L’action de libération à mener aujourd’hui
Redes Cristianas est une plateforme constituée de 200 groupes, communautés et mouvements catholiques de base espagnols, similaire aux Réseaux du Parvis. Elle a publié la déclaration suivante à l’issue de sa 6e Rencontre, le 2 décembre 2018.
De quoi avons-nous besoin de nous libérer, nous les hommes et les femmes de cette seconde décennie du 21e siècle ? Quels sont les faits, quelles sont les personnes qui nous privent de notre liberté ou qui la restreignent ?
La réponse n’est autre que le système qui produit l’inégalité, une destruction toujours accélérée de notre habitat et de nos valeurs, la violence (contre les femmes, les immigrants, les personnes les plus pauvres et les plus vulnérables) et les quelques privilégiés qui profitent de cette situation à leur propre bénéfice, aidant à la consolider et à la perpétuer.
Un système qui vise à la globalisation de l’économie et qui fabrique une pensée unique, qui favorise le petit nombre des privilégiés, et qui est en voie de renverser les valeurs et le sens des droits humains.
Un système qui s’alimente d’une technologie qui, sans doute, est en train de changer le monde pour le meilleur en beaucoup d’aspects ; mais qui, en même temps, permet des niveaux de contrôle et de manipulation des personnes tels qu’on n’en a jamais vus dans l’histoire.
Un système qui construit une société qui, sous une apparence de pluralisme et de pouvoir citoyen, nos aliène avec d’énormes doses de désinformation et de tromperie, par le biais de structures de pouvoir omniprésentes, diffuses, difficiles à combattre, car elles sont enracinées au plus profond de notre culture de masse et du consumérisme prédateur qui nous dévore.
Un système fondé sur des pouvoirs tellement efficaces qu’ils se sont emparés de tous les leviers de la gouvernance sociale et de toutes les institutions publiques.
C’est en fonction de tout cela qu’il faut nous interroger sur l’exigence de libération de notre société et de notre Église. Une libération que nous considérons comme urgente, car les niveaux d’oppression et d’exploitation, plus « liquides », plus subtils, changent, connaissent des mutations, mais persistent et se renforcent. À partir d’une analyse collective de la situation et d’expériences alternatives possibles, centrées sur l’éthique, la solidarité et la justice, moyennant une méthodologie d’apprentissage collectif (tous, nous apprenons de tous), à la fois dans la démarche elle-même (l’objectif dynamique) et dans le sens recherché (le changement à promouvoir).
Nous comptons précisément sur les meilleurs d’entre nous, femmes et hommes, prophètes qui sachent lire la réalité et agir en conséquence, mettant leur vie au service d’une nouvelle société (comme Gaspar García Laviana dont nous faisons mémoire ces jours-ci, comme notre ami Jaume dont nous devons aussi nous souvenir, et comme tellement de personnes anonymes).
Nous avons besoin d’une spiritualité qui ne se définisse plus exclusivement à partir des religions instituées et qui s’alimente du dialogue entre tous les courants philosophiques et toutes les croyances religieuses.
Nous avons besoin d’une citoyenneté revendicative, tissant des relations multiples, organisée, collaborative et crítique, qui construise des espaces de participation réels, pleinement démocratiques, dans lesquels puissent coopérer les diverses cultures, traditions, races, minorités et religions pour le bien commun et pour une attention radicale aux personnes et à la Nature, de sorte que la lutte pour l’égalité des hommes et des femmes parvienne à changer cette société patriarcale, violente, dans laquelle le nombre des marginalisés et des exclus, et des migrants qui cherchent un endroit où vivre dans la dignité, ne cesse de croître.
Où se situent aujourd’hui les inégalités majeures au sein de notre société ? Quels sont les obstacles ? Qui s’oppose à l’égalité ? Que pouvons faire pour avancer vers cette égalité dont nous portons le rêve ? Notre religion promeut-elle l’égalité, est-elle libératrice ? Quels engagements pouvons-nous mener, au niveau de « Redes Cristianas », au niveau de nos divers collectifs propres, et au niveau personnel ?
Comment développer une prise de conscience communautaire et écologique ? Comment mettre en pratique une véritable démocratie participative à tous les niveaux : celui du quartier, de la commune, de la région, de l’État ? Au niveau supranational, au niveau mondial ? Comment faire croître une volonté collective, une prise de pouvoir par le peuple, une action non violente ?
Dans cette rencontre, à travers les différents ateliers, nous avons tenté de nous sensibiliser à partir de ce que nous vivons et de nos propres expériences,
– identifiant conjointement les divers types de violences machistes, à l’égard des migrants, etc. ;
– suscitant des engagements de changement au niveau individuel et collectif dans notre manière de nous former et de nous informer, d’échanger l’information, réfléchissant sur ce que signifie une information correcte, et sur les difficultés et les ouvertures que présentent les actuels médias de communication ;
– offrant des alternatives au service de la libération personnelle, communautaire et sociale, promouvant une spiritualité des « yeux ouverts », les autres nous interpellant aussi, à partir du paradigme écologique et du souci de la maison commune.
Les politiques qui s’opposent au changement climatique vont bien en deçà de ce qui serait nécessaire pour le combattre, les pays riches ont plus de ressources pour s’y adapter, alors que les plus pauvres en souffrent déjà, et de manière évidente.
Nous nous sommes aussi interrogés sur les raisons de l’échec des politiques migratoires, sur les causes réelles de ce phénomène : guerres, trafic d’armes, néocolonialisme, désastres naturels… et sur ce que faisons : politiques de coopération, décroissance, empreinte écologique…, expériences d’accueil, qui sont clairement insuffisantes.
Redes Cristianas s’engage à collaborer en toute liberté avec les personnes qui veulent se mobiliser pour un futur plus juste, plus pacifique, avec plus d’égalité : mouvements sociaux, écologistes, en faveur d’une consommation plus responsable et d’une économie circulaire et soutenable, mouvements féministes, mouvements de migrants, groupes religieux de toutes les traditions.
Tout cela dans la perspective d’une défense résolue de la laïcité et d’une spiritualité ouverte, enracinée dans la bonne nouvelle de Jésus de Nazareth, prophète de la libération.
Il n’est pas possible de travailler efficacement pour une société rénovée dans un sens d’excellence à partir de l’individualisme, de groupes refermés sur eux-mêmes et sur leur entourage le plus proche, à partir de ce qui nous alimente, nous seuls et les nôtres.
Redes Cristianas est apparu comme l’outil permettant une meilleure coordination, pour parvenir à rendre plus fortes la voix et l’action libératrice de nos collectifs et à leur assurer une plus grande influence sociale.
En cette 6e Rencontre, nous ratifions ces objectifs et nous nous proposons de continuer à travailler pour que nos efforts s’additionnent, entre nous et avec quiconque, groupe ou mouvement religieux ou laïc de la société civile, qui cherche également à mener une « action de libération pour aujourd’hui ».
Traduit de l’espagnol originel par Jean-Bernard JOLLY