En Inde, une religieuse exclue de sa congrégation pour avoir protesté contre un évêque soupçonné de viol
Franco Mulakkal est l’évêque de Jalandhar, en Inde. Au début de 2018, il a été accusé par une sœur Missionnaire de Jésus de l’avoir violée à plusieurs reprises, entre 2014 et 2016. L’évêque a toujours nié, sous l’argument bien connu qu’il s’agit d’une conspiration pour nuire à l’Église.
Pendant plusieurs mois, personne n’a prêté attention à la plainte de la religieuse. Mais, en septembre 2018, cinq de ses sœurs ont organisé un sit-in pour la soutenir, avec la participation de plusieurs moniales de différentes congrégations, et de laïcs.
Elles demandaient l’arrestation de l’évêque, ce qu’elles ont finalement obtenu. L’accusé a été inculpé de viol, puis libéré sous caution. La date de son procès n’a pas encore été fixée.
La sœur Lucy appartient à la congrégation des Clarisses franciscaines. Elle a soutenu le mouvement des sœurs missionnaires, et se trouve de ce fait sanctionnée et renvoyée de sa communauté sous divers prétextes dont parle l’article de Saji Thomas. La Supérieure de cette congrégation s’inquiète de ce que la presse se mêle d’une affaire qu’elle considère comme intérieure à son ordre.
De multiples pressions, et réactions de défense rendent l’affaire très trouble. Ainsi, un prêtre, considéré comme un témoin-clé, a été retrouvé mort dans sa chambre. Sa famille affirme qu’il avait subi de fortes pressions pour se rétracter de son premier témoignage contre l’évêque.
L’affaire commence à être un peu connue à l’étranger. L’Inde s’ajoute à la liste des pays gagnés par le problème des abus. C’est encore un signe que les abus dans l’Église ne sont pas un phénomène qu’on pourra circonscrire, mais un mal lié au système de pouvoir, comme le Pape François lui-même l’a dit plusieurs fois.
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Entretien avec Sœur Lucy Kalappura, exclue des Clarisses franciscaines à la suite de manifestations publiques
Par Saji Thomas (Global Sister Report – GSR)
La Franciscan Clarist Congregation [2], une congrégation autochtone en Inde, vieille de 130 ans, a exclu il y a deux semaines l’une de ses membres, Sr Lucy Kalappura, pour avoir violé les vœux de pauvreté et d’obéissance. On lui a donné 10 jours pour faire appel au Vatican contre l’ordre. Elle l’a fait vendredi.
Kalappura explique qu’elle est sanctionnée parce qu’elle a utilisé les médias pour obtenir justice pour une religieuse qui accuse Mgr Franco Mulakkal de l’avoir violée à plusieurs reprises, entre 2014 et 2016, dans son couvent de Kuravilangad, au sud de Kochi. La date du procès de l’évêque de Jalandhar n’a pas encore été fixée.
Kalappura, institutrice de 54 ans, était une religieuse peu connue en Inde jusqu’au moment, en septembre 2018, où elle a rejoint cinq sœurs missionnaires de Jésus qui ont organisé un sit-in au Kerala pour soutenir leur ancienne supérieure générale, survivante d’un viol. Les sœurs missionnaires de Jésus ont également subi des pressions de l’Église pour leur militantisme.
Kalappura est devenue médiatique, particulièrement au Kerala, qui est un centre chrétien important du sud-ouest de l’Inde, en dénonçant les dirigeants de l’Église pour avoir ignoré la survivante d’un viol présumé infligé par un membre du clergé. Les supérieures de Kalappura et d’autres responsables catholiques ont réagi en l’accusant de travailler avec des ennemis de l’Église.
Son ordonnance de renvoi, datée du 5 août, indique que le conseil général de sa congrégation du 11 mai « a voté son renvoi à l’unanimité » de la communauté. Les clarisses franciscaines ont également obtenu l’accord du préfet de la Congrégation pour les Églises orientales avec la décision du conseil.
Global Sisters Report l’a interviewée à plusieurs reprises depuis le mois d’avril de cette année lorsque la congrégation lui a envoyé la troisième lettre d’avertissement, lui offrant ainsi la possibilité de quitter l’ordre d’elle-même.
