Un feu qui couve
Par Joseph Thomas [1]
« Votre cœur n’était-il pas tout brûlant lorsqu’ils vous racontaient … ? »
L’incendie gigantesque des toitures de Notre-Dame de Paris ne semble pas avoir d’explication simple. L’image en est percutante et s’impose à tous, magistralement. On voudrait se taire. Les mots échappent.
Le symbole de la destruction est à la hauteur « symbolique » de ce qui s’est dévoilé depuis de longs mois, l’enchevêtrement des fêlures et pourritures qui contaminaient comme un chancre. Dans les coulisses et les sacristies. Jamais on n’aura tant dévoilé, en quelques semaines, les agissements sournois à l’ombre des plus beaux édifices. Sous quelles turpitudes se cachaient des discours emphatiques englobants, des maîtres de sagesse patentés qui ont su, un temps, imposer leurs ors et leurs dorures ? « Santo Subito ! » Comme pour mieux se couvrir.
Après les révélations sur les fondateurs cyniques des Légionnaires du Christ, ce sont les révélations écœurantes sur les fondateurs des Frères et Sœurs de Saint-Jean, voire des Foyers de Charité, de l’Arche même ! On avait su, depuis plus loin, le mélange capiteux des nouvelles communautés dites charismatiques. Il faudrait nuancer certes. Se savoir fragile aussi, mais tout de même, oser dire.
On nous a fait croire qu’une reprise en mains autoritaire et sacrale de l’Église de France allait venir à bout des errements de 68, cause « reconnue » de tous les maux, et on a affirmé qu’enfin les structures essentielles allaient à nouveau rayonner comme jamais. L’Être pourrait s’imposer à nouveau. Paris multipliait les dorures, Paris était sauf et les pontifes pouvaient dormir enfin tranquilles. On en était venu à bout ou presque, la restauration allait bon train…
Il n’a fallu qu’une flammèche…
Le feu couvait depuis longtemps. Mois après mois, des odeurs nauséabondes, pestilentielles avaient laissé entendre que les fastes de la restauration ne faisaient que colmater des collusions minables, que les arrangements s’étaient déjà faits en coulisses, que les grandeurs pilotaient dans l’entre-soi. On imposait des reprises en mains sacrales, pour mieux asservir encore et imposer un ordre, une mise aux ordres. On ne peut rester indifférent à Sodoma ! C’est tout un système qui s’est dévoilé « Grâce à Dieu ! » Il n’y a pas à recouvrir encore. Il faut restaurer au principe. Il faut reprendre à neuf. Il faut soulever les chancres. Bienheureuse échancrure.
Voici que Paris se relève en cherchant à restaurer un ordre immuable. On a déjà mis en place des alliances financières. À nouveau, certains vont croire réussir et déjà les mécènes sont là pour relancer les dorures et les recouvrements divers. Ne pas être dupe.
Samedi dernier, c’est dans la plus petite église, aux frontières perdues du Morbihan que s’est dévoilé aussi silencieusement que possible un avenir à la parole. Ils étaient sept à avoir préparé pendant plusieurs mois la Racontée du livre de Tobie. Un récit biblique inséré au final dans la Bible chrétienne, qui dit en images, la pauvreté des cœurs réduits par l’adversité. Des cœurs qui se creusent d’un malheur sans nom. Des blessés d’histoire qui sont réduits à rien, comme des pauvres qui frôlent le désespoir. Mais, dit le texte biblique, l’ange mystérieux les accompagne et les restaure. Gratuitement. Ce sont des itinéraires reconstruits. Ici, c’est tout le contraire de la restauration qui colmate. C’est Dieu qui prend les choses en mains et refait à sa manière : dans cette pauvrette église de Tréhorenteuc, restaurée il y a cinquante ans, par la singularité d’un seul homme, hors cadre, sans soutien, en butte à la hiérarchie d’alors et aux sarcasmes, mais si entreprenant et si fidèle.
C’est dans la pauvreté et l’échec apparent que se lève l’aurore. L’histoire de Tobie nous fut racontée de manière lumineuse, simple et profonde. Les conteurs se transmettaient la parole avec aisance. Rien ne se mérite. Tout se reçoit.
Ne pas se presser tant de colmater encore. Mais nettoyer les plaies, radicalement. Guérir des turpitudes. Retrouver l’unité dans la diversité. Se savoir tout pauvre. On n’a rien à démontrer.
Les singularités se lèvent dans l’audace tranquille qui passe de mains en mains. Inutile d’en rajouter. Grâce aux cœurs appauvris.
Le trésor de Notre-Dame est le lieu de toutes les attentions. Le risque est de passer à côté de l’essentiel. Il n’y a pas de trésor archéologique qui vaille. Ou plutôt…
Dans la cathédrale pleine de gravats, poutrelles noircies, enchevêtrement désastreux, la croix dorée, à la stature pleine, rayonne sobrement. Elle se tient là : c’est l’axe du monde. Rien de moins. La noirceur absolue est le lieu même de la Gloire, l’abaissement de Dieu en nos humanités pour nous relever en joie. L’avenir est possible.
Note :
[1] Philosophe, membre du Comité d’animation de l’Abbaye de Saint Jacut
Source : https://www.abbaye-st-jacut.com/accueil/les-points-de-vue-de-l-abbaye/974-un-feu-qui-couve.html