La protection de la création en Guyane
Extraits de la Lettre pastorale de Monseigneur Emmanuel Lafont, évêque de Cayenne aux Catholiques de Guyane sur la protection de la création en Guyane.
Le pape vient de convoquer un Synode – une Assemblée – des évêques d’Amazonie. Près de 100 évêques se trouvent en effet en mission d’Église dans les neuf pays concernés par le bassin amazonien. Le Synode se réunira en octobre 2019, et il est déjà dans un stade de préparation active.
La situation en Amazonie
Le Document préparatoire au Synode reconnait qu’elle est tout aussi préoccupante que l’ensemble de la planète : « les peuples de la forêt, cueilleurs et chasseurs par excellence, survivent avec ce que la terre et la forêt leur offre. Ces peuples surveillent les fleuves et prennent soin de la terre, de la même manière que la terre prend soin d’eux. Ils sont les gardiens de la forêt et de ses ressources ».
Cependant, la richesse de la forêt et des fleuves de l’Amazonie est menacée aujourd’hui par les grands intérêts économiques qui s’installent dans divers endroits du territoire. Ces intérêts provoquent, entre autres choses, l’intensification de la coupe indiscriminée de la forêt, la contamination des fleuves, des lacs et des affluents (par l’usage indiscriminé de produits agrotoxiques dérivant du pétrole. L’activité minière extensive, légale ou illégale, et les dérivés de la production de drogue). À cela s’ajoute le narcotrafic qui, joint à ce qui précède, met en danger la survie des peuples qui dépendent des ressources animales et végétales de ces territoires.
D’un autre côté, les villes de l’Amazonie ont grossi très rapidement et ont intégré de nombreux migrants déplacés par force de leur terre, poussés vers les périphéries des grands centres urbains qui s’avancent à l’intérieur de la forêt. Dans leur majorité, ce sont des peuples indigènes, riverains et afro descendants expulsés des mines, de l’industrie d’extraction pétrolifère, coincés par l’extension de l’extraction du bois, qui sont les plus touchés par les conflits agraires et socio-environnementaux.
En somme, l’accroissement démesuré des activités agro pécuniaires, d’extraction et des activités forestières en Amazonie, non seulement met en danger la richesse écologique de la région, de sa forêt et de ses eaux, mais en plus elle appauvrit la richesse sociale et culturelle. Elle a forcé le déploiement urbain ni « intégral » ni « inclusif » de la région amazonienne.
Au-delà des menaces qui émergent de l’intérieur de leurs propres cultures, les peuples autochtones ont vécu, depuis les premiers contacts avec les colonisateurs de fortes menaces extérieures. Contre ces menaces, les peuples autochtones et les communautés amazoniennes s’organisent, luttent pour la défense de leurs vies et de leurs cultures, de leurs territoires et de leurs droits, et de la vie de l’univers et de toute la création.
Le Document d’Apariceda écrit, sur le respect des autochtones et des Afro-américains, que : « la société tend à les déprécier, en méconnaissant leur différence. Leur situation sociale est marquée par l’exclusion et la pauvreté ». Cependant, comme le pape François l’a remarqué à Puerto Maldonado : « Leur cosmovision, leur sagesse ont beaucoup à nous enseigner, à nous qui n’appartenons pas à leur culture. Tous les efforts que nous déploierons pour améliorer la vie des peuples amazoniens seront toujours insuffisants ».
En bref, la relation d’appartenance et de participation qu’établit l’habitant de l’Amazonie avec la création fait partie de son identité et se trouve en contraste avec la vision mercantile des biens de la création.
La montagne d’or
Face aux défis d’aujourd’hui nous avons besoin, au nom même de l’Évangile et dans une collaboration sans frontières avec tous, de créer une Guyane à visage amazonien – qui établit son avenir non plus sans, mais avec la sagesse amérindienne – gardienne de la forêt – et qui tourne le dos à ce qui détruit la forêt et les peuples qui y vivent. Comme l’a demandé le pape François dans sa rencontre avec les communautés amazoniennes à Puerto Maldonado : « Nous qui n’habitons pas ces terres, nous avons besoin de votre sagesse et de votre connaissance pour pouvoir pénétrer, sans le détruire, le trésor que renferme cette région. Et les paroles du Seigneur à Moïse résonnent : ‘Retire les sandales de tes pieds, car le lieu où tu te tiens est une terre sainte’ (Ex 3, 5) »
S’il y a de l’argent à dépenser, c’est sans doute d’abord pour reprendre possession de notre territoire – nous sommes la risée du monde avec cet orpaillage clandestin qui dépouille tranquillement une région qui appartient, théoriquement, à l’une des premières puissances mondiales – plutôt que de le proposer encore à des multinationales qui ne viennent pas pour nous faire du bien, quoi qu’elles en disent, mais pour tirer profit de notre sol pour elles et pour leurs actionnaires. Et quand nous aurons dit oui à l’une, qu’est-ce qui nous empêchera de dire oui à d’autres ?
On nous dit que cela va créer des emplois. Sans doute quelques-uns, mais à quel prix ! Le prix d’une opposition de plus en plus farouche entre les rares bénéficiaires d’une telle entreprise, et la majorité des Guyanais, dans l’attente d’un légitime développement équitable ! Le prix de responsables, obnubilés par un seul projet, au détriment d’un rôle de nécessaire garant de l’intérêt général !
Et puis, le développement durable n’est pas là. Il est dans la pêche, dans l’agriculture, dans le bois et sa transformation, dans un tourisme à visage humain, dans la construction. Il est sans doute aussi dans l’exploitation durable des richesses du sol, et donc peut-être de l’or, mais dans une dynamique qui soit le fruit d’un plan élaboré ici, avec tout le monde. Autrefois, la Guyane était autosuffisante, mais ce n’est plus le cas. N’est-ce pas à cela qu’il faut d’abord s’employer ? Nous risquons, pour un plat de lentilles, de laisser notre meilleure jeunesse continuer à quitter notre territoire pendant que d’autres continuent de nous piller… Chaque fois que j’ai écouté les jeunes parler de ce projet, j’ai trouvé une profonde réticence, pour ne pas dire un refus tout net. J’ai entendu les Amérindiens de notre territoire. Écoutons la sagesse des peuples de la forêt : « Quand vous aurez coupé le dernier arbre, pollué la dernière rivière et pêché le dernier poisson, alors vous vous rendrez compte que l’argent ne se mange pas ».