19 avril, pour analyser la lettre du pape. Puis il a tenu une conférence de presse. À cette occasion, il a qualifié de “faute très grave” le fait qu’on ait pu tromper le Pape, faisant allusion au manque “d’informations véridiques et équilibrées”. Il a affirmé que ni lui ni la Conférence épiscopale n’avaient trompé le pape, tout en proclamant : “Ceux qui ont commis cette grave faute doivent le reconnaître, le regretter et le réparer”. Au passage, il a réfuté les paroles du Cardinal Errazuriz qui avait affirmé, il y a quelques jours, qu’il n’était pas de son ressort d’informer le pape sur ce qui se passe dans les différents pays.
L’Archevêque a révélé avoir parlé franchement avec l’évêque Barros. Il a ouvertement dit que celui-ci devrait “sans aucun doute” démissionner “pour le bien du peuple de Dieu et de l’Église”, ajoutant toutefois qu’il ne se prononçait pas sur sa culpabilité.
Mgr Barros n’a pas réagi personnellement, mais l’évêché d’Osorno, dans une brève déclaration, le 19 avril, faisait état de problèmes de santé de l’évêque, en appelant à la compassion et aux prières des fidèles. La nature du problème n’a pas été précisée, mais les personnes autorisées laissaient entendre (et c’est ce qui se dit maintenant partout) qu’il pourrait s’agir d’une réaction à un stress, généré ou aggravé par la déclaration d’Ezzati. Dans le même message, Barros a redit qu’il était en permanence à la disposition du Saint-Père pour suivre les orientations qu’il donnera. Il est juste de rappeler que le Cardinal Ezzati avait déconseillé au Pape la nomination de Barros à Osorno, et qu’il n’avait pas assisté à son installation, particulièrement chaotique.
Le porte-parole des laïcs d’Osorno n’a pas tardé à réagir : “les paroles du cardinal Ezzati sont très tardives, dans la mesure où, depuis trois ans, les laïcs, frappent à sa porte pour simplement demander qu’il (les) écoute”, et où “lui et plusieurs évêques de la Conférence épiscopale ont systématiquement décidé de (les) ignorer”.
Conformément à ce qu’il a toujours dit, Barros ne renoncera à sa charge que si le Pape le lui demande. Les deux autres évêques formés par Karadima [1] (Koljatic à Linares et Valenzuela à Talca) se sont exprimés dans le même sens. Par ailleurs, les quatre évêques qui sont atteints par la limite d’âge ont fait savoir qu’ils avaient présenté leur démission. Il s’agit du cardinal Ricardo Ezzati (Santiago), et des évêques Alejandro Goic (Rancagua), Gonzalo Duarte (Valparaiso) et Cristian Caro (Puerto Montt).
Ce n’est pas la première fois que l’évêque Barros est “lâché” par les autorités de Santiago. Quelques jours avant la lettre du Pape, le Cardinal Errazuriz (ancien Archevêque de Santiago, mis en cause très généralement pour sa conduite de l’affaire Karadima) avait écrit une lettre dans laquelle il accusait l’évêque d’Osorno d’avoir été la cause des problèmes consécutifs à la visite du Pape. Il lui reprochait de s’être trop mis en avant.
Felipe Berríos
Parmi les réactions, citons le jésuite Felipe Berríos, pour qui la déclaration d’Ezzati est certainement un effet de la Résurrection : “les aveugles voient maintenant bien des choses qu’ils auraient pu voir depuis des années”. Quant aux responsables du défaut dans les informations transmises au Pape, il pointe, comme beaucoup, le Cardinal Errazuriz et le nonce Scapolo, mais aussi le jésuite espagnol German Arana qui avait influencé le Pape en faveur de Barros, au moment de sa nomination. Mariano Puga, connu comme le “prêtre des bidonvilles” pour son travail auprès des plus déshérités, s’est réjoui de l’atmosphère de la rencontre du presbyterium : “pour la première fois en 58 ans de sacerdoce, nous nous sommes réunis dans une ambiance fraternelle, et avons osé faire un examen rigoureux, courageux, libre, humble, et reconnaître nos fautes dans la perte de crédibilité de l’Église.” Mais, ajoute-t-il, “il reste beaucoup à faire”.
Notes :
[1] Mgr Andres Arteaga , lui aussi issu d’El Bosque, est tenu à l’écart de ces discussions. Evêque auxiliaire de Santiago, il est atteint de la maladie de Parkinson, et pratiquement déchargé de toute mission.
Source de l’illustration : https://es.wikipedia.org/wiki/Felipe_Berr%C3%ADos