Croire ou ne pas croire en Dieu
Par José Arregi
Aujourd’hui et ici, pouvons-nous encore croire en Dieu ? Vous auriez sans doute préféré que je formule la question à la première personne, et que je vous dise, en prenant tous les risques, si moi aujourd’hui je crois encore en Dieu. En fait, oui et non. Tout dépend de ce que vous entendez par croire et par Dieu. Je ne dis pas cela pour éluder la question. Et je ne l’éluderai pas.
Nous n’inventons pas les mots avec lesquels nous nous comprenons, et il est hasardeux de leur attribuer un sens différent de celui qu’ils ont pour le commun des mortels. Par exemple « croire » et « Dieu », quels mots ! Mais les mots ont une vie et, donc, une histoire : ils naissent, croissent, changent ; leur sens se restreint ou s’élargit. Nous ne pouvons pas les répéter comme s’ils signifiaient toujours la même chose ou qu’ils n’avaient pas une portée beaucoup plus lointaine que ce qu’ils signifient, pour toucher à l’Infini inexprimable. Que dis-je, donc, quand je dis « croire en Dieu » ?
Par croire je n’entends pas tenir quelque chose pour certain, vraisemblable ou probable, sans preuve scientifique. De même, quand je dis « croire » en « Dieu », je ne prétends pas tenir pour certain ou probable que Dieu existe, quel que soit le sens qu’on lui donne. Mais allons à la source, au fondement du mot. Croire vient du latin credere, mais celui-ci se compose à son tour d’une double racine indo-européenne : kerd (cœur, cordial, accord, courage…) et dheh (mettre, laisser, donner, livrer…). Où est-ce que je place mon cœur, c’est-à-dire le centre ou le fond véritable de mon être ? Où mon être me conduit-il ? Qu’est-ce-qui me comble en me vidant de tout ? Voilà la question.
« Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur », dit Jésus. Ton trésor, ta perle précieuse, la beauté qui t’extrait de la surface et te plonge dans ton Fond et t’élève à ta hauteur, le Mystère, l’Amour créateur et libérateur, le « Règne de Dieu » caché et présent et agissant en tout : dans la primevère, la grive qui chante, le sourire d’un bébé, les pleurs d’un expulsé, le drame d’un réfugié, l’activité d’un prophète. Cette Présence vous appelle. Confiez-lui votre cœur, votre être véritable, libre des peurs, des convoitises et des rancœurs, fait de compassion vive et heureuse. « C’est la Miséricorde que je veux, et non les sacrifices » dit encore Jésus. La Miséricorde heureuse, pas les temples, ni les dogmes, ni les institutions religieuses. La Miséricorde heureuse présente au cœur de tout ce qui est réel : voilà le trésor qui vaut pour tout et à qui nous pouvons confier le cœur de tout. C’est cela Dieu.
Le mot « Dieu », dérivé de la racine indo-européenne deiv (lumière, lueur), est, cependant, le plus équivoque et le plus énigmatique de tous. Son histoire est aussi complexe et contradictoire que l’histoire humaine, que le cœur humain ou votre cerveau. Je comprends parfaitement que tant de gens disent ne pas croire en Dieu tel que l’a conçu et le conçoit encore la grande majorité : un Seigneur tout-puissant, bon et juste, antérieur et supérieur à l’univers, créateur et régisseur du cosmos que nous sommes. Une Entité Suprême, différente de toutes les entités du monde, de sorte que Dieu et le monde seraient deux, Dieu et moi serions deux. Cette image de Dieu fut créée il y a quelque 5000 ans en Irak, avec ses temples et ses nombreux clercs, et a servi à expliquer l’existence du monde et maintenir l’ordre, à promouvoir la bonté et empêcher le tort réciproque. « Dieu », tel que le conçoit la plupart des gens, naquit il y a 5000 ans dans une terre florissante, aujourd’hui saccagée par les pires intérêts des plus puissants.
Ce Dieu qui apparut en un temps est aujourd’hui en cours de disparition. Un jour, pas si lointain, il disparaîtra totalement ou survivra dans les musées, simplement parce qu’il ne sert plus à rien. Il n’explique plus le Big Bang : et à quelqu’un qui prétendrait, non sans raison, que tout a besoin d’une cause pour être, on pourrait répondre que cela ne justifie pas qu’on ait recours à une Cause Première extraterrestre et éternelle pour expliquer le commencement du monde temporel, qu’un Dieu explicatif n’en est pas moins une construction logique humaine, et tout aussi logique, voire plus logique que de concevoir un Dieu autosuffisant et éternel, est d’imaginer un univers ou multivers autosuffisant et éternel (quoi qu’il en soit, n’importe quel enfant pourrait vous demander à juste titre « et Dieu, qui l’a créé ? », et vous ne pourriez donner de réponses qu’évasives).
Par ailleurs, il saute aux yeux qu’il n’est pas plus d’ordre et de bonté ni moins de mensonge et d’injustice parmi ceux qui entretiennent la croyance en l’existence de Dieu que parmi ceux qui l’ont rejetée, et s’il y a eu plus de croyants bons que de non-croyants bons, c’est simplement parce que les « croyants en Dieu » ont été jusqu’ici beaucoup plus nombreux que les « non-croyants ». C’est l’unique raison, et en aucun cas parce que la croyance en l’existence d’un Dieu rende quelqu’un meilleur que celui qui ne croit pas en ce Dieu. Il suffit de regarder le passé et le présent. Et il suffit de lire, par exemple, Confucius, Mencius et Lao Tseu, ou la parabole du bon Samaritain, dans laquelle un samaritain, considéré en ce temps-là par les juifs pieux comme un païen ou un athée, est présenté par Jésus – quelle provocation pour les croyants présomptueux de l’époque et d’aujourd’hui ! – comme le modèle d’une personne bonne, qui porte son regard sur le blessé, compatit, s’approche, enduit les blessures d’huile et de vin et prend soin de lui. Il devient le bon ange.
Moi aussi j’ai cessé de tenir pour certaine ou probable l’existence d’un Dieu Entité Suprême. Mais cela ne change rien d’essentiel à ce que j’entends dans le fond par « croire » et par « Dieu », ma volonté ayant été (et étant toujours) de placer mon cœur dans le Trésor, le Vide, la Plénitude, le Rien, le Tout, l’Être ou le Cœur indissociable de tous les êtres, qui se cache et se révèle et EST en tout. En Dieu, le Mystère latent et sensible comme un sein maternel qui engendre toutes les formes et leur donne jour. La Flamme de la Conscience universelle dont tous les êtres sont des étincelles, petites étincelles du même Feu sans forme. L’amour de tous les amoureux et de tous ceux que nous ne parvenons pas à aimer comme voudrait le cœur. L’Aimante de tous les abandonnés.
Livrer le cœur, avoir confiance en la Réalité, se faire samaritain compatissant auprès de toute créature souffrante, et être ce que nous SOMMES pour l’éternité : c’est cela croire en Dieu, indépendamment des croyances. Et cela revient à le créer en tout, et à recréer le monde.
Source : https://www.religiondigital.org/el_blog_de_jose_arregi/Teismo-Ateismo-Dios-Creer_7_2205149477.html
Traduit de l’espagnol par Peio Ospital