Par Joan Chittister

Il n’est pas difficile d’identifier des navires en train de couler. Vous pouvez voir leur long, lent et laborieux déclin quand l’arrière commence à s’enfoncer et que l’avant, la tête du navire, devient inutile. Vous pouvez voir qu’il ne fait plus aucun progrès réel sous le vent. Vous savez qu’il a perdu le contrôle de lui-même.
Ce qui est intéressant, c’est que les gouvernements et les églises déclinent exactement de la même manière : c’est d’abord, le peuple, le corps de l’institution, qui commence à lâcher les amarres, à disparaître ; la direction y attache alors peu d’importance.
L’effondrement est constitutif, immanent. Ce qui est difficile à comprendre, c’est pourquoi de grandes institutions commencent soudainement à sombrer. Plus déconcertante encore est l’idée que rien n’aurait pu être fait pour mettre fin à l’implosion.
Les causes probables d’un tel déclin sont bien entendu nombreuses – peut-être l’environnement ; peut-être une panne ; et certainement la tension interne qui finit par toucher tous les systèmes et toutes les structures devenues arthritiques au fil du temps, qu’on a considérées comme acquises au fil du temps, et qui sont devenues léthargiques avec le temps.
Mais quelle que soit la cause du naufrage, il est essentiel de se rappeler que ce ne sont pas seulement des institutions qui disparaissent. Les personnes qui en dépendaient coulent aussi avec le navire – la confiance qu’elles ont mal placée en lui, leur inconscience du danger que représentent les navires incarnent tout simplement une réalité négligée, un sentiment de sécurité éternelle brisé. Jusqu’à ce que l’impossible se produise et que la fragilité de la vie se réaffirme. Encore et encore. Siècle après siècle.
Les gouvernements tombent. Les églises aussi, qui pèchent autant qu’elles sauvent, perdent leurs repères. Alors, comment se fait-il que nous restions alors que nos institutions se dessèchent et que notre courage diminue ? Ce n’est pas notre faute, argumentons-nous. La cause est en dehors de nous-mêmes – dans l’institution même, disons-nous. Pas en nous
Faux. La vérité est que cette très grande débâcle sociale commence avec nous, avec les personnes qui détournent les yeux quand cela se produit, qui permettent aux attitudes qui la nourrissent de s’imposer.
Aujourd’hui, à l’ère des bouleversements de gouvernement, je souhaite explorer cette question de la décomposition institutionnelle, mais dans une perspective formée il y a plus de vingt siècles et dans la vision de l’homme qui a entrepris de restaurer le cœur de l’entreprise humaine.
Au Ve siècle, Rome – l’invincible – a commencé à s’effondrer de l’intérieur. Ses légions romaines, fondement du pouvoir politique de l’empire, avaient épuisé les ressources des colonies et, ne gagnant plus leur subsistance, s’attaquaient désormais à Rome elle-même. Les riches étaient devenus dissolus. Les pauvres étaient démunis et désespérés. Les immigrants aux frontières – les étrangers – commençaient à affluer à Rome, non pas pour la détruire, mais pour partager sa richesse.
Ils avaient des empereurs qui voulaient élargir l’empire et des papes dont la préoccupation principale était d’établir la prééminence papale. Alors, qui était là pour renverser cette course vers l’abime de l’un des plus grands empires que le monde n’ait jamais connu ?
La réponse a été aussi improbable que le problème. Un jeune étudiant, Benoît de Norcia, désillusionné par la piètre condition morale de la Rome tant vénérée, a tourné le dos au système. Il a abandonné. Il a quitté l’école plutôt que de s’engager pour les objectifs et les valeurs desséchées d’un lieu qui avait dilapidé sa richesse et sa raison d’être. Plutôt que de suivre les priorités de la société d’alors, il a commencé à enseigner une autre façon de vivre.
Benoît a développé de petites communautés et, dans un monde où pouvoir et intimidation, avarice flagrante et individualisme pathologique, autoritarisme et narcissisme avaient fait perdre le sens de la communauté, il a enseigné que la vanité est la faille fondamentale du système humain. L’humilité, pierre angulaire de la société, de la civilisation, de l’ordre social, enseigna-t-il, en est le correctif.
Il a fondé sa règle de vie sur douze principes d’humilité qui, selon les historiens, ont sauvé la civilisation occidentale.
Ce sont ces principes de vie que notre époque doit revisiter, si l’Église ou l’État pensent pouvoir sortir le monde de l’égocentrisme de la société actuelle.
De mon point de vue, ce sont ces douze principes de vie – la reconnaissance de ma place dans l’univers, le besoin de sagesse plutôt que de pouvoir, la révélation de soi plutôt que l’autosatisfaction et les bonnes relations – qui font cruellement défaut aujourd’hui. Si nous voulons nous remettre des systèmes tordus et crispés qui prévalent dans l’Église et dans l’État à l’heure actuelle, nous devons commencer à examiner les postulats et les attitudes que nous laissons s’infiltrer dans nos institutions et, pire encore, dans nos propres âmes.
Ce sont ces principes que je commencerai à examiner, un par un, ces prochaines semaines, dans ce qui est devenu un monde extrêmement polarisé – et en train de couler – autour de nous. Peut-être que si nous pouvons découvrir ce qui nuit à nos meilleurs efforts, nous pourrions au moins arrêter notre plongée dans l’abime.
Source : https://www.ncronline.org/news/opinion/where-i-stand/how-save-western-civilzation-again
Traduction : Lucienne Gouguenheim
Illustration : Pixabay/werner22brigitte
Merci Lucienne de nous traduire ces articles tellement intéressants qui nous permettent d’avancer en compagnie des chercheurs de sens comme Joan Chittister.
Annie Grazon