Claudia Fanti (Il manifesto).
C’était le 7 septembre 1984 et Leonardo Boff était assis en tant qu’accusé devant le Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Joseph Ratzinger, dans ce qui ressemblait à s’y méprendre à un procès moderne pour hérésie. L’accusation portait sur son livre : Iglesia: carisma y poder, dont l’ancien Saint-Office avait souligné certains aspects « comme mettant en danger la saine doctrine de la foi ».
Mais dans le collimateur du Vatican, il n’y avait pas qu’un seul livre : c’était plutôt la Théologie de la Libération (TdL) qui, née de la réalité des pauvres (interprétée à l’aide des sciences sociales et de l’analyse marxiste de l’histoire) et visant à leur libération, avait immédiatement alarmé les centres les plus sensibles du pouvoir politique et religieux.
Sans ressentiment
Il se serait agi, assure Ratzinger, d’une « conversation entre frères » – les yeux du monde étant rivés sur Rome, il n’était pas nécessaire d’évoquer des images inquisitoriales – mais l’issue était déjà écrite. L’année suivante, Boff sera puni par un silence obséquieux. Et en 1992, face à la menace de nouvelles mesures disciplinaires, il quittera l’ordre franciscain et renoncera au sacerdoce, tout en poursuivant inlassablement son activité de théologien de la libération. Aujourd’hui, face à la mort de son persécuteur, il dit ne pas éprouver de ressentiment, soulignant seulement la nécessité d’une « lecture objective » de la pensée et de l’action de Ratzinger.
De grands éloges ont été adressés à Benoît XVI. Vous qui, avec beaucoup d’autres, avez personnellement payé pour la persécution du Vatican, comment réagissez-vous aux commentaires de ces derniers jours ?
Il est normal de dire du bien d’un mort, surtout s’il s’agit d’un Pape. Cependant, la théologie, ne pouvant éviter une lecture objective et critique, doit avoir le courage de montrer aussi les ombres de Benoît XVI. C’était un théologien progressiste et respecté lorsqu’il enseignait en Allemagne. Mais il s’est ensuite laissé contaminer par le virus conservateur de l’institution ecclésiastique millénaire, au point d’embrasser, à certains égards, des positions réactionnaires et fondamentalistes.
Il suffit de penser à la déclaration Dominus Iesus de 2000, dans laquelle il a relancé la vieille thèse médiévale, dépassée par le Concile Vatican II, selon laquelle « hors de l’Église, il n’y a pas de salut » : le Christ est l’unique voie de salut et l’Église est l’unique voie de salut. Personne ne marchera sur le chemin s’il ne paie pas d’abord le péage. Quant aux Églises non catholiques, elles ne seraient pas des « Églises au sens propre », mais seulement des « communautés séparées ». Une porte claquée au nez de l’œcuménisme. Son rêve est celui d’une ré-évangélisation de l’Europe sous la direction de l’Église catholique. Un projet dérisoire et impraticable, devant faire table rase de tous les acquis de la modernité. Mais Ratzinger était un représentant de la vieille chrétienté médiévale.
Il était clair qu’il ne voulait pas connaître une théologie élaborée depuis les périphéries. Pour les pauvres, c’était un scandale, pour nous, théologiens, soutenus par des centaines d’évêques, c’était une humiliation.
Puis il y a eu la condamnation de la Théologie de la Libération ?
Pour nous, théologiens latino-américains, ce fut une grande blessure qu’il ait interdit à des dizaines de théologiens de tout le continent de produire une série de 53 volumes, intitulée Théologie de la libération, comme outil pour les étudiants, les communautés de base et les opérateurs pastoraux engagés dans la perspective des pauvres. Il était clair qu’il ne voulait pas entendre parler d’une théologie élaborée à partir des périphéries. Pour les pauvres, c’était un scandale, pour nous, théologiens, soutenus par des centaines d’évêques, une humiliation.
Ratzinger a publié deux Instructions sur la théologie de la libération. La première était très dure, en 1984. La seconde, deux ans plus tard, aux tonalités plus douces, écrite sous la pression des cardinaux brésiliens Arns et Lorscheider. Et c’est précisément en 1984 que vous avez subi le procès devant la Congrégation pour la Doctrine de la Foi.
Le procès s’est terminé par l’imposition d’un « silence obséquieux », un euphémisme pour l’interdiction de parler, d’enseigner, d’exercer toute activité théologique. Mais je n’éprouve aucun ressentiment quand je me rappelle ces jours agités : le fait d’avoir pris fait et cause pour les pauvres, les bien-aimés du Jésus historique, m’a permis de me sentir en sécurité. De plus, ce procès, couvert par les médias du monde entier, avait offert une énorme opportunité de faire connaître laTdL. Tout le monde avait compris que l’enjeu n’était pas seulement une théologie, mais la position de l’Église face à la détresse des pauvres et des opprimés.
Avec la censure et la persécution de tant de théologiens, de Gustavo Gutiérrez à Jon Sobrino, Ratzinger n’a pas donné le bon exemple : il n’a pas écouté le cri des pauvres, a condamné ses amis et alliés et a mal interprété la Loi. Malheur à ceux qui ne prennent pas le parti des pauvres, car ce sont eux qui nous jugeront !
Qu’est-ce qui a conduit à ce malentendu ?
Le manque de soutien de Ratzinger à la TdL a fait hésiter de nombreux chrétiens. D’autant plus que les théologiens de la libération se sont vus interdire de donner des conseils pastoraux aux évêques et même d’accompagner les communautés de base. On leur a refusé la joie du travail pastoral et de l’enseignement de la théologie. Ratzinger a été un facteur de division au sein de notre Église latino-américaine.
N’ayant pas la capacité de gouverner, il a semé plus de peur que de joie, plus de contrôle que de liberté dans l’Église.
Comment évaluez-vous son pontificat ?
Benoît XI a donné une continuité à l’hiver ecclésial initié par Jean Paul II avec l’abandon des réformes du Concile. Avec le « retour à la grande discipline » qu’il a promu, il a même accentué cette tendance. Il suffit de penser à la réintroduction de la messe en latin. Il concevait l’Église comme un château fort contre les erreurs de la modernité, du relativisme au marxisme ou à la perte de la mémoire de Dieu dans la société. Il plaçait la Vérité au centre, avec sa défense de l’orthodoxie. N’ayant pas la capacité de gouverner, il a semé dans l’Église plus de peur que de joie, plus de contrôle que de liberté. C’était une personne affable et délicate, mais sans le charisme de son prédécesseur. Cependant, en raison de ses vertus personnelles et des souffrances qu’il a endurées, je suis sûr qu’il sera accueilli parmi les bienheureux.
Comment interpréter sa démission ?
Il avait pris conscience des scandales sexuels et financiers de l’Église, mais il sentait qu’il n’avait pas la force de changer la situation. Nous avions besoin d’un pape plus sur le qui-vive. Il ne s’agissait pas de problèmes de santé, mais du fait qu’il se sentait psychologiquement, mentalement et spirituellement impuissant.