Le bus raté
Par Eric Hodgens [1]
Comment l’Église catholique n’a pas réussi à s’adapter depuis le concile Vatican II
Depuis la Seconde Guerre mondiale (1939-1945), l’Église catholique occidentale est visiblement en déclin. Cela fait partie d’un immense changement culturel mondial.
Du IVe au XVIIe siècle, la chrétienté a été la structure sociale et politique dominante de l’Europe. Le règne de Louis XIV, main dans la main avec la hiérarchie de l’Église française, en a été un point culminant. Mais au même moment les Lumières faisaient rage et minaient la structure elle-même.
Un nouvel ordre social démocratique, basé sur les principes des Lumières, se mettait alors en place de l’autre côté de l’Atlantique, aux États-Unis. La démocratie a triomphé et l’Église est devenue une veuve sans pouvoir.
Le plein effet des idées des Lumières, comme le pouvoir du peuple et les droits de l’homme individuels, s’est révélé dans la reconstruction de l’Europe après la dévastation de la Seconde Guerre mondiale. L’Église semblait être toujours la même, mais n’était plus la force politique qu’elle avait été.
Le Concile Vatican II (1962-1965) a été appelé à définir comment gérer ce nouvel ordre mondial. Et l’image de l’Église catholique mise en avant est passée de celle d’une organisation hiérarchique mise en place par Dieu au peuple de Dieu partageant un parcours commun.
Les qualités égalitaires et interactives du nouvel ordre mondial ont remplacé les qualités hiérarchiques et statiques de l’ordre antérieur aux Lumières. L’Église s’adaptait au monde moderne. Mais seulement sur le papier.
Beaucoup de ceux qui avaient été soumis auparavant à l’ordre ancien avaient senti le vent et abandonné l’Église. Ce flux de départs – assez faible au départ – devait devenir un torrent.
Vatican II nous avait alertés sur l’égalité d’appartenance et sur la nécessité de s’adapter aux changements sociaux rapides, mais il appartenait aux membres de faire preuve de souplesse pour s’adapter s’ils voulaient mettre un terme à l’effondrement.
Le Concile s’est terminé en 1965. Mais l’adaptation au nouvel ordre mondial s’est enlisée. Le bus de la chance est passé et l’Église l’a raté. Pourquoi ?
Un mouvement de restauration ancré à droite s’est mobilisé pour mettre un terme à toute adaptation et pour rétablir l’ordre ancien. Ce groupe restreint, mais bien organisé a eu une influence majeure sous le pape Paul VI. Mais il a trouvé un véritable champion en Jean-Paul II, puis sous Benoît XVI.
Leur méthodologie pour étendre leur pouvoir consistait à nommer des évêques idéologiques partageant les mêmes idées. Le cardinal George Pell en a été le chef de file australien, qui a réussi à nommer ses propres hommes archevêques de Sydney, Melbourne et Hobart.
Agitation du drapeau idéologique
La scène australienne évolue rapidement. On a maintenant légiféré sur le mariage entre personnes de même sexe et sur l’aide à mourir. Le champion de la guerre des cultures, le cardinal Pell, a été reconnu coupable d’abus sexuel sur un enfant et il est en prison. Les demandes de compensation financière sont en augmentation, épuisant rapidement les réserves des diocèses et des ordres religieux.
La campagne sur le mariage homosexuel était un sujet brûlant pour les restaurateurs du Vatican et de l’Australie. Les évêques australiens l’ont décriée comme « contre nature et contre Dieu », mais des sondages ont montré que les catholiques n’étaient pas d’accord avec eux.
L’archevêque de Sydney a brandi le drapeau idéologique, mais il a été ignoré. Un autre évêque aurait fait un don de 250 000 dollars à la cause du « Non » – mais en vain.
Les restaurateurs critiquent maintenant la liberté de religion pour leur permettre de poursuivre la discrimination religieuse dans leurs institutions. Un scénario similaire s’est produit autour de l’aide à la mort. L’appel de la hiérarchie est de poursuivre la criminalisation de l’aide à mourir tandis que la plupart des catholiques demandent de laisser les gens libres de décider.
L’archevêque Comensoli, de Melbourne, a interdit à la célèbre bénédictine américaine Joan Chittester de prendre la parole lors d’une conférence nationale sur l’éducation catholique à Melbourne. Fidèle à Pell, son mentor, Comensoli annonce un retour à l’ancien mauvais temps de la censure et de la misogynie épiscopales, qui, pensions-nous, avaient disparu depuis longtemps.
Enfin, le livre de Frederick Martel, Sodoma – Enquête au cœur du Vatican, a choqué le monde par ce qu’il révèle. Wotyjla et Ratzinger ont mené une politique homophobe incessante au Vatican. Pourtant, la bureaucratie papale est très largement gay, extrêmement compromise et hypocrite. Certains de ceux qui condamnent l’homosexualité le plus fortement sont eux-mêmes des homosexuels actifs.
À mesure que ce livre se diffusera, les catholiques deviendront de plus en plus dégoûtés et honteux. Nous (je parle à la première personne parce que je m’identifie personnellement à cette Église infortunée) avons raté trois grandes opportunités d’adaptation : la mission, le message et le ministère.
La mission : Les évêques sud-américains ont été les premiers à adopter une nouvelle mission : l’option préférentielle pour les pauvres. Ils ont mis en place des communautés chrétiennes de base pour répondre aux besoins des pauvres et les protéger de l’oppression. Jean-Paul II a délibérément inversé cette tendance en remplaçant les évêques pastoraux par des intransigeants.
Le message : La catéchèse centrée sur la vie a commencé à réarticuler le christianisme en tant que mode de vie à exercer plutôt qu’en un ensemble de doctrines à mémoriser. Les restaurateurs, sous Joseph Ratzinger (le futur Benoît XVI), nous ont donné le catéchisme catholique – plus de doctrine et de règles, y compris des positions en contradiction avec ce que croit le courant dominant des catholiques.
Le ministère : contre-intuitivement, les vocations sacerdotales ont diminué depuis la Seconde Guerre mondiale, même pendant la période des baby-boomers. Elles ont baissé en pourcentages.
Personne ne veut de ce style de vie, surtout en tant que réserve mâle, avec le célibat attaché. L’appel de Vatican II à une adaptation souple n’a pu franchir la barrière de pierre du cléricalisme.
Le clerc d’aujourd’hui peut ressembler au chevalier blessé du Saint Graal de Monty Python, mais il bloque toujours la porte du ministère.
La liturgie, le ministère central, devait être adaptée à la culture locale. Au lieu de cela, elle est devenue un champ de bataille de la guerre de la culture, donnant lieu à des liturgies et à un langage sans nom.
Cela a été une victoire à la Pyrrhus pour le camp Jean-Paul II-George Pell parce que les gens abandonnent non seulement la liturgie, mais aussi l’Église elle-même. Et une fois qu’ils sont partis, ils ne reviennent pas. L’Église catholique est maintenant en chute libre.
On a manqué la plupart des possibilités d’adaptation. Certaines paroisses fonctionnent toujours bien, mais elles seront les dernières. Leurs pasteurs inquiets peuvent croire que leur ministère est toujours nécessaire et apprécié par le reste des croyants. En fournissant un service fidèle, ils sont toujours dans le bus, même si c’est peut-être le dernier.
Note :
[1] Théologien et doyen de l’archidiocèse de Melbourne en Australie.
Source : https://international.la-croix.com/news/missing-the-bus/10551
Traduction : Lucienne Gouguenheim