Des cendre naît l’imagination
Par Nancy Sylvester [1]
J’ai du mal à cesser de voir la cathédrale Notre-Dame en flammes. Ce magnifique travail d’imagination et de savoir-faire humain est l’icône d’un système de vision du monde et de croyances religieuses qui a façonné nombre d’entre nous.
Tout comme la Terre est séparée du ciel et de l’enfer, le sacré et le séculier devaient rester séparés. La cathédrale devait être un avant-goût du ciel, un espace intermédiaire entre Dieu et les humains. Au milieu des années 1960, lors de ma première visite à Notre-Dame, je me souviens de m’être émerveillée lorsque j’ai levé la tête et que j’ai perçu l’incroyable hauteur et ressenti la transcendance de Dieu. Le silence profond qui m’a entourée en entrant m’a amenée à la prière. Les vitraux permettaient à la lumière de briller dans l’obscurité, me rappelant la présence de Dieu dans cet espace.
Les cathédrales ont incarné l’imagination religieuse de l’époque et, lorsque j’ai rendu visite à Notre-Dame, elle a nourri ce qui était alors ma spiritualité très personnelle de « Dieu et moi ».
Les cathédrales gothiques étaient au centre de la vie du peuple, des paysans, qui trouvaient sécurité, espoir et pardon dans les murs de leurs églises. Les cathédrales représentaient des valeurs, une vision du monde et des systèmes de croyances qui ont évolué au cours de siècles.
Les cathédrales représentaient l’espace où Dieu devint présent – sous la médiation du clergé à travers les sacrements. Le clergé enseignait la foi, utilisant des vitraux et toute autre iconographie pour raconter l’histoire du salut. L’architecture a fait une priorité de l’ordre et de la conception géométrique, tout en apportant un sentiment de stabilité et de permanence.
Notre Dame a incarné ces croyances, mais comme il en est de toutes les structures au fil du temps, des modifications ont eu lieu. Parfois, elles renforcent le design original et parfois non. Il m’a semblé significatif que ce qui a été détruit – la flèche – ait été ajouté au cours des siècles. La base originelle de la structure a résisté à l’incendie et elle restée intacte.
Cela m’a fait réfléchir.
La vision du monde et les systèmes de croyances dominants au Moyen Âge existent toujours, en même temps qu’une multiplicité de changements et de développements dans nos croyances religieuses et laïques. Nous savons que depuis l’ère moderne, la séparation entre les conceptions du monde enracinées dans les croyances religieuses et celles qui se dégagent des découvertes de la science sont à la base de contradictions entre elles. Dans le but de réconcilier ces différences, les enseignements du Concile Vatican II ont instauré un dialogue entre l’Église et le monde, mais de nombreux membres de l’église officielle ont résisté. On pourrait dire que cette résistance n’a fait qu’ajouter des ajouts tels que la flèche sur le socle original. Plutôt que de voir les enseignements originaux de Jésus sous un nouvel angle, on a ajouté davantage de connaissances. Cette résistance a contribué à notre situation actuelle : beaucoup de gens ne vont plus à l’église alors même qu’ils recherchent une spiritualité authentique.
Un autre aspect de la vision du monde plus traditionnelle concerne le rôle très particulier du clergé. Au Moyen Âge, la hiérarchie dans l’église était calquée sur la structure monarchique existante. À l’intérieur de la cathédrale, certains espaces étaient plus sacrés que d’autres, où seuls le clergé ou les membres de la monarchie étaient autorisés à se rendre. Au sein de la prêtrise, divers rôles assignés ont accru l’importance et les privilèges de chacun. Les rituels de l’église ont accru le rôle unique du clergé ordonné. On obéissait aux prêtres sans poser de questions et beaucoup de fidèles les considéraient comme représentants de Dieu. Le système clérical est devenu de plus en plus fermé et déconnecté des mutations de notre monde. Ces ajouts au système clérical ont contribué aux scandales actuels dans l’Église. Ces ajouts – comme la flèche – sont sensibles aux incendies, car ils ne font pas non plus partie du socle et déforment la vision originelle de l’Évangile.
En écoutant le président Macron annoncer que la cathédrale serait reconstruite, je me suis demandé : que se passerait-il si Notre-Dame n’était pas reconstruite, mais plutôt réinventée ?
Comment ce qui remplace ce qui a été détruit pourrait-il être aussi magnifique dans sa conception et parler à nos conceptions spirituelles contemporaines ?
Comment construirions-nous une cathédrale aujourd’hui ?
Comment, en approfondissant la théologie de Vatican II et ses développements ultérieurs, incarnerions-nous cette compréhension de la foi : nous sommes dans le monde et non séparés ?
Comment pourrions-nous construire notre espace sacré pour y intégrer la cosmologie qui parle d’un univers inachevé et en évolution plutôt que d’un univers immuable et figé et qui rende hommage au rôle de la conscience humaine ?
Comment créerions-nous cet espace d’une manière qui reconnaisse l’égalité des personnes dans toute notre diversité ?
Comment pourrions-nous communiquer la sainteté de toute la création et notre responsabilité pour la santé de la planète ?
Comment pourrions-nous symboliser l’intimité de Dieu ainsi que la transcendance et les différentes façons dont nous accédons au Divin et l’expérimentons ?
Comment la cathédrale incarnerait-elle le Christ vers lequel tout évolue ?
En me posant ces questions, j’ai réalisé que mon imagination religieuse avait besoin d’un peu de travail. La vision du monde et le système de croyances incarnés par Notre-Dame ont été imaginés et partagés pendant plus de mille ans, à travers des symboles, des arts, de la musique, des prières de dévotion et des rituels.
Vatican II a eu lieu au milieu du 20e siècle. Nous sommes juste au début de la libération de notre imagination religieuse. Nous devons incarner nos nouvelles compréhensions et interprétations de notre foi en utilisant tous nos sens et notre affectivité. Nous avons tellement besoin de symboles, d’art, de musique, de poésie, de prières et d’histoires pour pouvoir embrasser l’intimité et la grandeur de notre foi dans une vision émergente du monde.
L’incendie de Notre-Dame nous fait peut-être le cadeau de libérer notre imagination religieuse, pour que nous créions au cours des prochains siècles une image de notre avenir aussi magnifique que celle qu’a été Notre-Dame au cours des siècles passés.
Note :
[1] Nancy Sylvester est fondatrice et directrice de l’Institute for Communal Contemplation and Dialogue (Institut de contemplation et de dialogue communautaires). Elle a exercé les fonctions de dirigeante au sein de sa propre communauté religieuse, les sœurs servantes du cœur immaculé de Mary, à Monroe, dans le Michigan, ainsi que dans la présidence de la Conférence de direction des religieuses américaines (LCWR). Auparavant, elle était coordinatrice nationale de Network, le lobby national de la justice sociale catholique.Traduction : Lucienne Gouguenheim