Par John Allen
La nouvelle de mardi selon laquelle le pape François a aboli radicalement l’exigence du secret pontifical pour les cas d’abus sexuels du clergé signifie qu’une coopération sérieuse avec les autorités civiles est désormais une pierre angulaire non seulement de la pratique de l’Église, mais aussi du droit de l’Église [1].
C’est une distinction importante, car aux États-Unis et dans d’autres parties du monde catholique, le secret pontifical avait déjà été réinterprété par les évêques et les spécialistes du droit canon pour permettre une telle coopération, considérée comme essentielle non seulement dans l’intérêt de la justice, mais aussi pour empêcher la L’Église d’être exposée à la responsabilité civile et pénale
Pour ce qui est des conséquences, bien que l’archevêque maltais Charles Scicluna ait eu en un sens, raison de déclarer que l’annonce de mardi fera date [2], cela ne changera pas beaucoup en pratique dans l’Église américaine.
La prévision est cependant susceptible d’être différente dans d’autres parties du monde. Par exemple, Juan Carlos Cruz, survivant d’abus de la part du prêtre pédophile le plus notoire du Chili, a annoncé mardi qu’il s’agit d’un changement radical pour son pays : « C’en est fini avec les excuses des évêques chiliens et d’autres parties du monde et de la Curie », a-t-il déclaré. « Aujourd’hui est un jour important en matière de transparence et de justice pour les victimes. »
Pour la plupart des catholiques américains, l’inachevé dans les scandales d’abus n’est pas la coopération avec les autorités civiles, qui, pour la plupart, est acquise depuis quelques décennies. C’est la responsabilité pour la dissimulation et pas seulement pour le crime, ce qui signifie des sanctions pour les autorités qui étaient en mesure de prévenir les abus ou de punir les agresseurs et qui n’ont pas agi.
Il y a un certain mouvement également en sens dans les amendements de mardi à la loi de l’Église, car, comme l’a observé Mgr Juan Ignacio Arrieta du Conseil pontifical pour les textes législatifs du Vatican, la levée du secret pontifical s’applique non seulement aux cas d’abus par des clercs, mais aussi la « Conduite par les autorités ecclésiastiques qui ont tendu à faire taire ou à dissimuler » les rapports d’abus.
L’application la plus immédiate d’un nouvel esprit face à la dissimulation ainsi qu’au crime, et qui intéresse particulièrement les Américains, serait le cas de l’ancien cardinal et ancien prêtre Theodore McCarrick.
Cela fait maintenant 437 jours, soit un an, deux mois et 12 jours, depuis que le Vatican a publié une déclaration disant que François avait ordonné « une étude approfondie de toute la documentation présente dans les archives des dicastères et des bureaux du Saint-Siège concernant l’ancien cardinal McCarrick, afin de vérifier tous les faits pertinents, de les replacer dans leur contexte historique et de les évaluer objectivement. »
Les résultats de cette étude, selon le communiqué, seront présentés « en temps voulu ». Citant une phrase de François lors de son voyage aux États-Unis en 2015, le communiqué a déclaré : « Les abus et leur dissimulation ne peuvent plus être tolérés et un traitement différent pour les évêques qui ont commis ou dissimulé des abus représentent une forme de cléricalisme qui n’est plus acceptable. »
Selon les dernières rumeurs, l’étude devrait être publiée après les vacances, dans le courant de la nouvelle année. Des sources impliquées dans la rédaction préviennent également qu’il est peu probable qu’elle produise une preuve incontestable qu’un fonctionnaire donné, à Rome ou aux États-Unis, ait eu une certaine connaissance de l’inconduite de McCarrick et ait activement participé à une campagne pour le couvrir.
Au lieu de cela, la piste sera probablement plus suggestive et indirecte, cataloguant les personnes qui auraient peut-être présenté des signes d’avertissement ou des rapports indirects, mais rien d’équivalent à des preuves tangibles. En d’autres termes, il s’agit probablement d’une histoire d’inaction plutôt que d’action, en ce qui concerne les responsables qui ont peut-être ressenti des incitations à rester aussi ignorants que possible.
Bien sûr, cela ne signifie pas que rien ne peut être fait à la lumière de ce que révèle le rapport. Le droit pénal vise à établir un plancher de responsabilité, pas un plafond. Ce n’est pas un jeu à somme nulle, dans lequel une action donnée est soit criminelle, soit parfaitement bien.
Dans le sport, des entraîneurs sont renvoyés tout le temps pour des performances qui n’ont rien de criminel, mais ne sont simplement pas à la hauteur. Des PDG d’entreprises perdent leur emploi en raison de mauvais résultats, ce qui ne signifie pas qu’ils vont aller en prison, mais seulement qu’ils ne vont plus au bureau du coin. Naturellement, l’Église n’est ni une équipe sportive de ligue professionnelle ni l’une des 500 entreprises faisant le plus gros chiffre d’affaires, mais dans ce cas, le point est le même : la prison n’est pas la seule mesure pour un leadership efficace.
Maintenant que le droit pénal de l’Église a été modifié, le prochain test de réforme sera de savoir si des mesures de responsabilisation sans sanction pénale sont conçues pour s’adapter aux cas dans lesquels il n’y a peut-être pas eu d’intention néfaste, mais où le système est néanmoins tombé en panne.
Il l’a fait avec McCarrick : malgré des décennies de chuchotements sur des comportements potentiellement inappropriés, ou au moins une conduite qui aurait dû allumer des voyants rouges, McCarrick est resté au sommet du pouvoir ecclésiastique pendant la majeure partie de deux décennies. Il ne l’a pas fait tout seul – d’autres ont contribué à son ascension et sa permanence au sommet et, à ce jour, ces autres acteurs n’ont pas eu à faire face publiquement aux conséquences.
La législation de mardi a donc été une façon importante de consolider ce qui était déjà une meilleure pratique dans certaines parties de l’Église, la rendant universelle et irréversible. Elle marque en cela une étape importante.
Mais ce n’est pas la fin du travail. Il y a encore du chemin à parcourir et le début de 2020 se présente comme un moment décisif pour voir dans quelle mesure nous sommes sur le point d’y parvenir.
Notes (de la rédaction)
[1] Abolition du secret pontifical pour les abus: une décision historique
[2] Mgr Scicluna: «Un choix qui fait date et élimine les obstacles et les entraves»
Traduction : Lucienne Gouguenheim