Kalappura décrit les luttes avec ses supérieures et les dirigeants de l’Église qui ont conduit à son renvoi.
GSR : Maintenant que vous êtes renvoyée, quelle est votre première réaction ?
Kalappura: Je suis stupéfaite. Je ne pense pas avoir rien fait contre les règles de la congrégation ou de l’Église catholique pour mériter une telle sanction. J’ai mené une vie claire sans rien à cacher ni craindre.
Qu’en est-il de l’accusation d’avoir violé les vœux de pauvreté et d’obéissance ?
Ce n’est pas vrai. Les accusations portées contre moi sont d’avoir appris à conduire, obtenu le permis, acheté une voiture avec un prêt et publié un livre sans autorisation. Mais je n’ai fait tout cela qu’à la suite de l’absence de réponse d’autorisation de mes supérieures, même après des demandes verbales et écrites. J’ai fait tout cela de bonne foi, pensant que tôt ou tard la congrégation me comprendrait et accepterait mes œuvres. Malheureusement, je me trompe.
Quelle est votre prochaine étape ?
On m’a donné 10 jours pour faire appel du renvoi auprès du préfet de la Congrégation pour les Églises orientales au Vatican. J’ai déjà fait appel à la Congrégation. J’attendrai sa réponse pour décider de la marche à suivre future.
Pourquoi la Congrégation est-elle si déterminée à vous renvoyer ?
Mes supérieures sont influencées par ceux qui sont jaloux de mon travail parmi les pauvres et les nécessiteux. Je suis triste qu’on me reproche de faire du bien aux autres. Je n’ai jamais, à aucun moment, dévié de ma vie religieuse.
Vous êtes devenu très populaire à la télévision. Comment est-ce arrivé ?
Je n’ai rien fait d’extraordinaire pour attirer les médias. Il est vrai que j’ai beaucoup retenu l’attention des médias pour avoir soutenu les cinq religieuses obligées de s’asseoir sur le bord d’une route en quête de justice. J’ai parlé aux médias pour elles. J’ai utilisé les médias sociaux pour mettre en lumière leur situation critique. Au lieu d’aider la victime de viol et ses soutiens, les autorités ecclésiastiques n’ont rien trouvé à reprocher à l’évêque accusé. Les médias se sont intéressés à moi parce que j’étais la seule religieuse à avoir ouvertement défié la position de l’évêque.
Vous êtes d’abord une institutrice. Pourquoi êtes-vous devenue une militante sociale ?
Je suis professeur de mathématiques depuis 1993. Mais je passe mon temps libre à rendre visite chez elles à des personnes malades, à organiser des soins et toute autre aide pour les personnes dans le besoin et à conseiller les personnes en détresse.
J’ai rejoint le couvent avec le désir d’aider les personnes qui souffrent. Mais mes supérieures m’ont demandé d’enseigner. Cependant, mon désir initial était si fort que j’ai commencé à rendre visite aux familles de mes élèves. Ces visites sont progressivement devenues une partie de ma routine quotidienne alors que les gens commençaient à partager leurs difficultés dans la vie de famille et d’autres problèmes. Les gens m’ont aussi invitée chez eux. Bientôt, j’ai réalisé que le conseil nécessitait un suivi. J’ai commencé à chercher de l’aide auprès de personnes généreuses pour les personnes dans le besoin. Je suis donc devenue assistante sociale à temps partiel.
J’ai réalisé que notre présence physique non seulement réconforte les gens, mais renforce leur confiance en eux. Je les encourage à assister à des retraites spirituelles et à des consultations familiales. Je suis en liaison avec les bureaux du gouvernement pour eux. Je conseille également les familles catholiques qui se sentent négligées par les prêtres et les religieuses dans leur paroisse.
Quelle a été la réaction de vos supérieures et des membres de la communauté à ces travaux ?
L’attitude générale a été négative. Elles m’ont raillée de me mettre en quatre pour aider les gens. Certaines ont été contrariées de ne pas avoir partagé les détails confidentiels de mes consultations.
Vous avez dit que des personnes extérieures vous soutiennent. Comment cela ?
