Après que le pape eut accepté la démission de sept évêques, on attendait la suite. Mais tout semble s’être arrêté au Chili. Au point que le Cardinal Ezzati est toujours archevêque de Santiago. L’article que publie Golias cette semaine est d’ailleurs intitulé : « le renouvellement se fait attendre ».
On dirait que seule la justice civile traite la question de la pédophilie dans l’Église. Celle-ci n’a-t-elle donc rien à dire ni à faire ? Est-elle tétanisée ou seulement attentiste ?
Le jésuite Felipe Berrios vient de demander, dans une vidéo, que l’État prenne les choses en main et mette sur pied une commission telle que celles qui avaient été instituées après la dictature Pinochet. Selon lui, la hiérarchie a perdu toute crédibilité pour faire la lumière sur ce qui s’est passé.
______________________________
Chili : le renouvellement se fait attendre
Par Régine et Guy Ringwald
Le Pape était revenu sur sa position concernant l’évêque Barros, il avait reconnu d’énormes erreurs et s’était excusé auprès des fidèles d’Osorno, les évêques chiliens avaient « démissionné » tous ensemble, après avoir reçu à Rome une dure leçon. Les victimes de Karadima qui poursuivent leurs dénonciations – et qui avaient été maltraitées pendant des années- avaient été reçues à Rome avec des égards tout à fait particuliers, d’autres victimes (dont des prêtres) avaient ensuite été reçues. Les évêques ont multiplié les proclamations de collaboration ouverte avec la justice civile. De toute part, le combat des laïcs d’Osorno, qui avaient finalement obtenu, contre la hiérarchie et même contre le Pape, le départ de l’évêque Barros, était reconnu, et laissait imaginer un rôle pour les laïcs dans le gouvernement de l’Église.
On pouvait rêver un peu. On pouvait s’attendre à un profond renouvellement de la hiérarchie chilienne. On pouvait espérer la mise en place d’une structure – fût- elle informelle- de participation et d’écoute des laïcs. On pouvait croire que les évêques abandonneraient leurs habitudes de cacher et dissimuler, et que la justice pourrait faire son travail sans entrave. Revenons sur terre -et dans l’Église catholique- où en sommes-nous en cette fin de mois de novembre ?
Du côté des évêques
Quand les évêques ont « démissionné » en bloc, nous avions noté qu’il ne s’agissait pas vraiment d’une démission, ils avaient remis leur charge à la disposition du Pape. En fait, par une action collective, ils esquivaient toute responsabilité personnelle, et ils renvoyaient sur le Pape la « suite à donner ». La démission de sept d’entre eux a été acceptée dont celles de Barros et de Valenzuela, deux évêques issus de la paroisse El Bosque tenue par le sinistre Karadima. Mais deux évêques de la même origine sont toujours en poste [1], ainsi que d’autres qui sont progressivement mis en cause.
Les évêques démis sont remplacés par des administrateurs, mais il a fallu pour cela « dépouiller » l’archevêché de Santiago de ses évêques auxiliaires. Le Pape François est confronté à la triste situation de l’épiscopat chilien. Depuis le passage du nonce Angelo Sodano, on dit que les évêques sont choisis « ternes, dociles, conservateurs ». Pas très facile de trouver, dans un tel vivier, les hommes de caractère, d’ouverture et de courage dont l’Église du Chili aurait besoin.
Poste à pourvoir à Santiago
Le remplacement du Cardinal Ezzati semble poser un problème dur. Il est vrai que le poste est de première importance et donc très sensible. Pourtant, son remplacement est devenu une urgence. Le cardinal Ezzati est l’objet de poursuites dans diverses actions judiciaires, notamment la dissimulation des actes de son chancelier, et de ceux de Karadima. Pas un jour sans qu’il soit question de lui dans la presse. Le 18 septembre, jour de la fête de l’indépendance -et cette année, c’était le deuxième centenaire- un Te Deum est chanté dans les cathédrales du Chili. Le Cardinal Ezzati a été dissuadé de venir l’entonner dans la cathédrale de Santiago, du fait de multiples protestations : le Président de la République avait lui-même laissé dire qu’il n’y assisterait pas si Ezzati présidait la célébration[2]. En l’absence d’auxiliaire, on a fait appel au chapelain de la cathédrale.
