Par Michel Jondot (Dieu maintenant)
La marche dans la nuit
La tristesse recouvre notre société comme d’un manteau de deuil aux couleurs de la nuit.
Un grand désarroi s’exprime dans notre société. Les partis politiques sont remplis de doléances de toutes sortes, les foules hurlent leurs mécontentements, les suicides se multiplient dans le monde du travail comme dans le monde agricole. Quelques familles chrétiennes sont désorientées : leurs enfants se convertissent à l’islam et rejoignent des combats dont les enjeux heurtent le bon sens. Des hommes, des femmes, des enfants n’ont plus d’abri et des écarts immenses se creusent entre les hommes. Les baptisés eux-mêmes n’ont parfois plus confiance en leurs pasteurs. La planète se pulvérise : les diverses espèces de vivants disparaissent, les glaciers fondent et les fleuves engloutissent des cités. La violence est grande en de nombreux pays. Où va l’univers ? L’humanité s’enfonce dans le noir.
« Un peuple marchait dans les ténèbres », le Prophète Isaïe nous le rappelle aujourd’hui.
Un couple avançait dans la nuit, en Judée, sous le règne de l’Empereur Auguste. À l’heure la plus sombre, loin de la ville, caché dans une étable, à l’abri des regards, s’est produit un fait qui n’avait rien de spectaculaire et qui pourtant, deux millénaires après, réveille un peu en nos cœurs, lors d’une fête comme celle-ci, un certain goût pour la vie. Quelques dizaines d’années plus tard, Luc évoque une situation dont il n’avait pas été témoin, mais dont il a saisi le sens et que nous venons de lire. Certes, il n’occulte pas la dimension très modeste de l’événement. Le cadre est misérable : « une mangeoire » pour animaux à côté d’une auberge dans laquelle ils n’ont pas pu rentrer. Il y avait du monde, tout près d’eux : l’auberge était remplie de voyageurs, mais personne ne s’est aperçu de cette naissance insolite. Il y avait quelques bergers dans les champs d’alentour : on méprisait ces gens-là, ces brigands dont on se gardait. Eux seuls sont venus voir.
Une seconde annonciation
Saint Luc a su merveilleusement trouver les mots pour décrire le mystère de Noël. Une vie surgit dans les ténèbres. C’est le prélude d’un autre surgissement lorsqu’une trentaine d’années plus tard, un corps jaillira vivant hors de la nuit du tombeau. Pour Luc, l’épisode de Bethléem éclaire la vie, éclaire l’histoire. Ce bébé qui ne parle pas encore est la Parole de Dieu adressée au monde. Elle chante le secret de la vie humaine inséparable du mystère de Dieu. Les ténèbres cachent une lumière. Dieu n’est pas dans les hauteurs contrairement à l’Empereur Auguste qui envoie ses ordres à un univers qu’il prétend soumettre. Dieu est avec nous : Emmanuel. Le ciel et la terre ne sont pas séparés : « Une troupe céleste innombrable louait Dieu en disant Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre. »
On ne souligne pas assez, quand on lit ce texte, le souci de Luc de corréler deux situations. Au moment de cette naissance que nous célébrons aujourd’hui, il nous est dit que « l’ange se présenta devant des bergers… Ils furent saisis d’une grande crainte. Alors l’ange leur dit : Ne craignez pas… » Ces paroles sont l’écho de celles qui furent prononcées neuf mois plus tôt, à Nazareth : « L’ange entra… Elle fut saisie de crainte et l’Ange lui dit : sois sans crainte. » On parle d’Annonce faite à Marie. Noël est une seconde annonciation faite à l’humanité en la personne des bergers. L’Emmanuel est présent dans les entrailles de la Terre comme il le fut dans le corps d’une jeune juive de Galilée.
Ouvrons les yeux
Il est vrai que l’énoncé de ce mystère frappe aussi peu nos esprits que le chant des anges dans le ciel ne frappait les oreilles de ceux qui dormaient dans l’auberge d’à côté, cette nuit-là, à Bethléem. Le ciel se tait et l’humanité avance dans les ténèbres. Il nous est proposé d’ouvrir les yeux de la foi pour découvrir que la lumière promise par Isaïe est bien là. Il avait été dit à Marie : « L’Esprit descendra sur toi. » L’Église affirme que le même Esprit nous est donné. Il est le lien qui unit Jésus au Père des Cieux ; il est l’amour. Ouvrir les yeux de la Foi c’est reconnaître que nous sommes aimés et capables d’aimer. Tel est le secret de Noël.
La tradition veut que la fête que nous célébrons s’accompagne de cadeaux. Ils disent le lien qui nous unit à nos proches et à nos amis. Les rencontres que nous vivons réveillent la joie : voyons-y un signal et un appel.
« L’amour n’est pas aimé », disait François d’Assise avec des sanglots. Il est vrai que les rivalités déchirent les peuples, les horizons sont bouchés, les écarts ne cessent de se creuser, les insatisfactions grandissent, la violence fait rage, l’avenir est sombre à en pleurer. La tristesse recouvre notre société comme d’un manteau de deuil aux couleurs de la nuit.
Pourtant la lumière est là, « cachée sous le boisseau ». Si nous ouvrions les yeux, nous réussirions à réveiller l’espérance dans le monde.