Par Jean-Claude Gérez.
15 ans seulement après l’espoir suscité par l’élection de Lula, le Brésil est sur le point d’élire Jair Bolsonaro à la tête du pays. Un candidat d’extrême droite, nostalgique de la dictature et soutenu par l’agronégoce.
« Les fascistes ne passeront pas » © Jean-Claude Gérez/CCFD-Terre Solidaire
La scène se passe le 7 octobre, juste après la proclamation des résultats du 1er tour des élections présidentielles. Face aux caméras, Jair Bolsonaro (Parti Social Libéral – PSL) remercie les 50 millions de Brésiliens qui lui ont offert la victoire avec 46,06 % des suffrages, devant le candidat du Parti des Travailleurs (PT), Fernando Haddad (29,24 %).
Puis, le candidat d’extrême droite se lance dans un discours où il promet notamment, s’il est élu, de lutter contre la corruption, privatiser les entreprises nationales, renforcer les moyens des forces de sécurité face à la criminalité galopante dans le pays, ou encore protéger les valeurs de la famille traditionnelle.
L’ex-capitaine de l’armée s’adresse aussi aux grands propriétaires terriens. « Je veux vous donner des garanties juridiques pour que vos terres ne soient plus envahies », martèle-t-il. Avant de lâcher d’un ton martial :
« Nous allons mettre un point final à tous les activismes au Brésil ! »
D’abord abasourdie, la société civile brésilienne a réagi. Le 15 octobre, près de 3000 ONG, collectifs et mouvements sociaux, parmi lesquels figurent plusieurs partenaires du CCFD-Terre Solidaire [1], ont signé une note dénonçant des propos contraires à la Constitution de 1988, qui garantit les droits d’association et d’assemblée.
« Il s’agit d’une menace inacceptable à notre liberté d’action. Ce n’est pas seulement la vie de millions de citoyens et citoyennes engagés et le travail de 820 000 organisations qui seront affectés. Ce sera la propre démocratie brésilienne ».
Des droits que Jair Bolsonaro, apologiste de la dictature (1964-1985) et de l’usage de la torture, entend pourtant remettre en question à tous les niveaux. Sous couvert de restauration de l’autorité, outre des investissements massifs dans les forces armées, Jair Bolosnaro veut, entre autres, réduire la majorité pénale à 16 ans et rétablir l’autorisation du port d’armes.
Un fusil comme carte de visite
Cette dernière promesse inquiète particulièrement les organisations liées à la terre. Dans un communiqué du 16 octobre, la Commission Pastorale de la Terre (CPT), partenaire du CCFD-Terre Solidaire, dénonce « une vague nationale, basée sur la haine, l’irrationalité, et le mensonge, prête à lancer le Brésil dans une nouvelle ère de barbarie (…)».
La crainte d’une escalade de la violence est fondée. Durant la campagne électorale, Jair Bolsonaro a en effet envisagé de « donner un fusil à chaque propriétaire terrien pour qu’il l’utilise comme carte de visite contre le Mouvement des Travailleurs Ruraux sans Terre (MST) », également partenaire du CCFD-Terre Solidaire. Invité par les grands propriétaires terriens à privilégier l’agronégoce, Jair Bolsonaro a même promis de placer le ministère de l’Environnement sous la tutelle de celui de l’agriculture.
L’annonce a de quoi préoccuper les défenseurs de l’environnement et les populations indigènes. D’autant que le candidat du PSL a évoqué la possibilité que le Brésil puisse sortir de l’accord de Paris sur le climat. Au cours de la campagne, celui qui se dit « admirateur » de Donald Trump a souligné que le sous-sol de l’Amazonie regorgeait de ressources minières à exploiter « à travers des partenariats avec des pays démocratiques comme les États-Unis ».
Il a aussi assuré que, s’il était élu, « l’Indien n’aura plus un centimètre de terre » démarquée, excluant aussi la création de nouvelles aires de conservation de terres indigènes. Une menace à laquelle Mgr Roque Paloshi, président du Conseil Indigéniste Missionnaire (CIMI), partenaire du CCFD-Terre Solidaire, ne veut pas croire.
« Mr Bolsonaro a répété qu’il respectera scrupuleusement la Constitution, indique l’archevêque de Porto Velho. Or le respect des terres indigènes est inscrit noir sur blanc dans la Constitution ».
Vague de violences
« Jair Bolsonaro veut se servir d’élections démocratiques pour donner une légalité et une légitimité à un gouvernement qui veut abandonner l’État démocratique de Droit », souligne pour leur part une quinzaine de pastorales et mouvements de l’Église catholique brésilienne, parmi lesquelles la CPT et le CIMI.
Plus que jamais polarisé, le Brésil est marqué, depuis le 7 octobre, par des dizaines de manifestations de violence à l’égard de militants ou de simples électeurs du Parti des Travailleurs (PT). La plus symbolique est l’assassinat, à Salvador de Bahia, dans le Nord-Est du Brésil, de Mestre Moa, Maître de Capoeira (art martial afro-brésilien), par un électeur de Jair Bolsonaro.
Pas de quoi freiner l’élan du candidat d’extrême droite, qui pourrait bien devenir le prochain président de la 9e économie mondiale. C’est en tout cas ce qu’annonce le sondage du 15 octobre, plaçant Jair Bolsonaro largement en tête, avec 59 % des intentions de vote.
Note :
[1] Commission Pastorale de la Terre (CPT) ; Conseil Indigéniste Missionnaire (CIMI) Mouvement des travailleurs ruraux Sans Terre (MST), Fédération d’Associations de Solidarité et d’Éducation (FASE)
Source : https://ccfd-terresolidaire.org/infos/paix-et-conflits/bresil-democratie-en-peril-6243