Le Pape a demandé à Jordi Bertomeu, l’adjoint de Mg Scicluna lors de ses deux missions au Chili, de trouver quelqu’un qui serait irréprochable. Mais l’oiseau rare est resté introuvable. Récemment, sur la Place Saint Pierre, répondant à une question sur le sujet, le Pape a répondu à la présidente de la Fondation Voces Catolicas : « Ma petite, c’est que je n’ai pas trouvé la bonne personne, priez pour que je la trouve ».
En fait de renouvellement de l’épiscopat chilien, François semble bien embourbé.
« Réfléchir en profondeur »
La Conférence des évêques du Chili s’est réunie, fin juillet, pour « réfléchir en profondeur » sur la situation que vit l’Église, « particulièrement en raison des graves abus commis par le personnel consacré ». Un commentateur a fait remarquer que, pour « réfléchir en profondeur » sur les racines du problème des abus sexuels, les évêques n’ont pas ressenti le besoin de s’entourer d’avis de psychologues, de pédiatres, de sociologues, d’historiens.
Ils ont publié une longue déclaration où on trouve, après un aveu : « nous (les évêques) avons manqué à notre devoir de pasteurs en n’écoutant pas, ne croyant pas, ne prenant pas soin ou n’accompagnant pas les victimes », l’expression de leur repentir, et des mesures techniques utiles dont la nomination de l’avocate Ana María Celis Brunet au poste de Présidente du Conseil national pour la prévention des abus et le soutien aux victimes.
Dans leur déclaration, on cherchera en vain une allusion à l’abus de pouvoir, l’abus de conscience qui, selon le Pape François lui-même, conduisent à l’abus sexuel, et qui sont la cause structurelle du problème. Ce qui n’a pas empêché le Pape de leur écrire une lettre manuscrite dont la fac simile a circulé partout, dans laquelle il loue chaudement leur travail et leur esprit de fraternité, mais où il oublie, lui aussi, les causes du problème qui tiennent au pouvoir.
Du côté des laïcs
À la suite des événements d’Osorno, des mouvements de laïcs sont nés en divers points du Chili : un réseau s’est constitué, composé de groupes locaux dans douze diocèses qui, d’Iquique à Puerto Montt, jalonnent la majeure partie du pays. Pour eux la solution ne peut venir de la hiérarchie qui est à l’origine du mal dont souffre l’Église.
Les mouvements des laïcs se manifestent localement, comme à Iquique (voir plus loin) ou à Chillán, où ils ont dénoncé les agissements de Mgr Pellegrin, et obtenu son départ. Mais leurs possibilités demeurent limitées, vu l’immobilisme de la structure ecclésiale. Aucune ouverture vers une participation à la vie de l’Église touchant les décisions, la gestion, les nominations. Cet état de choses ne concerne d’ailleurs pas spécifiquement le Chili. Si le pape insiste dans ses écrits, et ses paroles, sur le rôle qu’il convient de reconnaître aux laïcs, en fait on ne voit poindre aucune mesure concrète. À moins que le rôle des laïcs soit de prier et de jeûner.
Exclus de l’état clérical
Plusieurs sanctions personnelles, intervenues tout récemment, sonnent comme des signes de fermeté, au moins sur des cas personnels et bien en vue.
Cristian Precht avait été condamné par le Vatican pour abus sur mineurs et le Cardinal Ezzati avait fixé sa peine qui s’achevait en décembre 2017. Mais d’autres plaintes sont intervenues depuis, qui ont poussé les autorités à reprendre le dossier. Il a fait l’objet d’une exclusion de l’état clérical. Le cas de Precht est douloureux, du fait qu’il avait été très actif dans la protection des victimes de la dictature.
