Adresse à mes frères orphelins de paradis perdus
Par Bernard Ginisty
La liste des désenchantements idéologiques, politiques, religieux, économiques ne cesse d’occuper les médias et de nourrir le thème omniprésent de la « crise ». Bernard Rodenstein, pasteur alsacien très engagé dans l’action sociale nous offre chaque semaine ses « humeurs dominicales ». Il vient de rédiger, avec humour, un texte à l’intention de ceux qu’il appelle les « chassés du paradis » qui me paraît particulièrement pertinent et, dont, avec son accord, je reproduis ici les principaux extraits.
« Dans les textes de l’Ancien Testament, l’histoire humaine commence, on ne peut plus mal ! Adam et Ève, le premier couple, coulaient apparemment des jours heureux sous les cocotiers quand, pour une raison qui pour moi reste obscure et sur laquelle s’étripent pour leur plus grand bonheur de nombreux théologiens et savants, une autorité supérieure leur a signifié la fin du bail et le début des emmerdements de la vie ordinaire. (…)
Ce qui fut fait et qui demeure la règle ! Aujourd’hui encore ! Qui n’était pas bien dans le ventre de sa maman ? Qui a demandé à en sortir ? Qui c’est qui s’est fait expulser sans façon après avoir pu nager dans le bonheur du liquide amniotique à température optimale ? Ça a aussi mal commencé pour nous tous ! Dans le droit fil d’Adam et Ève !
Alors il nous a fallu reconstituer un paradis de substitution. La famille ? Pour certains, oui ; pour d’autres, moins ! Les copains ? Ça pouvait être bien et parfois, malsain ! Un beau métier ? Fallait le trouver. Ça a collé pour les uns et ça a déconné pour d’autres ! Le mariage ? Les enfants ? Il suffisait d’y croire et d’essayer ! Beaucoup s’y sont cassé le nez. D’autres en sont revenus très heureux ! Et dernier paradis en perspective, celui qui est annoncé pour après l’expulsion hors de la vie !
Car expulsés nous sommes ! D’ici, de là, de partout, à n’importe quel moment. Il n’y a pas de paradis stable. C’est très mouvant. On s’y voit un jour et on est jeté le lendemain ! Cauchemardesques, les histoires de paradis ! Nous prenons des coups de pied au derrière du début à la fin. Pourquoi ? Pour quelles bonnes raisons ? Pour nous empêcher de devenir sédentaires. Pour ne pas nous enraciner et nous encroûter ! Pour nous contraindre à la mobilité, au changement, à l’aventure, à la précarité. Contre nos tendances lourdes à nous installer et à nous croire éternels et propriétaires de tout » [1]
Dans son épître aux Colossiens, 3, 10, Paul écrit « Vous avez revêtu l’homme nouveau, celui qui, pour accéder à la connaissance, ne cesse d’être renouvelé à l’image de son créateur ». Il définissait ainsi ce que j’appellerai la pensée de la résurrection : accéder à la connaissance n’est possible qu’en gardant le contact avec le renouvellement créateur. Paul annonce ainsi que le réel déborde éthiques et idéologies. Il est d’abord événement qui nous arrive et dépasse tout ce que nous pourrions attendre.
Le rôle central occupé par la Résurrection dans la foi chrétienne est de l’ordre de la naissance dans une vie d’homme. C’est un commencement absolu qu’aucune nécessité n’exige. Il n’est pas plus possible de coloniser cet événement que de négocier sa propre naissance. On la reçoit dans la reconnaissance ou dans la révolte comme une initiative qui nous précède. L’expulsion de nos paradis perdus constitue le prélude à une naissance.
Comme l’écrivait Maurice Bellet, « Ce n’est pas d’être vieux ou récent qui définit le neuf, c’est d’être naissant ». Et il ajoutait : « Le progrès se fait – selon la loi de toutes les grandes choses humaines – non en ajoutant et en ajoutant encore à l’acquis, mais par une reprise héroïque de la primitive ouverture, pour que cette naissance soit aujourd’hui dans toute sa force » [2]
Notes :
[1] Bernard RODENSTEIN, Chassés du paradis. Humeurs dominicales du 2 février 2020 b.rod@free.fr
[2] Maurice BELLET (1923-2018), L’Église morte ou vive, éditions Desclée de Brouwer, 1991, p. 50.