Par Robert Mickens
Le scandale profondément troublant des abus sexuels commis par des membres du clergé au Chili et leur dissimulation par les dirigeants de l’Église du pays continue de s’aggraver.
Après une enquête menée par le Vatican en février, qui a conduit le pape François à convoquer d’urgence à Rome un sommet de toute la hiérarchie chilienne, il y a eu un flux apparemment ininterrompu de nouvelles affaires de crimes sexuels contre des jeunes.
Tout d’abord, il y a eu un reportage sur un réseau organisé de pédophilie (ou au moins d’éphébophilie) dans un diocèse au nord de Santiago, où des prêtres ont échangé des images pornographiques de mineurs et sur la manière d’approcher sexuellement les adolescents.
À l’heure actuelle, certains dans ce pays d’Amérique du Sud affirment que ce cartel d’abus ne se limite pas à un seul diocèse, mais implique plusieurs autres diocèses.
Jeudi dernier, l’archidiocèse de Santiago a reconnu publiquement que son chancelier, le P. Oscar Muñoz Toledo s’est dénoncé aux autorités ecclésiastiques en janvier dernier pour avoir abusé sexuellement des jeunes.
Ce qui rend cette affaire encore plus dramatique est le fait que le prêtre âgé de 56 ans était chargé de traiter les plaintes de violences sexuelles commises par des membres du clergé à Santiago, y compris contre le prédateur en série Fernando Karadima, le personnage central de la crise chilienne.
L’archevêché prétend avoir immédiatement suspendu le père Muñoz après qu’il se soit dénoncé il y a plus de cinq mois et l’a ensuite signalé à la Congrégation pour la doctrine de la foi.
Cependant, il apparaît, les responsables de l’archidiocèse n’ont jamais informé les autorités civiles du Chili.
On ne peut que s’interroger sur ce qui finira par se faire jour dans cette horrible saga. Et il faut se demander sérieusement si l’Église catholique au Chili est la seule en Amérique latine où des prêtres et des évêques se sont livrés à des abus sexuels sur des mineurs suivis de complicité pour les garder secrets.
Le cardinal Dario Castrillon Hoyos avec les Chevaliers de l’Ordre sacré et militaire constantinien de Saint-Georges
Le défunt cardinal Dario Castrillon Hoyos, un prélat conservateur colombien décédé la semaine dernière à l’âge de 88 ans, se moquait notoirement de la suggestion selon laquelle les abus sexuels commis par les membres du clergé pourraient être un phénomène mondial.
En 2002, alors qu’il était préfet de la Congrégation pour le clergé, au moment même où la crise des abus sexuels était en train d’exploser aux États-Unis, Castrillon a laissé entendre que ce problème était limité au monde anglophone.
On a ensuite découvert que le cardinal avait fait l’éloge d’un évêque en France qui refusait de dénoncer un prêtre agresseur aux autorités ou de coopérer à l’enquête civile.
Nous ne savons pas si le cardinal Castrillon a jamais reconnu avoir fait un diagnostic erroné de la crise des abus ou s’il est parti dans sa tombe convaincu – comme il l’a dit un jour – que les soi-disant victimes parlent principalement parce qu’elles peuvent obtenir de l’argent.
Quoi qu’il en soit, ce qui a été révélé au Chili montre qu’il a rendu un très mauvais service à ceux qui ont été violés et manipulés par le clergé catholique en déniant l’ampleur du problème.
Il n’est pas nécessaire d’être grand clerc pour prévoir que des diocèses en Amérique latine (ainsi qu’en Europe, en Asie et en Afrique) vont probablement découvrir qu’il existe dans leur communauté des abus sexuels dans le clergé à une échelle comparable à celle que l’on constate aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Irlande, en Australie et que nous sommes en train de voir en Allemagne, en France, en Belgique et dans une liste croissante d’autres pays.
La grande question maintenant est de savoir ce que le pape François va faire ensuite. Il n’a pas fait grand chose au cours des cinq premières années de son pontificat (au moins publiquement) pour faire face aux abus sexuels commis par le clergé. Mais il a certainement opéré un grand changement ces derniers mois dans la manière dont il affronte la crise au Chili.
On a rapporté que lors de leurs récentes réunions à Rome, tous les évêques chiliens (26 titulaires et cinq auxiliaires) ont remis une démission écrite, laissant à François la possibilité de licencier qui il veut.
Mais on a découvert plus tard que l’évêque Santiago Silva, nommé par François à la tête de l’ordinariat militaire et élu président de la conférence épiscopale nationale, n’avait pas signé une telle lettre. Ni l’évêque qui dirige un vicariat apostolique dans une région missionnaire éloignée du pays [1].
Cela signifie que 29 évêques ont offert de démissionner. Certains ont supposé que ces prélats l’avaient fait pour résister au pape et lui forcer la main. Selon cette analyse, les évêques ont essentiellement dit à François que c’était à lui de réparer leur gâchis.
Il est à peine concevable que le pape accepte la plupart de ces démissions, du moins pas immédiatement ou en même temps. Mais quatre de ces évêques ont déjà plus de 75 ans, l’âge canonique suggéré de pour la retraite. L’un d’eux est le cardinal Ricardo Ezzati, de Santiago, qui a 76 ans.
Il y a également quatre évêques qui étaient proches du tristement célèbre Karadima et qui ont été accusés de dissimuler ses crimes de violence sexuelle. Dans ce groupe, il y a l’évêque Juan Barros dont la nomination au diocèse d’Osorno par le pape François a été l’étincelle qui a allumé ce qui est devenu un feu de forêt ecclésiastique à l’échelle nationale. Il y a donc huit évêques qui peuvent et devraient probablement être démis et remplacés dans les prochains mois.
Le pape de 81 ans n’a probablement jamais pensé qu’il serait obligé de faire face à quelque chose de cette ampleur et de cette horreur. Jusqu’à présent, il a donné des signes qu’il était disposé à procéder de manière très différente et beaucoup plus complète que ses deux derniers prédécesseurs.
Les enjeux sont importants et nous devrions espérer que François réussisse et prier pour cela. Son défi est de concevoir une réponse vraiment efficace et radicale à une crise, dont même les responsables du Vatican (morts et vivants) doivent certainement voir maintenant, qu’elle ne se limite plus à une seule partie géographique ou linguistique du monde.
Note :
[1] En fait ces deux abstentions ne sont pas significatives. Mgr Silva étant évêque aux armées a un rôle officiel dans l’armée qui lui impose des obligations et Mgr Infanti relève directement de Rome. Les deux se sont dits solidaires du mouvement des autres évêques.
Traduction par Lucienne Gouguenheim
Source de l’illustration : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/a/ab/Ordre_constantinien.jpg