Elles reconnaissent mes services. Après le sit-in, les habitants de ma paroisse actuelle ont, de leur propre chef, fait pression sur le curé de la paroisse pour qu’il revienne sur l’interdiction qui m’était faite de distribuer la communion et d’enseigner le catéchisme à l’école du dimanche. Le prêtre a dû céder à la demande du peuple.
Combien de personnes avez-vous aidé jusqu’à présent ?
J’ai touché tellement de gens au cours de mes 33 ans de vie consacrée. Je n’ai jamais entrepris de travail social officiel où des dossiers soient conservés… Des centaines de personnes ont bénéficié de mes conseils et d’autres activités.
Pouvez-vous citer quelques exemples de ceux que vous avez aidés ?
Récemment, un homme au « pied d’éléphant » a dû être opéré. [L’éléphantiasis est une infection qui provoque un gonflement important des membres.] Il n’avait personne pour l’emmener à l’hôpital ni pour lui payer l’argent de son traitement. J’ai obtenu les fonds pour le traitement et que des gens l’emmènent à l’hôpital. Maintenant il va bien.
Quand avez-vous commencé à avoir des problèmes avec vos supérieures et pourquoi ?
J’ai commencé à faire face aux problèmes avec mes supérieures en février 2018, lorsque j’ai publié un recueil de poèmes et publié un CD de chansons de dévotion. Les poèmes parlaient de sujets tels que l’amour de Dieu, la nature, la religion, le bonheur, la mort et le mariage. Le disque « Devalayam » (Temple de Dieu) contient des paroles et de la musique.
J’ai reçu une lettre de ma provinciale disant que je n’avais pas reçu la permission. J’avais demandé sa permission par lettres et en personne depuis 2015, mais en vain. Comme les supérieures ne voulaient pas donner leur permission, je suis allée de l’avant avec la publication.
Vous êtes accusée de ne pas suivre le mode de vie traditionnel d’une religieuse. Que répondez-vous ?
J’ai suivi le mode de vie traditionnel d’une sœur de FAC. Cependant, après avoir publié les poèmes et le CD, je suis devenue un point noir pour mes supérieures. Mon soutien aux cinq religieuses les a rendues furieuses, ainsi que les évêques. Lorsque vous vous opposez au système officiel, qu’il s’agisse du couvent, de l’Église ou de la vie publique, vous avez à faire face à de telles accusations.
Quelle est votre vision de la vie religieuse ? L’Église devrait-elle la revoir ?
Il est grand temps que l’Église revoie la vie religieuse pour la rendre plus pertinente dans le nouveau scénario mondial. Nous vivons dans un village global avec plus de transparence et une plus grande accessibilité à l’information, contrairement au passé. Malheureusement, certaines sœurs sont transformées en esclaves au nom de la vie religieuse et de l’obéissance. Les femmes consacrées sont obligées de travailler dans les hôpitaux et les écoles sans salaire minimum. Ne devrions-nous pas mettre fin à cette exploitation ? Des changements sont en effet nécessaires.
Avez-vous été heureuse en tant que religieuse ?
Bien sûr, je suis contente. Je suis né à Karikkottakary, dans le district de Kannur, au Kerala, alors que j’étais la septième de onze enfants. Je suis devenue religieuse pour servir les gens. J’y ai été attirée par les œuvres charitables et la simplicité de mon père. Mes parents avaient une foi profonde en Jésus. En tant que religieuse, j’ai fait tout ce que je pouvais pour aider les gens et rendre la société meilleure. Quand je regarde en arrière, je n’ai aucune raison d’être insatisfaite de ma décision de devenir religieuse.
Notes :
[1] Saji Thomas est un journaliste indépendant basé à Bhopal, une ville du centre de l’Inde. Il a travaillé pour plusieurs journaux grand public tels que The Times of India. Cet article fait partie d’une collaboration entre GSR et Matters India, un portail d’informations consacré aux questions religieuses et sociales en Inde.
[2] http://www.fccongregation.org/
Traduction : Lucienne Gouguenheim
Illustration : https://www.religiondigital.org/mundo/monja-MeToo-India-Roma-expulsion-obispo-violacion-religiosa_0_2150784912.html