Quand cette décision du Pape a été connue, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer l’injustice ressentie du fait que Karadima n’avait jamais été exclu. Ce qui a été fait immédiatement. La sanction a été unanimement saluée, bien qu’elle ait beaucoup tardé, la condamnation canonique de Karadima datant de 2011. Les laïcs d’Iquique ne cachent pas leur enthousiasme, ils voient là le « crépuscule de l’impunité ».
Cependant, bien des observateurs [3] ont relevé la manière dont la décision a été prise. Le Service de Presse du Vatican écrit explicitement qu’il a agi en vertu du Droit Canon qui lui confère dans l’Église « le droit ordinaire, suprême, plénier, immédiat et universel qu’il peut toujours exprimer librement ». Cela donne à cette décision la forme d’un acte d’autorité émanant du « pouvoir absolu ». Dans un long développement paru sur le site ciperchile [4] le 4 octobre, Juan-Carlos Claret (porte-parole de laïcs d’Osorno) défend la thèse que « les abus commis au sein de l’Église ne répondent pas à des problèmes personnels, mais à une structure qui laisse de la place à ces crimes. Il met explicitement en cause le “pouvoir absolu” de la papauté “et l’asymétrie qui le soutient”.
Un pas de plus a été franchi avec l’exclusion de l’état clérical de deux évêques, fait tout à fait exceptionnel dans l’histoire récente.
Marco Antonio Ordenes Fernandez, Archevêque émérite d’Iquique, avait dû renoncer à sa charge en 2012 (à l’âge de 47 ans). Il avait été blanchi par la Cour d’appel d’Iquique, en janvier 2018. Ce sont les laïcs qui ont finalement obtenu que le dossier soit repris lors de la visite de Mgr Scicluna et Mgr Bertomeu. “Ce fut une longue lutte et une longue attente”, selon leur porte-parole, Leonel Reyes.
Francisco José Cox Huneeus, évêque émérite de La Serena [5], actuellement âgé de 85 ans, a démissionné de sa charge en 1997. Mais ce qui est le plus remarquable le concernant, c’est qu’il a fait une belle carrière. En 1981, il est nommé secrétaire du Conseil Pontifical pour la famille, c’est-à-dire n° 2 de ce dicastère. Revenu au Chili, à La Serena, en 1985, il est en 1986 et 1987, Secrétaire de la Commission nationale pour la visite papale de 1987. À ce poste, il est le bras droit de Sodano. Il vit maintenant en Allemagne dans sa communauté des Pères de Schönstatt, ce qui a été interprété comme une mesure de protection. Errazuriz, dans sa grande indulgence, dit de lui qu’il “avait une forme excessivement expressive d’affectivité”. Son cas a pu être comparé à celui du Cardinal Mc Carrick, ex-archevêque de Washington qui fait l’objet de toute l’attention de Mgr Vigano [6]: une place de choix dans la hiérarchie, alors que son comportement était bien connu de longue date. Les moyens financiers en moins.
La justice civile
Depuis que les actes d’abus sexuels ne sont plus seulement des péchés susceptibles d’être pardonnés, mais sont traités comme des crimes qu’il convient de qualifier et de punir, et comme du côté de l’Église, on constate une certaine atonie, la Justice civile est devenue le lieu où se traitent les problèmes de pédophilie dans l’Église. Les cas d’abus et de dissimulation se multiplient, la parole étant largement libérée. La Justice affiche un certain volontarisme : ce sont 16 perquisitions ou visites qui ont déjà eu lieu dans églises ou autres lieux religieux. Le 13 septembre, des perquisitions ont été menées simultanément à Valparaiso, Chillan, Osorno et Concepcion, avec saisie de documents et d’ordinateurs. Début novembre, 139 enquêtes étaient en cours visant 190 personnes dont 8 évêques.
Le chancelier de l’archevêché de Santiago, Oscar Muñoz est poursuivi pour plusieurs cas d’abus sur mineurs : au moins sept. Le Cardinal Ezzati est cité dans la même affaire pour avoir dissimulé ces agissements. Il s’est bien présenté le 3 octobre au tribunal, mais il a choisi de garder le silence. Protestations de tout côté : il dit qu’il n’a rien à cacher, pourquoi ne pas parler ? Et puis, est-ce là un exemple de collaboration ouverte avec la justice ? Même si garder le silence était légalement son droit.
Un cas étrange a défrayé la chronique. Il s’agit du procès en appel que les victimes de Karadima [7] ont intenté contre l’archevêché de Santiago. Ceux-ci demandent que soit reconnue la dissimulation des agissements de Karadima, et une indemnisation de 450 millions de pesos (environ 600 000 €). En première instance, ils avaient été déboutés pour insuffisance de preuves (question d’appréciation), mais aussi pour un motif curieux : l’Archevêché de Santiago ne représenterait pas l’Église Catholique. Le procès est venu en appel, et le dimanche 21 octobre, la Tercera titrait sur le fait que le tribunal avait pris sa décision vendredi : les plaignants avaient gagné. Tous les journaux ont repris la nouvelle, et même Vatican News. L’Archevêché a émis un communiqué évaluant les possibilités d’aller devant la Cour Suprême. Mais le lundi, la Présidente de la Cour d’appel faisait savoir qu’il n’avait pas été rendu de jugement. Ce qui fut ensuite confirmé. On s’interroge sur l’origine d’un tel incident : comment l’information avait-elle été donnée ? Y aurait-il eu des pressions ? Dans la semaine suivante, le tribunal a voulu revenir à une tentative de conciliation. Plusieurs tentatives avaient déjà échoué en première instance, l’Archevêché voulant bien verser de l’argent, mais refusant de reconnaître les dissimulations. Or c’est la demande principale des plaignants. Ceux-ci ont fait savoir qu’ils refusaient.
Le problème est-il au Vatican?
Devant l’étendue du désastre au Chili, mais aussi aux États-Unis, où l’affaire du Cardinal Mc Carrick éclabousse le Pape lui-même, le triste voyage de François en Irlande, les difficultés de la hiérarchie en Australie [8], on aurait pu penser qu’en haut lieu, c’est-à-dire au Vatican, on se mobiliserait.
Le vaticaniste Luis Badilla constate au contraire une propension de plusieurs conférences épiscopales à parler beaucoup, mais agir peu, sur le problème de la pédophilie. Il note qu’au Vatican, le personnel ecclésiastique qui s’occupe de ces dossiers est toujours aussi limité, ce qui entraîne des retards considérables pour prendre en charge les plaintes qui arrivent à la Congrégation pour la doctrine de la Foi. Si on ajoute à cela les intrigues permanentes au Vatican dont les lettres de Mgr Vigano sont l’exemple le plus visible, on peut imaginer qu’une action ferme et résolue pour traiter le sujet n’est pas pour tout de suite.
Le pape François a prévu de réunir à Rome l’ensemble des présidents des conférences épiscopales. Cette rencontre est programmée pour février prochain.
Notes :
[1] Mgr Koljatic à Linares et Mgr Arteaga, auxiliaire de Santiago (celui-ci est atteint d’une grave maladie) [2] nous n’entrons pas ici dans d’éventuelles arrière-pensées politiques [3] notamment Le Monde du 29 septembre [4] https://ciperchile.cl/2018/10/04/una-opinion-inconveniente/ [5] La Serena se trouve à 500 km au nord de Santiago, sur la côte du Pacifique [6] Golias Hebdo n° 545 [7] les trois victimes qui ont été reçues par le Pape en mai: Cruz, Hamilton et Murillo [8] un évêque condamné et le Cardinal Pell en jugement, les pratiques de l’Eglise mises en question, y compris le secret de la confession.Source : Golias Hebdo 551